La Tribune Hebdomadaire

LA GUERRE DES OPÉRATEURS TERRESTRES ET SPATIAUX

Comment connecter à Internet deux millions de Français ? Opérateurs terrestres et spatiaux se déchirent. Le gouverneme­nt a, semble-t-il, opté en faveur d’une capacité satellitai­re pour une petite partie de ce marché. « Inacceptab­le », en l’état, pour Oran

- ET MICHEL CABIROL PIERRE MANIÈRE @mcabirol @pmaniere

Le dossier est explosif. À l’occasion de la Conférence nationale des territoire­s prévue le 14 décembre à Cahors, Édouard Philippe va-t-il siffler la fin des guerres picrocholi­nes entre Orange et la filière spatiale française, qui se déchirent sur les solutions pour réduire la fracture numérique dans les zones les plus difficiles à couvrir? C’est fort possible. De quoi parle-t-on ? Comme Emmanuel Macron souhaite que tous les Français dispose a minima d’un « bon débit » (soit une connexion Internet fixe comprise entre trois et huit mégabits par seconde) en 2020, en attendant le « très haut débit » (au moins 30 mégabits par seconde) en 2022, les opérateurs terrestres et spatiaux se battent pour servir à moindres frais près de deux millions de foyers. Au train où vont les choses, ces derniers, généraleme­nt situés dans des campagnes isolées ou en montagne, ne bénéficier­aient toujours pas d’un débit d’au moins huit mégabits par seconde via les solutions filaires en 2022, selon le think tank Idate. Pour éviter cela, selon nos informatio­ns, l’Élysée et Matignon semblent avoir opté en faveur d’une solution portée en partie par la filière spatiale française (Eutelsat, Thales et Airbus), qui souhaite qu’Orange commercial­ise une capacité satellitai­re pour un marché évalué entre 500000 et 800000 foyers. Du sur-mesure pour une solution satellitai­re capable de connecter, par exemple, les habitats en montagne dispersés. Ce qui fait, en l’état, hurler l’opérateur historique. Jusqu’ici très discret, Orange, qui a été contraint de sortir du bois, s’oppose à cette solution qu’il juge trop chère… à ses dépens. La filière spatiale veut donc « une guidance claire de la part de l’État ». Depuis mardi dernier, les réunions s’enchaînent à Bercy, Matignon et l’Élysée pour trouver un montage acceptable par toutes les parties. Contacté par La Tribune, Matignon n’a pas souhaité répondre à nos questions.

DEUX SATELLITES POUR RÉDUIRE LA FRACTURE NUMÉRIQUE

Dans ce contexte, Eutelsat, qui avait été recadré le 24 octobre par le gouverneme­nt lors du dernier comité de concertati­on État-industrie sur l’espace (CoSpace), a dû revoir sa stratégie. Cet été, l’opérateur de satellites avait proposé au gouverneme­nt de connecter en partie 800 000 foyers français avec le satellite américain ViaSat-3 construit par Boeing, qui pourrait être lancé en 2020. Inacceptab­le pour les trois ministères en charge du dossier (Armées, Recherche – pour l’Espace – et Économie) ainsi que Thales et Airbus. Dans la foulée, Eutelsat a donc remis au gouverneme­nt une série de propositio­ns, le 10 novembre dernier. Aujourd’hui réunie à nouveau au sein d’une alliance souhaitée par les trois ministères, la filière spatiale française propose de couvrir environ 540000 foyers, via deux satellites, selon nos informatio­ns. Ainsi, Eutelsat promet de dégager dans un premier temps de la capacité à partir du satellite tout électrique baptisé Satellite Haut Débit Afrique, actuelleme­nt construit par… Thales Alenia Space (TAS) et qui doit être lancé en 2019. Il est destiné initialeme­nt aux particulie­rs et aux entreprise­s africaines mais l’opérateur promet de réserver de la capacité à la France en vue de connecter environ 190 000 foyers français avec un débit de

huit mégabit par seconde, sans trop pénaliser pour autant les futurs clients africains. C’est le premier étage de la fusée. Problème, il ne reste plus beaucoup de temps pour finaliser ce satellite, et notamment sur la façon d’orienter les antennes. Une question de jours, « d’ici à la fin de l’année », assure-t-on à La Tribune. Dans un second temps, pour compléter la couverture, Eutelsat dispose aujourd’hui de deux solutions. Il privilégie, selon un proche du dossier, la constructi­on d’un très gros satellite de type ViaSat-3 par TAS… jusqu’ici partenaire de SES sur ce dossier – informé par Thales, l’opérateur luxembourg­eois a très bien compris la position du gouverneme­nt français, qui voulait une équipe de France. Ce satellite fournirait 350 000 foyers supplément­aires avec un débit 30 mégabit par seconde. Toutefois, Airbus est également à l’affût. Le patron des activités spatiales du constructe­ur, Nicolas Chamussy, a rappelé, mercredi dernier, au séminaire spatial d’Euroconsul­t qu’il avait lui aussi une solution pour participer à la réduction de la fracture numérique. Airbus propose la constructi­on d’un petit satellite lancé le plus rapidement possible. Cette capacité serait complétée par la future constellat­ion OneWeb de l’américain Greg Wyler (900 petits satellites), dont l’entrée en service commercial­e est prévue à partir de 2020. En clair, une compétitio­n dans la compétitio­n. Enfin, les deux constructe­urs se partagerai­ent le segment sol (infrastruc­tures). Selon nos informatio­ns, Eutelsat promet à Orange de lui vendre de la capacité pour 14 euros environ par foyer au tarif de dégroupage. Ensuite, l’opérateur la vendrait aux particulie­rs près de 40 euros pour une offre de huit mégabit par seconde, et plus de 60 euros pour celle avec un débit 30 mégabits par seconde. « Nous souhaitons

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L’Élysée et Matignon ont fait appel à la filière spatiale pour venir en aide aux deux millions de Français qui ne bénéficien­t pas d’un débit d’au moins huit mégabits par seconde.
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Eutelsat préconise la constructi­on d’un gros satellite, de type ViaSat-3, par Thales Alenia Space.

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