PAR PHILIPPE MABILLE LA CLEF DE LA SORTIE DE CRISE
Think global, act local », l’idée n’est certes pas neuve. Elle est née au début du xxe siècle chez les premiers penseurs de l’urbanisation qui n’a cessé de s’accélérer avec la révolution industrielle. « Penser global et agir local » est ensuite devenu le nouveau mantra marketing de l’industrie au fil de la mondialisation de la production. Les entreprises ont été progressivement amenées à prendre mieux en compte les besoins des parties prenantes locales, afin de séduire les consommateurs : Coca-Cola, McDonald’s, Danone en ont été les pionniers. Ce qui est plus nouveau, c’est que cette vision, appelons-la « glocale », est en train de s’imposer comme LA réponse aux défis du xxie siècle. « Plus il y a de global, plus on ressent le besoin de se raccrocher à quelque chose de familier, donc de local », explique l’entrepreneur social Nicolas Hazard, fondateur du Comptoir de l’Innovation et d’Inco, un fonds qui investit dans des projets d’économie inclusive et durable, avec qui La Tribune organise cette semaine un événement, « The Village », dans la cité médiévale de Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne), aux pieds des Pyrénées (voir notre dossier pages 4 à 19). Cette initiative, menée avec la région Occitanie, présidée par Carole Delga, vise à réunir, chaque année dans un village, des acteurs du changement, des change makers, entrepreneurs sociaux, startuppers, industriels, financiers, intellectuels, afin de réfléchir loin du stress de la « métropole » aux nouvelles interactions entre le global et le local et à l’impact du numérique et des nouvelles technologies sur l’humanité. Le but : contribuer à inventer de nouvelles solutions, de nouveaux modèles économiques, écologiques et sociaux. « The Village » s’insère dans un mouvement mondial, celui de l’économie positive. Ainsi vient de se tenir début septembre à la Seine musicale à Boulogne la première édition du Global Positive Forum, lancé par Jacques Attali, président de Positive Planet, et Richard Attias (lire l’entretien croisé page 19). Alors que l’on peine à trouver les solutions pour sortir de la crise de 2008, un mouvement planétaire est en train de se structurer pour penser le monde et sa croissance, autrement. Il réunit des acteurs de tous hori- zons et, fait nouveau, de plus en plus d’entreprises qui ont compris que les violentes tensions engendrées par la globalisation – inégalités, écrasement des classes moyennes de l’Occident, réchauffement climatique – les obligent à agir dans un sens plus inclusif et durable. La COP21 à Paris a été un moment de grâce d’incarnation de cette préoccupation pour les générations futures. Mais le soufflé est vite retombé, d’où l’importance de continuer à mobiliser les opinions publiques. Comment concilier la performance économique et la performance environnementale et sociale? Comment répondre au désir du consommateur d’être aussi « consomm’acteur »? Comment combiner la croissance et le développement harmonieux des territoires? Les solutions à grande échelle ne sont pas efficaces : la macro-économie est en panne, vive la micro-économie ! Pour agir vite, l’heure est donc aux initiatives micro-locales. Les Jeux olympiques dont Paris s’apprête à obtenir enfin, le 13 septembre, l’organisation en 2024, ont fait de la question de l’héritage, social, sociétal, environnemental un élément central du processus de sélection. La transition énergétique est l’illustration la plus emblématique de la puissance du « glocal » : le développement des énergies renouvelables n’a de sens que s’il s’insère dans les territoires. Ainsi, en Grèce, la petite île de Tilos, proche de la côte turque, est devenue cet été le premier territoire autonome en énergie de la Méditerranée. Financé par un pro- gramme de l’Union européenne, cela permet de désenclaver le territoire et de servir son développement économique tout en donnant l’exemple à toutes les autres îles. Dans l’agriculture aussi, le développement des circuits courts et de la permaculture est en train de révolutionner le secteur alimentaire. Ce qui passait autrefois pour des utopies de baba-cools devient la nouvelle modernité et, selon l’adage qui veut que « les petits ruisseaux font les grandes rivières », ces initiatives locales, en se généralisant, construisent peu à peu une solution globale à des questions auxquelles la mondialisation telle qu’elle a fonctionné jusqu’ici n’apporte pas de réponses. Le numérique est évidemment au coeur de la réussite de cette révolution du « glocal ». L’accès à internet et aux réseaux télécoms est devenu vital pour permettre à tous les « villages » de s’approprier les nouveaux outils technologiques. C’est pourquoi le comblement de la fameuse fracture numérique est aussi urgent. Faut-il laisser à Google et Facebook l’initiative de donner accès à Internet aux milliards de personnes qui en sont encore aujourd’hui privées? Au risque de maintenir la prééminence de ces géants du numérique. Ou bien faire de l’accès au réseau un bien public mondial? En France, on le sait, faire venir les opérateurs télécom dans certains villages est encore laborieux alors que c’est la clef du désenclavement et du développement. Car une fois connecté, le village devient alors vraiment mondial.