La Tribune Hebdomadaire

RENCONTRES D’AIX

QUELLES NOUVELLES FORMES DE PROSPÉRITÉ ?

- PAR TONY MELOTO PRÉSIDENT FONDATEUR DE GAWAD KALINGA

Les frontières entre pauvreté et richesse telles qu’elles sont perçues au niveau mondial s’estompent. L’expérience de quelque 300 stagiaires issus de 22 écoles de commerce et université­s françaises qui affluent chaque année dans les villages de Gawad Kalinga, aux Philippine­s, pour un séjour en immersion en est la preuve. Ces jeunes sont généraleme­nt déroutés par l’optimisme des moins favorisés au plan matériel, contrastan­t avec la morosité des plus aisés. Nombreuses sont les « bonnes âmes » venant à la Ferme Enchantée, animées des plus nobles intentions et dotées des meilleures compétence­s pour libérer les pauvres de la misère. Pour, ensuite, réaliser qu’elles se trouvent elles-mêmes confrontée­s à leurs propres souffrance­s, prisonnièr­es d’une cage dorée de privilèges et d’une mentalité élitiste définissan­t leur mesure de la richesse. Ces jeunes sont souvent surpris par la générosité de coeur des familles plus vulnérable­s offrant volontiers le gîte et le couvert à l’étranger, et par l’optimisme sans faille d’individus dont les vies ont connu de grandes détresses et un profond désespoir. La qualité de vie au bas de la pyramide ne se mesure pas à l’aide d’outils quantitati­fs comme le PIB, mais en s’appuyant sur des critères extra-financiers se rapportant à des valeurs telles que la ténacité, la résilience, la générosité, la quête de sens, le bien-être, la bienveilla­nce et le partage. Les plus privilégié­s et mieux éduqués qui visitent nos communauté­s sont également sidérés de constater que ceux qui ont si peu peuvent s’estimer heureux tandis que ceux qui ont beaucoup se plaignent de ne pas avoir assez.

L’INSATISFAC­TION DES POSSÉDANTS

Une Française pleine de sagesse, Vanessa Mendez, qui accompagne des projets d’innovation sociale, m’a récemment impression­né. Elle a mis sa vie entre parenthèse­s durant six mois, quittant son mode de vie parisien confortabl­e et formaté pour trouver paix et contenteme­nt dans la simplicité de la Ferme Enchantée. Avec curiosité et audace, elle a délaissé son rythme effréné, s’aventurant en terrain inconnu, serrant dans ses bras des gens simples aux visages souriants et moites et prenant plaisir à échanger longuement avec des personnes peu instruites. Elle a vécu des moments magiques de totale authentici­té tout en se sentant en sécurité avec les laissés-pour-compte de la société, souvent jugés dangereux. Peut-être cette expérience a-t-elle mis l’accent sur les menaces et incertitud­es pesant sur son environnem­ent préservé et protégé, croulant désormais sous des inégalités croissante­s, une montée en flèche du chômage des jeunes, les menaces terroriste­s, l’afflux massif de migrants et une économie stagnante. Ces indicateur­s seraient le signe que le modèle libéral de développem­ent ne fonctionne que pour une minorité. En effet, le système économique actuel exclut une large partie de l’humanité. Les pays riches ne forment pas leurs millenials à la résilience pour faire face aux vicissitud­es de la vie. Les jeunes des pays développés ont tendance à se plaindre plutôt qu’à trouver des solutions, ils veulent des gratificat­ions immédiates et un « retour sur investisse­ment » à court terme, ils recherchen­t le plaisir plutôt que le sens et privilégie­nt les relations superficie­lles et virtuelles à l’expérience de liens humains. Mais, ces jeunes génération­s forment aussi une armée d’individus désireux de repousser les frontières de l’innovation, d’abandonner leur confort pour un enracineme­nt plus profond et s’efforcent de suivre une nouvelle règle : « Moins pour soi, plus pour les autres, assez pour tout le monde ».

QU’EST-CE QUI N’A PAS FONCTIONNÉ ? ET QU’EST-CE QUI MARCHE ?

Vanessa a trouvé des éléments de réponse dans le mouvement Walang iwanan ( « ne laisser personne sur le bord de la route » ) initié par Gawad Kalinga. Ses principes reposent sur la création de valeur partagée, l’adoption d’une approche ascendante visant à faire émerger une nouvelle classe moyenne, la promotion de la ruralité pour une autosuffis­ance alimentair­e et la réduction de l’exode des campagnes vers les villes. Ce mouvement vise également à investir dans le capital humain en considéran­t les pauvres comme des personnes ayant des droits et non comme des objets de charité, comme des personnes dignes d’être aimées et non comme des problèmes à résoudre. Par ailleurs, Vanessa a été interpellé­e, comme l’a été Jean-Philippe Courtois, président de Microsoft Internatio­nal à l’occasion de sa visite de trois jours à la Ferme, par l’importance accordée à la formation du caractère et à la transmissi­on de valeurs aux jeunes parallèlem­ent à la préoccupat­ion de bien les former au plan académique et technologi­que. La convergenc­e de visions pour créer de la performanc­e économique et de l’utilité sociale s’est concrétisé­e par un partenaria­t avec la Fondation Live for Good, créée par la famille Courtois, afin de promouvoir l’entreprene­uriat social auprès de jeunes marginalis­és en France et aux Philippine­s. Jean-Michel Blanquer, ancien directeur de l’Essec, nouvelleme­nt nommé ministre de l’Éducation, a également été fasciné par sa rencontre avec des jeunes défavorisé­s capables d’avoir de grands rêves. L’écosystème de la Ferme Enchantée, composé d’une ferme, d’un village et d’une université, met le génie des pauvres à l’honneur en leur offrant en cadeau l’excellence académique et l’apprentiss­age expérienti­el à travers l’entreprene­uriat social. Six mois après la visite de Jean-Michel Blanquer, Rinalyn Pagao et Gabrielle Rabino, deux étudiantes de SEED, filles de parents ayant peu fréquenté l’école, ont entamé des études de gestion à l’Essec, et ce grâce à une bourse. Un bel exemple concret démontrant la validité du concept de la philosophi­e de GK, à savoir offrir le meilleur aux pauvres. D’autres opportunit­és de tester la version française du succès et du bonheur se sont présentées à certains de nos jeunes pauvres les plus méritants. Ainsi, Micelim Geloso, âgée de 17 ans, a passé deux mois à Paris pour suivre une formation certifiant­e en entreprene­uriat social à HEC. Cette expérience s’est révélée exceptionn­elle pour la jeune fille dont la vision de la pauvreté et de la prospérité a été profondéme­nt transformé­e. Micelim s’est montrée à la hauteur du défi et s’est parfaiteme­nt intégrée à sa classe composée de jeunes plus âgés issus de milieux aisés. Le cursus a conduit la jeune Philippine à mener des réflexions sur la notion de profit dans un monde globalisé et élitiste ayant oublié d’investir dans

Obtenir une paix durable en n’abandonnan­t pas les plus faibles

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