CODE DU TRAVAIL
RÉFORME OU… RÉVOLUTION ?
C’ est un peu comme un tableau impressionniste. Par petites touches successives, on commence à percevoir où le gouvernement veut aller sur la réforme du Code du travail. Jusqu’ici, on ne connaissait que le cadre général sur trois axes : revoir l’articulation entre accords d’entreprise et de branche en donnant plus de latitude aux premiers ; simplifier les institutions représentatives du personnel; sécuriser les relations du travail, avec l’instauration d’un barème des dommages et intérêts accordés par les prud’hommes en cas de licenciement abusif. Mais avec le défilé des leaders syndicaux et patronaux dans le bureau de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, afin de mener « une concertation » – terme que réfute la CGT au regard du calendrier –, on commence à entrevoir ce que pourraient contenir les fameuses futures ordonnances présentées en juillet, une fois que la loi d’habilitation – présentée le 28 juin en Conseil des ministres – aura été votée. Il apparaît que la réforme pourrait être assez drastique, avec un contenu proche du document « de travail » dévoilé récemment par le quotidien Libération, qui avait provoqué un tollé. Revue de détail de ce que l’on sait ou de ce qui est pressenti.
LES MOTIFS DE LICENCIEMENT DÉCIDÉS PAR ACCORD D’ENTREPRISE ?
Ce n’est encore qu’une supputation, d’ailleurs largement démentie par le ministère du Travail, mais certains faits laissent cependant planer un doute. Interrogé sur la possibilité de négocier au niveau de l’entre- prise les motifs d’un licenciement, le Premier ministre a eu une réponse sibylline : « Nous verrons. Nous allons discuter. Je ne dis pas que ce sera le cas, je dis que nous allons discuter. » Bref, ce n’est pas un « non » ferme et définitif. Or, dans le fameux document de la Direction générale du travail publié par Libération, il est en effet prévu « d’élargir les possibilités de négociation », notamment au « motif de licenciement ». Actuellement, quand il s’agit d’un licenciement économique, les motifs (perte de chiffre d’affaires, souci de préserver la compétitivité, etc.) sont prévus par la loi ou la jurisprudence, ce qui permet d’assurer un minimum de sécurité à l’ensemble des salariés. À l’avenir, si cette piste est retenue, il pourra revenir à chaque entreprise, via un accord majoritaire, de déterminer ses propres critères justifiant un licenciement : objectifs non remplis, baisse de la production, baisse des ventes, etc. Bien entendu, cela rendrait beaucoup plus difficile la contestation d’un licenciement par les salariés. En revanche, cela irait dans le sens d’une vieille revendication du Medef, qui souhaite pouvoir instituer un contrat à durée indéterminée (CDI) dont les motifs de rupture seraient prédéfinis dès la signature du contrat. Reste maintenant à savoir si une telle réforme passerait l’obstacle du Conseil constitutionnel, qui pourrait être sensible au risque de rupture d’égalité entre les salariés. D’ailleurs, le 14 juin, le ministère du Travail a indiqué à l’AFP que « les causes et les motifs de licenciement ne se définiront pas au niveau de l’entreprise ». Affaire à suivre cependant, car rien n’est figé…
L’ARTICULATION ENTRE ACCORD DE BRANCHE ET ACCORD D’ENTREPRISE
Actuellement, six domaines relèvent exclusivement des accords de branche sans que les accords d’entreprise ne puissent y déroger sauf dans un sens plus favorable aux salariés : les classifications, les minima salariaux, la protection sociale complémentaire, la formation, la pénibilité et l’égalité hommes-femmes. Or Philippe Louis, président de la très modérée CFTC, s’exprimait en ces termes à la sortie de son rendez-vous avec le cabinet de la ministre du Travail : « J’ai cru déceler que ces six domaines réservés ne seraient pas remis en question. » Mais d’ajouter que le gouvernement étudierait « un dispositif donnant la possibilité à l’entreprise de déroger dans certains