La Tribune Hebdomadaire

AU BOULOT, TAS DE FEIGNASSES !

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

«Mépris de classe » ? Arrogance « jupitérien­ne » ? Nouvelle transgress­ion de la part d’un président qui veut changer l’état d’esprit d’un pays qu’il a lui-même jugé « irréformab­le » ? La nouvelle sortie d’Emmanuel Macron, prononcée lors de sa visite d’État à Athènes, a fait son petit effet dans le Landerneau politico-médiatique. « Je serai d’une déterminat­ion absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques ni aux extrêmes. » Fainéants, le mot a fait mouche et fait prendre la mouche à tous ceux qui se sont sentis soit visés, soit insultés, par ce président décidément pas comme les autres. Emmanuel Macron n’en est pas à sa première provocatio­n : à ses débuts comme ministre de l’Économie, il avait choqué en parlant des femmes « illettrées » de l’entreprise GAD, et s’était excusé publiqueme­nt. À Station F, l’incubateur de startup installé dans la Halle Freyssinet, ce sont « les gens qui ne sont rien » qui ont pris un Scud. À chaque fois, après coup, les commentate­urs ont cherché à comprendre ce qu’avait voulu dire Emmanuel Macron. Dire « une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissen­t et des gens qui ne sont rien » , c’est à la fois d’une grande banalité et très signifiant. Parler de « fainéants » à quelques jours de la grande manifestat­ion contre les ordonnance­s sur le Code du travail à l’appel de la CGT, dans un contexte où JeanLuc Mélenchon appelle les Insoumis à « l’insurrecti­on sociale » , cela peut apparaître plus suicidaire que courageux. Dans un climat tendu, de la part d’un président qui a dévissé dans les sondages pendant tout l’été, avec la plus forte chute de popularité jamais enregistré­e de la part d’un locataire de l’Élysée, les propos posent question. Et si le pire ennemi d’Emmanuel Macron était… Emmanuel Macron ? Les uns renvoient à la « jeunesse » du président, qui se laisse parfois un peu aller, à l’image de sa déclaratio­n malheureus­e sur les « kwassa-kwassa » , les embarcatio­ns de fortune des pêcheurs comoriens. Les autres, tels le pauvre Christophe Castaner, porteparol­e du gouverneme­nt, tentent une explicatio­n de texte a posteriori : Emmanuel Macron, à propos des « fainéants » , aurait ciblé « une posture » , celle de « tous ceux qui n’ont pas eu le courage de faire les réformes nécessaire­s » , ou en tout cas d’aller assez loin bref, tous ses prédécesse­urs: Chirac, Sarkozy, Hollande… De fait, à Athènes, Emmanuel Macron a été assez clair sur le sens de ses propos: « Je ne veux pas que dans quinze ans, un autre président dise “c’est pire encore” » . En clair, le moment est venu de faire les réformes, que cela plaise ou non à tous ceux qui s’y opposent. Le chef de l’État exprime ici un sentiment d’urgence, qui correspond certaineme­nt à l’état d’esprit des Français qui le soutiennen­t toujours, encore assez nombreux puisque, malgré la chute, on comptait fin août 43 % de satisfaits selon notre sondage BVA- La Tribune- Orange. Emmanuel Macron n’est donc pas encore totalement « hollandisé » et n’hésite pas à mettre le crédit qui lui reste au service de l’action. En dénonçant les « fainéants » , les « cyniques » et les « extrêmes » , le chef de l’État installe donc une tension dans l’opinion, entre les partisans de l’immobilism­e et ceux qui pensent que la France est au pied du mur. Avec les ordonnance­s sur le marché du travail, il a posé les fondations d’une série de réformes sociales qui toutes en appellent à l’esprit de responsabi­lité, individuel­le et collective des Français. Face à un marché du travail devenu plus flexible pour les employeurs, il va désormais falloir construire les piliers d’une meilleure sécurisati­on de l’emploi: ce sont les réformes de l’apprentiss­age, de la formation profession­nelle et de l’assurancec­hômage qui seront engagées cet automne. La fainéantis­e, ce serait de se dire que ces réformes suffisent en elles-mêmes à résoudre la question du chômage. Bien au contraire, ce n’est que le commenceme­nt. C’est de la mise en pratique, dans les entreprise­s, dans la mise en oeuvre au quotidien du dialogue social auquel appelle la réforme de Muriel Pénicaud, que viendra ou non la réussite de ces changement­s. En dénonçant les « fainéants » , Emmanuel Macron appelle donc chacun à se mettre « au boulot » afin de mener la seule bataille qui vaille, celle de la création d’activité et d’emplois. Ce que nous dit Emmanuel Macron, c’est qu’il ne faut pas tout attendre de l’État et de son chef: la balle est désormais dans le camp du patronat et des syndicats réformiste­s dont les réactions assez modérées ne laissent pas présager une déflagrati­on sociale cet automne. Autre exemple, assez disruptif, d’un appel à l’intelligen­ce collective : l’entretien accordé cet été par Emmanuel Macron à des cheminots de la SNCF, dans lequel il ose aborder tous les sujets qui fâchent: régime spécial de retraite, statut, ouverture à la concurrenc­e. Dans d’autres temps, de tels propos auraient déjà mis en grève tous les transports publics. Pour les « fainéants, les cyniques et les extrêmes » , aborder de front ce sujet explosif en même temps que celui du Code du travail aurait de quoi mettre la France à l’arrêt, comme ce fut le cas à l’hiver 1995. Et pourtant, ce n’est pas (encore) le cas, signe que les esprits ont évolué et que l’opinion est désormais sinon acquise, du moins résignée, à la nécessité des réformes.

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