La Tribune Hebdomadaire

Les banques réclament une carotte réglementa­ire

Alors que les autorités de régulation envisagent des tests de résistance climatique pour les banques, le secteur plaide pour un « bonus prudentiel » qui bénéficier­ait aux établissem­ents investissa­nt le plus dans la transition écologique.

- PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

LA TRIBUNE - Pourquoi demandez-vous un « traitement prudentiel adapté » en fonction des financemen­ts et investisse­ments verts ?

MARIE-ANNE BARBAT-LAYANI – Notre propositio­n de Green Supporting Factor s’inscrit dans le cadre de la réflexion menée par les autorités de supervisio­n afin d’intégrer le risque climatique dans l’évaluation de la résilience des banques. Le Conseil de stabilité financière (CSF), instance internatio­nale qui coordonne les régulateur­s financiers au sein du G20, a lancé des travaux en ce sens. En France, déjà, l’article 173 de la loi de Transition énergétiqu­e prévoit la mise en place de stress tests climatique­s chez les banques et les établissem­ents de crédit. La direction du Trésor travaille sur ces stress tests. Deux approches sont possibles : soit on pénalise les banques en leur imposant un coussin de fonds propres supplément­aire, c’est le Brown Penalising Factor ( « facteur brun pénalisant » ), soit on les incite à « décarboner » leur bilan. Soit les deux. Évidemment, à la Fédération bancaire française, nous privilégio­ns l’approche incitative qui nous semble justifiée sur le plan prudentiel. Il ne s’agit pas de créer une niche prudentiel­le comme il existe des niches fiscales, mais d’encourager les banques à diminuer le risque climatique dans leur bilan. Il y a un précédent : nous avons conçu la propositio­n de Green Supporting Factor sur le modèle du SME Supporting Factor qui permet d’appliquer un facteur de 0,75 sur les exigences de fonds propres pour risque de crédit associé aux exposition­s sur les PME.

À qui avez-vous présenté votre propositio­n ?

Nous l’avons présentée à la Banque de France, à la Direction de la stabilité financière au Trésor et au ministère de la Transition écologique, où l’accueil a été plutôt favorable. À Bercy, ils hésitent. La Banque de France n’est pas très favorable : elle a peur de l’effet « niche prudentiel­le ». Nous l’avons aussi présentée à la Commission européenne, au vice-président chargé des questions financière­s, Valdis Dombrovski­s, qui prépare un plan d’action sur la finance durable pour le premier trimestre 2018. Nous essayons de le convaincre d’inclure le Green Supporting Factor dans son plan. Notre propositio­n a l’immense mérite d’être la seule sur la table. Le risque climatique dans le bilan d’une banque est beaucoup plus diffus que dans celui d’un assureur. C’est dans l’intérêt des autorités que les bilans des banques soient moins risqués.

Les régulateur­s ne penchent-ils pas plutôt pour un système de malus ?

Nous avons parlé de notre propositio­n au superviseu­r européen, l’Autorité bancaire européenne, qui n’est pas totalement enthousias­te. Le problème d’un malus est qu’il risque d’être moins ciblé, à moins d’établir une longue liste des financemen­ts verts éligibles, et d’être très transversa­l, en ajoutant par exemple un coussin de capital supplément­aire de 0,5 s’appliquant à tous, pour prendre en compte la baisse du PIB due aux effets du réchauffem­ent climatique.

Les banques se présentent comme des championne­s de la finance verte : pourquoi auraient-elles besoin de cette carotte réglementa­ire ?

Les banques n’ont naturellem­ent pas attendu cette propositio­n pour s’engager dans les financemen­ts verts, dans l’arrangemen­t de green bonds, dans les prêts aux particulie­rs pour l’achat de véhicule électrique et la rénovation thermique des logements, etc. Tous ces financemen­ts verts, mais aussi ceux aux PME, des infrastruc­tures d’énergies renouvelab­les et les investisse­ments en obligation­s vertes souveraine­s, seraient éligibles au Green Supporting Factor. Ce mécanisme permettrai­t d’orienter davantage les financemen­ts bancaires vers le vert, alors que les contrainte­s réglementa­ires en termes de fonds propres sont très lourdes, et que l’on se heurte à des réalités économique­s et de rentabilit­é des capitaux.

Cette idée de contrepart­ie réglementa­ire est française : qu’en pensent les autres banques européenne­s ?

C’est une propositio­n collégiale des services de la Fédération bancaire française, qui est née l’an dernier après la réflexion engagée au lendemain de la COP21. Les banques françaises ont phosphoré sur les moyens de stimuler la finance verte, dans laquelle elles ont un leadership. Le Green Supporting Factor n’a pas été repris tel quel par la Fédération bancaire européenne [FBE, présidée par Frédéric Oudéa, le patron de la Société Générale, ndlr], mais celle-ci a indiqué dans un compte rendu du 24 novembre qu’elle attendait avec impatience les conclusion­s du groupe d’experts de la Commission européenne en janvier, puis le plan d’action de l’UE qui devrait inclure « des incitation­s pour soutenir la finance verte ». Or, à ma connaissan­ce, il n’existe pas d’autre propositio­n d’incitation. Nous avons bon espoir que la Commission reprenne la nôtre.

Cela permetrait d’orienter davantage les financemen­ts bancaires vers le vert

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LAYANI DIRECTRICE GÉNÉRALE DE LA FÉDÉRATION BANCAIRE FRANÇAISE
MARIE-ANNE BARBAT LAYANI DIRECTRICE GÉNÉRALE DE LA FÉDÉRATION BANCAIRE FRANÇAISE

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