La Tribune Hebdomadaire

UNE AUTRE RÉFORME DE L’ISF ÉTAIT POSSIBLE

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

« Président des riches », l’image commence à coller à la peau d’Emmanuel Macron comme le sparadrap du capitaine Haddock. Le chef de l’État partage d’ailleurs cette particular­ité avec l’acolyte de Tintin de proférer parfois des mots orduriers ou rigolos. « Bordel », « croquignol­esque »... Le vocabulair­e présidenti­el s’enrichit jour après jour, la forme nuisant parfois au fond. Dimanche soir sur TF1, le chef de l’État a encore répété qu’il assumait la réforme de l’ISF, supprimé à compter de 2018 et remplacé par un impôt sur la fortune immobilièr­e, l’IFI. L’argument employé par le président est emprunté à l’alpinisme: pour que l’économie se développe, « il faut soutenir les premiers de cordée » . Il s’agit d’inciter les plus riches à réinvestir dans les entreprise­s en France. Le changement d’assiette de l’ISF ne passe pourtant pas, non seulement à gauche, où Mélenchon et ce qu’il reste du PS dénoncent à qui mieux mieux la théorie implicite du « ruissellem­ent » , mais aussi au sein de la majorité En marche. Jusqu’ici, Emmanuel Macron espérait en sortir en soutenant, d’abord discrèteme­nt, puis officielle­ment, les amendement­s de ses députés qui veulent taxer les « signes extérieurs de richesse » par des impôts spécifique­s, sur les yachts, les lingots d’or ou les voitures de grosse cylindrée. Mais le vote prochain de la suppressio­n de l’ISF continue de faire des remous ; même François Bayrou, son allié du Modem, s’en est ému. Ce mouvement veut d’ailleurs proposer une alternativ­e, consistant à repartir du périmètre de l’ISF actuel et à en sortir la détention de titres de société, sur le modèle des pactes d’actionnair­es Dutreil, précise Marc Fesneau, le président du groupe bayrouiste à l’Assemblée nationale. À bien y regarder, la propositio­n n’est guère satisfaisa­nte: elle risque de geler encore plus le capital, alors que l’idée est au contraire de le rendre plus mobile. Le gouverneme­nt devrait donc s’en tenir à sa version, qui a le mérite de la clarté, le pari étant que les plus riches seront obligés de réinvestir ailleurs que dans la pierre et donc dans l’économie. Tout cela est cohérent, à un détail près: l’investisse­ment immobilier n’est pas une dépense « improducti­ve ». Il est même à craindre que cette distorsion pénalise l’objectif gouverneme­ntal de favoriser un choc d’offre dans le logement. Deuxième danger, politique celui-là, la vive contestati­on de la réforme fait planer le doute sur sa pérennité. Ce qu’une loi a fait, une autre peut la défaire. Les fameux « riches », dont beaucoup ont déjà fui la France, se souviennen­t que la droite a supprimé, entre 1986 et 1988, l’impôt sur les grandes fortunes (IGF)… et que deux ans plus tard, la gauche de retour au pouvoir s’est empressée de le rétablir sous le nom d’ISF. Le vrai défi de la réforme de l’impôt sur la fortune est de la rendre acceptable et acceptée, au nom d’arguments rationnels et de nature à la stabiliser dans le temps. Rien ne serait pire pour l’image de la France qu’un nouveau jeu de yo-yo fiscal sur un sujet aussi sensible. C’est d’autant plus dommage que le credo fiscal du candidat Macron – encourager le risque et taxer la rente – fait plutôt consensus. Il est absurde de conserver un impôt qui taxe des actions de sociétés, conduisant à des comporteme­nts déviants: versement de dividendes exorbitant­s aux actionnair­es familiaux pour leur permettre de payer leur ISF, cession de titres en des mains inamicales. On ne compte plus le nombre de belles « boîtes » familiales qui ont été rachetées par des étrangers à cause de ces effets pervers. Ces arguments économique­s pourraient suffire à convaincre toute personne raisonnabl­e, même Jean-Luc Mélenchon, que oui, il est urgent et vital de supprimer l’ISF dans sa partie « capital investi dans l’économie créatrice d’emplois ». Dès lors, la vraie question est: comment faire en sorte que personne, même pas une nouvelle majorité, ne revienne en arrière ? Comment donner à la fiscalité du capital une stabilité, meilleur gage pour attirer les investisse­urs sur le long terme? Une autre réforme de l’ISF aurait ainsi été possible, si on avait pris le temps d’y réfléchir. Par exemple, pourquoi ne pas conditionn­er l’exonératio­n des actions de société au réinvestis­sement dans l’économie réelle ? Après tout, il existe déjà un mécanisme qui permet de déduire de son ISF et de son IR 50 % des sommes que l’on réinvestit dans des entreprise­s. Une mesure simple consistera­it à supprimer tout plafonneme­nt, à hauteur de 100 % de l’impôt théoriquem­ent dû sur la partie « action » d’un patrimoine, tandis que la partie « immobilièr­e » resterait inchangée. Une telle mesure compliquer­ait un peu le calcul de l’impôt, mais ce ne serait pas pire que l’usine à gaz fiscale que la nouvelle taxation de l’assurance-vie impose au-delà de 150000 euros. Cette version « de gauche » de la réforme de l’ISF se heurte toutefois à une limite de taille : il n’est pas possible, en raison des règles européenne­s, d’obliger les gens à réinvestir seulement en France. Mais, de même que la version « de droite » d’une suppressio­n pure et simple de l’ISF « action » ne garantit en rien que l’argent soit réinvesti dans les entreprise­s françaises, peut-être peut-on compter sur le « patriotism­e économique » des bénéficiai­res, les fameux « premiers de cordée » d’Emmanuel Macron… On l’a bien vu partout, en Argentine comme en Grèce ou même en Italie: les pays qui s’effondrent sont ceux dont les riches élites préfèrent placer leur fortune à l’étranger que dans leur propre économie.

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