RENCONTRES D’AIX
QUELLES NOUVELLES FORMES DE PROSPÉRITÉ ?
Les frontières entre pauvreté et richesse telles qu’elles sont perçues au niveau mondial s’estompent. L’expérience de quelque 300 stagiaires issus de 22 écoles de commerce et universités françaises qui affluent chaque année dans les villages de Gawad Kalinga, aux Philippines, pour un séjour en immersion en est la preuve. Ces jeunes sont généralement déroutés par l’optimisme des moins favorisés au plan matériel, contrastant avec la morosité des plus aisés. Nombreuses sont les « bonnes âmes » venant à la Ferme Enchantée, animées des plus nobles intentions et dotées des meilleures compétences pour libérer les pauvres de la misère. Pour, ensuite, réaliser qu’elles se trouvent elles-mêmes confrontées à leurs propres souffrances, prisonnières d’une cage dorée de privilèges et d’une mentalité élitiste définissant leur mesure de la richesse. Ces jeunes sont souvent surpris par la générosité de coeur des familles plus vulnérables offrant volontiers le gîte et le couvert à l’étranger, et par l’optimisme sans faille d’individus dont les vies ont connu de grandes détresses et un profond désespoir. La qualité de vie au bas de la pyramide ne se mesure pas à l’aide d’outils quantitatifs comme le PIB, mais en s’appuyant sur des critères extra-financiers se rapportant à des valeurs telles que la ténacité, la résilience, la générosité, la quête de sens, le bien-être, la bienveillance et le partage. Les plus privilégiés et mieux éduqués qui visitent nos communautés sont également sidérés de constater que ceux qui ont si peu peuvent s’estimer heureux tandis que ceux qui ont beaucoup se plaignent de ne pas avoir assez.
L’INSATISFACTION DES POSSÉDANTS
Une Française pleine de sagesse, Vanessa Mendez, qui accompagne des projets d’innovation sociale, m’a récemment impressionné. Elle a mis sa vie entre parenthèses durant six mois, quittant son mode de vie parisien confortable et formaté pour trouver paix et contentement dans la simplicité de la Ferme Enchantée. Avec curiosité et audace, elle a délaissé son rythme effréné, s’aventurant en terrain inconnu, serrant dans ses bras des gens simples aux visages souriants et moites et prenant plaisir à échanger longuement avec des personnes peu instruites. Elle a vécu des moments magiques de totale authenticité tout en se sentant en sécurité avec les laissés-pour-compte de la société, souvent jugés dangereux. Peut-être cette expérience a-t-elle mis l’accent sur les menaces et incertitudes pesant sur son environnement préservé et protégé, croulant désormais sous des inégalités croissantes, une montée en flèche du chômage des jeunes, les menaces terroristes, l’afflux massif de migrants et une économie stagnante. Ces indicateurs seraient le signe que le modèle libéral de développement ne fonctionne que pour une minorité. En effet, le système économique actuel exclut une large partie de l’humanité. Les pays riches ne forment pas leurs millenials à la résilience pour faire face aux vicissitudes de la vie. Les jeunes des pays développés ont tendance à se plaindre plutôt qu’à trouver des solutions, ils veulent des gratifications immédiates et un « retour sur investissement » à court terme, ils recherchent le plaisir plutôt que le sens et privilégient les relations superficielles et virtuelles à l’expérience de liens humains. Mais, ces jeunes générations forment aussi une armée d’individus désireux de repousser les frontières de l’innovation, d’abandonner leur confort pour un enracinement plus profond et s’efforcent de suivre une nouvelle règle : « Moins pour soi, plus pour les autres, assez pour tout le monde ».
QU’EST-CE QUI N’A PAS FONCTIONNÉ ? ET QU’EST-CE QUI MARCHE ?
Vanessa a trouvé des éléments de réponse dans le mouvement Walang iwanan ( « ne laisser personne sur le bord de la route » ) initié par Gawad Kalinga. Ses principes reposent sur la création de valeur partagée, l’adoption d’une approche ascendante visant à faire émerger une nouvelle classe moyenne, la promotion de la ruralité pour une autosuffisance alimentaire et la réduction de l’exode des campagnes vers les villes. Ce mouvement vise également à investir dans le capital humain en considérant les pauvres comme des personnes ayant des droits et non comme des objets de charité, comme des personnes dignes d’être aimées et non comme des problèmes à résoudre. Par ailleurs, Vanessa a été interpellée, comme l’a été Jean-Philippe Courtois, président de Microsoft International à l’occasion de sa visite de trois jours à la Ferme, par l’importance accordée à la formation du caractère et à la transmission de valeurs aux jeunes parallèlement à la préoccupation de bien les former au plan académique et technologique. La convergence de visions pour créer de la performance économique et de l’utilité sociale s’est concrétisée par un partenariat avec la Fondation Live for Good, créée par la famille Courtois, afin de promouvoir l’entrepreneuriat social auprès de jeunes marginalisés en France et aux Philippines. Jean-Michel Blanquer, ancien directeur de l’Essec, nouvellement nommé ministre de l’Éducation, a également été fasciné par sa rencontre avec des jeunes défavorisés capables d’avoir de grands rêves. L’écosystème de la Ferme Enchantée, composé d’une ferme, d’un village et d’une université, met le génie des pauvres à l’honneur en leur offrant en cadeau l’excellence académique et l’apprentissage expérientiel à travers l’entrepreneuriat social. Six mois après la visite de Jean-Michel Blanquer, Rinalyn Pagao et Gabrielle Rabino, deux étudiantes de SEED, filles de parents ayant peu fréquenté l’école, ont entamé des études de gestion à l’Essec, et ce grâce à une bourse. Un bel exemple concret démontrant la validité du concept de la philosophie de GK, à savoir offrir le meilleur aux pauvres. D’autres opportunités de tester la version française du succès et du bonheur se sont présentées à certains de nos jeunes pauvres les plus méritants. Ainsi, Micelim Geloso, âgée de 17 ans, a passé deux mois à Paris pour suivre une formation certifiante en entrepreneuriat social à HEC. Cette expérience s’est révélée exceptionnelle pour la jeune fille dont la vision de la pauvreté et de la prospérité a été profondément transformée. Micelim s’est montrée à la hauteur du défi et s’est parfaitement intégrée à sa classe composée de jeunes plus âgés issus de milieux aisés. Le cursus a conduit la jeune Philippine à mener des réflexions sur la notion de profit dans un monde globalisé et élitiste ayant oublié d’investir dans
Obtenir une paix durable en n’abandonnant pas les plus faibles