cas vraiment spécifiques ». Il s’agirait de « cas spécifiques qui tiennent compte des contraintes des entreprises et des salariés ». Doit-on comprendre que dans certains cas « très spécifiques », par exemple de graves difficultés pour l’entreprise, il serait possible de déroger aux minima salariaux fixés par les branches? En tout cas, toujours selon Philippe Louis, une telle dérogation devrait passer par « un accord majoritaire [ syndicats représentant plus de 50% des salariés, ndlr], voire peut-être audelà ». Est-ce à dire que vont être créés des accords « supermajoritaires »? Ou que, dans un tel cas de figure, audelà du besoin d’obtenir un accord majoritaire, la tenue d’un référendum auprès des salariés sera, de surcroît, obligatoire? Le même raisonnement prévaudrait pour les accords de branche fixant « l’ordre public conventionnel de branche ». En effet, depuis la loi El Khomri de 2016, non seulement les accords de branche sont compétents sur les six domaines déjà évoqués mais, au-delà, chaque branche devait définir les autres domaines où il serait interdit aux accords d’entreprise de déroger. Ce travail est en cours. Là aussi, le gouvernement plancherait sur un mécanisme permettant aux entreprises de déroger, dans des cas spécifiques, à la règle fixée par la branche. « Nous avons cru comprendre qu’il pourrait y avoir un système qui permettrait à un accord d’entreprise de déverrouiller ce qu’aurait verrouillé l’accord de branche, ce qui ne nous satisfait pas vraiment », a réagi Michel Beaugas, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO).
L’ACCORD D’ENTREPRISE S’IMPOSERAIT AU CONTRAT DE TRAVAIL
Le même Michel Beaugas a également cru comprendre, à la sortie de sa rencontre avec le cabinet de Muriel Pénicaud, que « le principe de la primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail » serait accentué par rapport à la situation actuelle. En d’autres termes, un salarié qui refuserait l’application d’un accord d’entreprise majoritaire pourrait être licencié, la cause réelle et sérieuse de son licenciement étant ainsi motivée par ce simple refus…
L’EMPLOYEUR ET LE RÉFÉRENDUM D’ENTREPRISE
Reste un dernier point qui tient beaucoup plus du « ballon d’essai, pour voir » de la part du gouvernement, tant le sujet irrite au plus haut point l’ensemble des syndicats : le référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur. Jusqu’ici, sauf dans certains domaines très précis (l’intéressement-participation, par exemple), l’employeur ne peut pas recourir au référendum d’entreprise pour contourner un accord avec les syndicats. Plus exactement, il est libre d’organiser un référendum, mais celui-ci est purement consultatif, son résultat n’a pas de légalité. Depuis la loi El Khomri, les syndicats minoritaires (représentant au moins 30% des salariés) peuvent organiser un référendum auprès des salariés pour tenter de faire valider légalement un accord qui a été refusé par les syndicats majoritaires (50 % des salariés). L’employeur, lui, n’a pas le droit d’organiser un tel référendum. Certains syndicats, tels que la CFDT, étaient prêts à faire évoluer cette règle sous certaines conditions. Notamment, il fallait qu’il y ait eu un accord signé par des syndicats minoritaires pour que l’employeur puisse, à son initiative, organiser un référendum. Mais, d’après FO, le gouvernement a envisagé une piste nettement plus radicale : même sans la conclusion d’un accord, l’employeur pourrait organiser ce référendum et donc passer au-dessus des syndicats. Une telle mesure conduirait alors à nier le fait syndical en entreprise et contredirait toute la philosophie du gouvernement qui cherche, justement, à favoriser le dialogue à ce niveau… À moins que, à l’avenir, les délégués syndicaux ne soient plus considérés comme les interlocuteurs uniques pour la négociation… Il va falloir patienter encore un peu avant d’y voir plus clair sur les intentions réelles du gouvernement.