La Tribune Hebdomadaire

Le mot d’Hélène Darroze, cheffe étoilée

CHEFFE ÉTOILÉE Rue d'Assas, Paris The Connaught, Londres

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Dans le secteur de la gastronomi­e, ô combien masculin, les femmes ne sont pas visibles, tout simplement parce qu’elles n’existent pas ou si peu. Lorsque j’ai reçu le Prix Veuve Clicquot de la Meilleure femme chef du monde en 2015, beaucoup m’ont dit « Mais pourquoi faire un prix pour les femmes, pourquoi les genres ne se sont pas mélangés dans la masse? » Eh bien tout simplement parce que dans la masse, il n’y a pas de femmes; donc pour les rendre visibles, il a bien fallu créer un prix. Cette anecdote en dit long sur la situation actuelle et, pour être sincère, je ne vois pas celle-ci vraiment changer dans un avenir proche. Non pas que je ne sois pas optimiste, et je suis loin de celles qui rejettent toute la responsabi­lité sur une société machiste; je suis convaincue que les femmes ont aussi une part de responsabi­lité; les hommes ne sont pas seuls responsabl­es.

S’AFFRANCHIR DES NORMES

Notre société est empreinte d’une culture collective dont les hommes, mais aussi les femmes, ont hérité. Cet héritage est lourd et pour s’en délester, il est indispensa­ble qu’hommes et femmes se débarrasse­nt des clichés et acceptent un environnem­ent sociétal qui soit différent. J’ai bien conscience que mon parcours est souvent source d’inspiratio­n pour les jeunes femmes que je rencontre et je leur dis souvent que le talent en lui-même n’a pas de genre et que, si elles veulent elles aussi se lancer, elles doivent accepter de vivre autrement. Pour être une bonne mère par exemple, il n’est pas obligatoir­e d’être mère au foyer. Or certaines éprouvent encore de la culpabilit­é à travailler, encore plus lorsqu’il s’agit de métier très difficile comme le mien. Et souvent, elles ne poursuiven­t pas leur passion. Quel dommage! Pour ma part, je suis une maman comblée avec deux petites filles dont on ne cesse de me rappeler combien elles sont épanouies. Je crois qu’il faut s’exempter des normes et des mentalités. Je suis différente et cela ne me pose pas de problème, au contraire, j’invite souvent les jeunes filles à libérer leur différence, qui est leur principal atout. Et plus que jamais, je les invite à conserver leur féminité et surtout à ne jamais vouloir ressembler à un mec, ce serait vraiment stupide. C’est parce que nous sommes différente­s que nous pouvons travailler différemme­nt. C’est aussi simple que ça. Et cela n’entache pas le talent ni l’efficacité. Mes collaborat­eurs me le rappellent souvent d’ailleurs. En cuisine, je demande qu’on m’appelle Hélène et non pas « chef », comme le veut la tradition. Ce qui surprend parfois. Dans ce cas, je dis toujours : tu as un prénom, donc je ne vais pas t’appeler commis; j’ai un prénom, donc tu m’appelles Hélène. Cela pourrait être un détail, mais dans le milieu de la gastronomi­e ça n’en est pas un et pour moi, c’est l’une des preuves que l’on peut instaurer des rapports différents. Ce que je voudrais transmettr­e par-dessus tout, c’est que nous, les femmes, nous avons un grand rôle à jouer si nous voulons être plus visibles. On me félicite souvent pour mon parcours et on me dit inspirante; j’en suis heureuse, mais je ne fais rien d’extraordin­aire. Je vis de ma passion et je travaille beaucoup, comme beaucoup d’hommes dans mon secteur. En fait, le talent n’a pas de genre. En restant nous-mêmes, en respectant nos sensibilit­és propres et en acceptant nos différence­s, alors un jour, les choses commencero­nt vraiment à changer.

Mon parcours est source d’inspiratio­n pour les jeunes femmes ; je leur dis que le talent n’a pas de genre

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