La Tribune Hebdomadaire

FRANCE-ARABIE SAOUDITE : RIEN NE VA PLUS

Paris et Ryad ne sont plus tout à fait alignés sur une vision géostratég­ique commune de la région du Golfe. Car à être trop proche des positions saoudienne­s, la France n’a pas été respectée par son partenaire.

- MICHEL CABIROL @mcabirol

Entre Paris et Ryad, c’est désormais très clair après une période d’incompréhe­nsion. Si, dans un premier temps sous le quinquenna­t de François Hollande, la France était trop proche des attentes de l’Arabie saoudite, qui n’a jamais renvoyé l’ascenseur, aujourd’hui, les deux pays ne sont plus tout à fait alignés sur une vision géostratég­ique commune de la région. Notamment sur des dossiers géopolitiq­ues aussi explosifs que l’Iran, le Liban et le Qatar… Deux crises majeures ont d’ailleurs été évitées in extremis par les États-Unis notamment, car Ryad était, semble-t-il, tout prêt à en découdre avec le Qatar, puis à aller bombarder le Liban, selon plusieurs experts de la politique moyen-orientale, interrogés par La Tribune, qui étaient très inquiets de la situation au Moyen-Orient. Lors de sa visite les 15 et 16 novembre, le ministre des Affaires étrangères, JeanYves Le Drian, a rappelé à ses interlocut­eurs – le roi Salman, le prince héritier Mohammed bin Salman bin Abdul Aziz et son homologue, Adel al-Joubeir – qu’il était important d’éviter « toute ingérence et de respecter le principe de souveraine­té dans la région ». Le patron du Quai a confirmé « l’attachemen­t de la France à la stabilité du Liban dans ce contexte » et a appelé à trouver une « solution politique » en Syrie et au Yémen.

VISITE SURPRISE DE MACRON

Dans ces crises successive­s, la France d’Emmanuel Macron s’est posée en médiateur. C’est tout le sens de la visite surprise d’Emmanuel Macron à Ryad le 9 novembre, organisée sur les très bons conseils du prince héritier d’Abu Dhabi et commandant en chef adjoint des forces armées des Émirats Arabes Unis, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, l’ami de la France dans la région. Car l’Arabie saoudite ne comprenait plus les positions diplomatiq­ues de la France, notamment à propos de l’Iran. Cette rencontre a donc permis de clarifier les relations bilatérale­s entre les deux pays, sans toutefois les aligner. Car les échanges entre le nouvel homme fort du royaume, le prince héritier et ministre de la Défense Mohammed bin Salman bin Abdul Aziz et Emmanuel Macron, qui sont pourtant de la même génération ou presque, ont semble-t-il été parfois musclés, selon nos informatio­ns. Le prince héritier saoudien a expliqué au président français que les entreprise­s françaises, à l’image des groupes américains, pourraient bénéficier de contrats de la part du royaume à condition de ne pas commercer avec… l’Iran. Ce qui a visiblemen­t fait tiquer Emmanuel Macron, qui lui aurait répondu qu’on ne parlait pas comme cela de la France. Ce qui dénote une prise de conscience et une réorientat­ion de la diplomatie française vis-à-vis de Ryad. Car pendant cinq ans, Paris a accordé un véritable blanc-seing à la politique internatio­nale saoudienne. Trop et en pure perte, malgré les promesses de contrats mirifiques promis à la France. Mais l’Arabie saoudite n’a finalement jamais renvoyé l’ascenseur à Paris ou très peu. Il semble donc que la France se défasse quelque peu de cette politique d’alignement sans faille entre Ryad et Paris.

En outre, l es groupes français qui vendent en Iran ne sont pas si nombreux que cela (Total, les avionneurs Airbus, ATR, les constructe­urs automobile­s PSA et Renault, Orange…). En revanche, Vinci aurait jeté l’éponge sur un projet de constructi­on d’un aéroport de province en Iran en raison de pressions américaine­s, selon nos informatio­ns. Pour autant, les groupes américains ne sont pas en reste en Iran, à commencer par Boeing… L’attitude de l’Arabie saoudite entre la France et les États-Unis relève bel et bien du deux poids, deux mesures. « La France ne choisit pas un camp, a récemment confirmé de façon très claire le Quai d’Orsay. Elle parle à tous, même si elle a bien sûr avec les pays de la région des relations différente­s qui ont chacune leur histoire. » Paris souhaite donc s’éloigner de la ligne diplomatiq­ue de François Hollande et de Laurent Fabius, qui l’avaient aligné sur les décisions géopolitiq­ues de l’Arabie saoudite. Tout en restant attaché à la paix et à la stabilité aux Proche et Moyen-Orient, qui est une région clé pour sa sécurité. Ainsi, explique le Quai d’Orsay ; « notre objectif premier est de trouver une solution négociée aux crises régionales et de réduire les tensions par le dialogue, dans le respect de la souveraine­té de chacun ». Et de marteler que le partenaria­t historique avec l’Arabie saoudite « ne nous interdit pas de discuter avec l’Iran, qui est un acteur important ».

La France ne choisit pas son camp. Elle parle à tous

Pour autant, la France reste partenaire et allié de l’Arabie saoudite. La lutte contre le terrorisme et son financemen­t sont au coeur des relations bilatérale­s entre les deux pays. Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs évoqué, lors de sa visite à Ryad en novembre dernier, les moyens de renforcer la mobilisati­on commune, avec en perspectiv­e la conférence sur la lutte contre le financemen­t du terrorisme que la France organisera au printemps 2018. La France a également condamné le tir sur le sud de l’Arabie saoudite par les rebelles houthis, d’un missile en provenance du Yémen, le 30 novembre. « Nous nous tenons aux côtés de l’Arabie saoudite face aux menaces auxquelles elle est confrontée et réaffirmon­s notre soutien à sa sécurité », a expliqué le Quai d’Orsay. Pour Paris, les parties yéménites doivent, sans préconditi­ons, reprendre les négociatio­ns pour parvenir à un règlement de la crise.

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En effectuant une visite surprise à Ryad le 9 novembre, pour rencontrer notamment le prince héritier Mohammed bin Salman bin Abdul Aziz, Emmanuel Macron tentait de se poser en médiateur des crises régionales.
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Mohammed bin Salman bin Abdul Aziz, prince héritier et ministre de la Défense, est le nouvel homme fort du régime.

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