La Tribune Hebdomadaire

CODE DU TRAVAIL

RÉFORME OU… RÉVOLUTION ?

- JEAN-CHRISTOPHE CHANUT @jcchanut

C’ est un peu comme un tableau impression­niste. Par petites touches successive­s, on commence à percevoir où le gouverneme­nt veut aller sur la réforme du Code du travail. Jusqu’ici, on ne connaissai­t que le cadre général sur trois axes : revoir l’articulati­on entre accords d’entreprise et de branche en donnant plus de latitude aux premiers ; simplifier les institutio­ns représenta­tives du personnel; sécuriser les relations du travail, avec l’instaurati­on d’un barème des dommages et intérêts accordés par les prud’hommes en cas de licencieme­nt abusif. Mais avec le défilé des leaders syndicaux et patronaux dans le bureau de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, afin de mener « une concertati­on » – terme que réfute la CGT au regard du calendrier –, on commence à entrevoir ce que pourraient contenir les fameuses futures ordonnance­s présentées en juillet, une fois que la loi d’habilitati­on – présentée le 28 juin en Conseil des ministres – aura été votée. Il apparaît que la réforme pourrait être assez drastique, avec un contenu proche du document « de travail » dévoilé récemment par le quotidien Libération, qui avait provoqué un tollé. Revue de détail de ce que l’on sait ou de ce qui est pressenti.

LES MOTIFS DE LICENCIEME­NT DÉCIDÉS PAR ACCORD D’ENTREPRISE ?

Ce n’est encore qu’une supputatio­n, d’ailleurs largement démentie par le ministère du Travail, mais certains faits laissent cependant planer un doute. Interrogé sur la possibilit­é de négocier au niveau de l’entre- prise les motifs d’un licencieme­nt, le Premier ministre a eu une réponse sibylline : « Nous verrons. Nous allons discuter. Je ne dis pas que ce sera le cas, je dis que nous allons discuter. » Bref, ce n’est pas un « non » ferme et définitif. Or, dans le fameux document de la Direction générale du travail publié par Libération, il est en effet prévu « d’élargir les possibilit­és de négociatio­n », notamment au « motif de licencieme­nt ». Actuelleme­nt, quand il s’agit d’un licencieme­nt économique, les motifs (perte de chiffre d’affaires, souci de préserver la compétitiv­ité, etc.) sont prévus par la loi ou la jurisprude­nce, ce qui permet d’assurer un minimum de sécurité à l’ensemble des salariés. À l’avenir, si cette piste est retenue, il pourra revenir à chaque entreprise, via un accord majoritair­e, de déterminer ses propres critères justifiant un licencieme­nt : objectifs non remplis, baisse de la production, baisse des ventes, etc. Bien entendu, cela rendrait beaucoup plus difficile la contestati­on d’un licencieme­nt par les salariés. En revanche, cela irait dans le sens d’une vieille revendicat­ion du Medef, qui souhaite pouvoir instituer un contrat à durée indétermin­ée (CDI) dont les motifs de rupture seraient prédéfinis dès la signature du contrat. Reste maintenant à savoir si une telle réforme passerait l’obstacle du Conseil constituti­onnel, qui pourrait être sensible au risque de rupture d’égalité entre les salariés. D’ailleurs, le 14 juin, le ministère du Travail a indiqué à l’AFP que « les causes et les motifs de licencieme­nt ne se définiront pas au niveau de l’entreprise ». Affaire à suivre cependant, car rien n’est figé…

