ALSTOM-SIEMENS, STX-FINCANTIERI
LE PARI DES CHAMPIONS EUROPÉENS
C’est tout sauf une partie de plaisir qui attend Henri Poupart-Lafarge, le PDG d’Alstom. Nommé pour diriger Siemens Alstom, la nouvelle entité appelée à voir le jour si les négociations sur la fusion de l’ensemble des activités d’Alstom et de Siemens Mobilités aboutissent, c’est lui qui va avoir la lourde tâche de défendre les intérêts français dans ce nouvel ensemble aux accents allemands. Avec 50,67% du capital à la clôture de l’opération – espérée en 2018 – et la possibilité d’aller au-delà d’ici quatre ans, Siemens sera en effet majoritaire dans le nouvel ensemble. Certes, ce ne sera pas son rôle, puisqu’en tant que directeur général de Siemens Alstom Henri Poupart-Lafarge devra mener une stratégie pour le bien de l’ensemble du groupe. Et pourtant, ne lui en déplaise, il devra quand même s’y employer. À la fois pour calmer les inquiétudes légitimes des salariés d’Alstom et faire taire les cris d’orfraie poussés par de nombreux politiques français, mais aussi pour freiner la tentation qui ne manquera pas d’animer Siemens d’asseoir son emprise sur le groupe de manière plus prononcée, une attitude qui paraîtrait tout aussi légitime côté allemand dans la mesure où c’est bel et bien le groupe allemand qui aura le pouvoir, même si le siège social sera basé en France. Henri Poupart-Lafarge feint de ne pas saisir cette problématique quand on lui rappelle la prédominance allemande dans la structure du groupe. « Je ne comprends pas très bien ces critiques [sur la prise de contrôle, ndlr]. Je trouve que c’est une lecture du monde un peu simpliste. Je crois que c’est un accord européen équilibré qui permet de réunir deux groupes qui ont chacun leur histoire, leurs racines, leurs expertises, et de faire ensemble un groupe plus fort. C’est, je crois, le sens de l’histoire », a-t-il déclaré mercredi 27 septembre, en marge de la présentation du projet de rapprochement avec Siemens. Il n’empêche, Henri Poupart-Lafarge doit se préparer à jouer malgré lui les équilibristes, voire les pompiers de service entre les intérêts des deux côtés du Rhin. La composition de son comité exécutif, les nominations aux postes clés, les conséquences des mesures industrielles..., tout sera, du côté français, scruté, analysé, interprété à l’aune du sacrosaint rapprochement « entre égaux » promis par les deux acteurs. C’est inévitable. Chacun va regarder dans l’assiette de l’autre, avec le risque de déclencher des luttes intestines sur fond de rivalités nationales. Parmi tous les exemples de rapprochements capitalistiques transfrontaliers, les cas d’Airbus ou d’Air France-KLM, pour ne citer qu’eux, ont bien montré la difficulté de l’exercice. Et à ce jeu, les Français n’ont pas vraiment brillé dans la défense de leurs intérêts, même quand ils étaient les acquéreurs, comme dans le cas d’Air France. De telles rivalités constitueront probablement le plus grand obstacle au rapprochement entre Siemens et Alstom. « Le plus difficile sera de marier deux entreprises aux cultures différentes, dont les équipes, en concurrence frontale jusqu’ici, ont été animées par un sentiment de défiance réciproque », explique un vieux routier du secteur ferroviaire.
L’ÉTAT FRANÇAIS SORT D’ALSTOM
Et dans ce combat, Henri Poupart-Lafarge sera seul, à la merci d’un conseil d’administration présidé et contrôlé par Siemens, qui nommera 6 des 11 administrateurs, dont le président. Car l’État français va sortir d’Alstom. Actionnaire de la société ferroviaire via des actions prêtées par Bouygues au moment de la vente de sa branche Énergie à General Electric en 2014, l’État français va mettre fin à ce prêt. Et ce afin de ne pas payer les 3 milliards d’euros qu’il aurait dû verser à Bouygues s’il avait au contraire décidé d’acheter ces actions, comme l’accord de 2014 lui en donnait la possibilité.
Certes, pour l’instant, les engagements pris de part et d’autre se veulent rassurants. « Aucun site ne sera fermé en France ni en Allemagne au cours des quatre prochaines années », a assuré Henri Poupart-Lafarge, ajoutant que l’objectif était de conserver « un niveau d’emploi équivalent » à celui d’aujourd’hui. Dans l’hypothèse où des suppressions de postes devraient néanmoins avoir lieu au cours de cette période, l’engagement est pris de procéder à des départs volontaires, et non à des licenciements.
IMPACT SOCIAL
Interrogé sur l’impact social que pourrait avoir l’objectif de 460 millions d’euros de synergies espérées par ce rapprochement, Henri Poupart-Lafarge a répondu que ce montant se ferait essentiellement sur les achats. « Nous ne sommes pas dans une industrie de produits, donc tout l’enjeu industriel de cet accord sera de dégager des synergies de plateformes. Il faudra combiner les travaux menés par Alstom et Siemens depuis des années pour éviter, à chaque fois qu’un nouveau train nous sera demandé par un client, de devoir le dessiner complètement à partir de rien. En ayant à notre disposition une palette plus large de solutions, de sous-systèmes, de technologies, nous allons être meilleurs pour les combiner entre eux et concevoir des plateformes plus efficaces pour les clients. C’est l’essentiel des synergies. Car cette façon de procéder se traduit ensuite dans les achats dans la mesure où nous pourrons, par exemple, massifier l’achat de composants standard », a-t-il expliqué. Outre ce travail très complexe, Henri Poupart-Lafarge entend lancer, sur la base de programmes de recherche et développement similaires, de nouveaux programmes de R&D, qui permettront « d’aller plus vite au lieu de développer chacun de notre côté les mêmes types de fonctions ». Enfin, il admet qu’il pourra y avoir des redondances dans « certaines fonctions de la structure ». Henri Poupart-Lafarge devra donc jouer habilement. S’il parvient à déjouer les pièges des guerres intestines, il pourra mettre en place un projet industriel qui a du sens. « Cela va nous permettre d’être plus dynamiques sur les marchés européens et les marchés export, et de générer de nouveaux emplois », souligne-t-il. En effet, avec la forte concurrence chinoise, la globalisation des marchés et la digitalisation, qui demande des investissements colossaux, le rapprochement avec un groupe aussi solide et innovant est plutôt une bonne chose pour Alstom. D’autant que cette opération évite de facto un rapprochement entre Siemens et Bombardier, qui aurait isolé Alstom au point, peut-être, de le contraindre à pactiser avec l’ogre chinois CRRC, comme le Canadien risque, du coup, de devoir le faire.
L’enjeu industriel de cet accord est de dégager des synergies de plateformes