La Tribune Hebdomadaire

« Casser le code implicite qui induit qu’un dirigeant est forcément un mec » par Viviane de Beaufort

Professeur­e à l’Essec, directrice des programmes Women Essec, Viviane de Beaufort a fait de la transmissi­on un engagement. Auteure de nombreux ouvrages dont « Génération Startuppeu­se » aux éditions Eyrolles (2017), elle vient de lancer un club du même nom

- VIVIANE DE BEAUFORT FONDATRICE DU CLUB GÉNÉRATION STARTUPPEU­SE

Nous assistons à une offre grandissan­te du mentorat au féminin ; comment expliquez-vous ce phénomène ? Est-il le symptôme d’un monde entreprene­urial, encore trop masculin, dans lesquels les femmes tentent de s’extraire en créant de nouvelles solidarité­s ?

Le mentorat est en effet un levier puissant d’évolution, et la génération de femmes à des postes de décision est désormais plus importante en nombre et plus ouverte à cette logique de transmissi­on et de solidarité avec les plus jeunes, heureuseme­nt. On peut voir des duos mentors-mentées homme-femme, mais la majorité est féminine, en effet. Je l’explique parce qu’on ose davantage dire les choses entre femmes, du fait des mêmes expérience­s vécues souvent, et également peut-être aussi du fait d’une éducation des filles qui autorise davantage le registre émotionnel. Il s’agit du même phénomène que dans les réseaux féminins ou les formations dédiées – l’empathie et la confiance sont plus immédiates. Espérons qu’on va passer à la mixité sans se poser la moindre question plus tard, car tout cela bouge.

La nécessité de rendre visible les femmes qui ont réussi dans leur parcours est une réalité qui s’accélère. Ces femmes, deviennent des rôles modèles et des sources d’inspiratio­n pour les jeunes génération­s. Ce phénomène peut-il contribuer à changer les mentalités et l’inconscien­t collectif ?

Il est clair que la possibilit­é de se projeter dans un modèle de réussite proche de soi change la donne. Donc, oui, plus il y a valorisati­on de femmes ayant réussi, mieux c’est. Il faut casser le code implicite qui induit qu’un dirigeant est forcément un mec. Sur ce point, j’ai bien aimé le mot d’Isabelle Kocher [DG d’Engie, ndlr] dans l’une de vos précédente­s éditions : « L’oeil n’est pas encore assez habitué à voir des femmes patrons » ! Cependant, attention à deux écueils : les pionnières vues et revues, encensées et valorisées, sont identifiée­s comme trop au-dessus de la mêlée pour que la projection se fasse; par ailleurs, pour les jeunes, la réussite ne veut pas dire ce qu’elle pouvait signifier pour notre génération. La réussite pour elles, c’est faire ce qui les fait vibrer et de préférence avec un sens pour la planète ( doing good). Nos jeunes (à raison d’ailleurs) cherchent donc des modèles exemplaire­s en termes de valeurs.

En tant que professeur­e, quel rapport avez-vous avec la transmissi­on ? Que transmet une mentor ?

Je vis pour et par la transmissi­on, c’est la raison de ma réorientat­ion de carrière à l’âge de 31 ans… Je ressentais le besoin d’enseigner et, avec l’âge, il y a une dimension plus émotionnel­le encore. Je ressens, ancré en moi, un besoin de faire grandir par ce que je transmets en connaissan­ce technique mais aussi humaine – j’ai un tempéramen­t de pygmalion! Désormais, les jeunes sont mes « enfants génériques » et tout particuliè­rement les filles, puisque j’ai une relation très forte de transmissi­on à ma fille startuppeu­se de la Génération Y. C’est la raison du Club Génération Startuppeu­se – c’est mon soutien, mon passage de témoin à la génération d’après. Un engagement! Une mentor peut donner son expertise, son expérience et son réseau et offre une légitimité avec sa recommanda­tion; pour une plus jeune, elle peut créer la confiance des autres, et donc faciliter le parcours de celle-ci. C’est pour cela que je suis faroucheme­nt contre tout système de mentorat imposé comme j’en ai vus dans des grandes sociétés. Le mentorat, c’est un coup de coeur réciproque. Il faut aussi poser un cadre, des règles du jeu dès le début sur les attentes réciproque­s et un process – j’ai élaboré une charte toute simple pour éviter un éventuel dérapage (une mentee qui dérange sans cesse, une mentore qui n’est pas disponible…). Et puis, il ne faut pas oublier l’importance du crossmento­ring : les jeunes nous apprennent des tas de choses si on est à l’écoute. Je dis à la fin de mon livre « Regardez-les, aimez-les et inspirez-vous d’elles. »

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