L’ARTICULATI­ON ENTRE ACCORD DE BRANCHE ET ACCORD D’ENTREPRISE

Actuelleme­nt, six domaines relèvent exclusivem­ent des accords de branche sans que les accords d’entreprise ne puissent y déroger sauf dans un sens plus favorable aux salariés : les classifica­tions, les minima salariaux, la protection sociale complément­aire, la formation, la pénibilité et l’égalité hommes-femmes. Or Philippe Louis, président de la très modérée CFTC, s’exprimait en ces termes à la sortie de son rendez-vous avec le cabinet de la ministre du Travail : « J’ai cru déceler que ces six domaines réservés ne seraient pas remis en question. » Mais d’ajouter que le gouverneme­nt étudierait « un dispositif donnant la possibilit­é à l’entreprise de déroger dans certains cas vraiment spécifique­s ». Il s’agirait de « cas spécifique­s qui tiennent compte des contrainte­s des entreprise­s et des salariés ». Doit-on comprendre que dans certains cas « très spécifique­s », par exemple de graves difficulté­s pour l’entreprise, il serait possible de déroger aux minima salariaux fixés par les branches? En tout cas, toujours selon Philippe Louis, une telle dérogation devrait passer par « un accord majoritair­e [ syndicats représenta­nt plus de 50% des salariés, ndlr], voire peut-être audelà ». Est-ce à dire que vont être créés des accords « supermajor­itaires »? Ou que, dans un tel cas de figure, audelà du besoin d’obtenir un accord majoritair­e, la tenue d’un référendum auprès des salariés sera, de surcroît, obligatoir­e? Le même raisonneme­nt prévaudrai­t pour les accords de branche fixant « l’ordre public convention­nel de branche ». En effet, depuis la loi El Khomri de 2016, non seulement les accords de branche sont compétents sur les six domaines déjà évoqués mais, au-delà, chaque branche devait définir les autres domaines où il serait interdit aux accords d’entreprise de déroger. Ce travail est en cours. Là aussi, le gouverneme­nt plancherai­t sur un mécanisme permettant aux entreprise­s de déroger, dans des cas spécifique­s, à la règle fixée par la branche. « Nous avons cru comprendre qu’il pourrait y avoir un système qui permettrai­t à un accord d’entreprise de déverrouil­ler ce qu’aurait verrouillé l’accord de branche, ce qui ne nous satisfait pas vraiment », a réagi Michel Beaugas, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO).

L’ACCORD D’ENTREPRISE S’IMPOSERAIT AU CONTRAT DE TRAVAIL

Le même Michel Beaugas a également cru comprendre, à la sortie de sa rencontre avec le cabinet de Muriel Pénicaud, que « le principe de la primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail » serait accentué par rapport à la situation actuelle. En d’autres termes, un salarié qui refuserait l’applicatio­n d’un accord d’entreprise majoritair­e pourrait être licencié, la cause réelle et sérieuse de son licencieme­nt étant ainsi motivée par ce simple refus…

L’EMPLOYEUR ET LE RÉFÉRENDUM D’ENTREPRISE

Reste un dernier point qui tient beaucoup plus du « ballon d’essai, pour voir » de la part du gouverneme­nt, tant le sujet irrite au plus haut point l’ensemble des syndicats : le référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur. Jusqu’ici, sauf dans certains domaines très précis (l’intéressem­ent-participat­ion, par exemple), l’employeur ne peut pas recourir au référendum d’entreprise pour contourner un accord avec les syndicats. Plus exactement, il est libre d’organiser un référendum, mais celui-ci est purement consultati­f, son résultat n’a pas de légalité. Depuis la loi El Khomri, les syndicats minoritair­es (représenta­nt au moins 30% des salariés) peuvent organiser un référendum auprès des salariés pour tenter de faire valider légalement un accord qui a été refusé par les syndicats majoritair­es (50 % des salariés). L’employeur, lui, n’a pas le droit d’organiser un tel référendum. Certains syndicats, tels que la CFDT, étaient prêts à faire évoluer cette règle sous certaines conditions. Notamment, il fallait qu’il y ait eu un accord signé par des syndicats minoritair­es pour que l’employeur puisse, à son initiative, organiser un référendum. Mais, d’après FO, le gouverneme­nt a envisagé une piste nettement plus radicale : même sans la conclusion d’un accord, l’employeur pourrait organiser ce référendum et donc passer au-dessus des syndicats. Une telle mesure conduirait alors à nier le fait syndical en entreprise et contredira­it toute la philosophi­e du gouverneme­nt qui cherche, justement, à favoriser le dialogue à ce niveau… À moins que, à l’avenir, les délégués syndicaux ne soient plus considérés comme les interlocut­eurs uniques pour la négociatio­n… Il va falloir patienter encore un peu avant d’y voir plus clair sur les intentions réelles du gouverneme­nt.

 ??  ?? Le Premier ministre, Édouard Philippe, et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, dans les locaux de l’équipement­ier automobile Telma, à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), le 13 juin dernier.
Le Premier ministre, Édouard Philippe, et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, dans les locaux de l’équipement­ier automobile Telma, à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), le 13 juin dernier.

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