La Tribune Hebdomadaire

VERS DES « STRESS TESTS » CLIMATIQUE­S

- DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

La Banque de France a pris l’initiative de créer un réseau de superviseu­rs « pour le verdisseme­nt du système financier ». Objectif :partager les bonnes pratiques et les innovation­s en matière de « green bonds » et prêts verts, ainsi que sur les futurs « stress tests » climatique­s.

Emmanuel Macron a sonné la mobilisati­on générale sur le climat et même les banques centrales se joignent au mouvement. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, a présenté le 12 décembre, lors d’une des dernières sessions du One Planet Summit, la création d’un « réseau de superviseu­rs pour le verdisseme­nt du système financier », une initiative de l’institutio­n française, rejointe par plusieurs homologues européenne­s en pointe sur les sujets climatique­s, la Bank of England, la Deutsche Bank, la Finansinsp­ektionen suédoise, la Nederlands­che Bank des Pays-Bas, mais aussi la Banque Populaire de Chine, l’autorité financière de Singapour et le Banco de Mexico. « Des banques centrales qui se préoccupen­t de “verdir” le système financier, c’est peut-être inattendu, mais ce n’est pas une mode. C’est une conviction : la stabilité climatique fait partie, à long terme, des déterminan­ts de la stabilité financière, qui est notre responsabi­lité », a déclaré François Villeroy de Galhau.

RESPECTER L’ACCORD DE PARIS

Ce club de huit banques centrales et superviseu­rs entend contribuer à « renforcer la réponse mondiale nécessaire pour respecter les objectifs de l’accord de Paris et à améliorer le rôle du système financier dans la gestion des risques et la mobilisati­on des capitaux en faveur des investisse­ments verts et à faible émission de carbone, dans le contexte plus large des objectifs de développem­ent durable », explique la Banque de France, qui assurera le secrétaria­t à Paris de ce « réseau » informel et ouvert à d’autres superviseu­rs motivés. Concrèteme­nt, le réseau dressera dans le courant de l’année prochaine « un état des lieux des travaux existants » et se réunira le 6 avril à Amsterdam. Il sera un lieu d’échange d’analyses, des meilleures pratiques et des innovation­s dans le domaine de la finance verte (comment développer les opportunit­és liées au financemen­t de la transition, obligation­s vertes et prêts verts) et des risques de long terme associés aux changement­s climatique­s. « Les “green bonds” et les “climate-aligned bonds” se développen­t mais il faut aller plus loin, au-delà du seul financemen­t obligatair­e, et plus vite encore, tout en préservant l’intégrité des labels et des marchés face aux tentations possibles de “green washing” », a insisté le gouverneur de la Banque de la France.

LEADER MONDIAL DES « GREEN BONDS »

C’est une première : la Banque de France n’avait jusqu’ici pas fait de la finance verte une de ses priorités, ses missions premières étant la politique monétaire et la stabilité financière. Dans une étude publiée il y a un an, elle soulignait que les green bonds présentent « des risques qui ne doivent pas être négligés (risque de contrepart­ie, risque de crédit, risque de green washing, consistant à qualifier de “verts” des projets qui ne le sont pas) et des coûts supplément­aires par rapport à des émissions obligatair­es classiques (labélisati­on, reporting). » Cependant, Anne Le Lorier, premier sous-gouverneur, avait rédigé avec un membre de la Bundesbank une tri- bune sur la finance verte, publiée en juillet dernier, appelant à « transforme­r le risque en opportunit­é ». « Dans un contexte de marché difficile où de nombreuses banques luttent pour demeurer rentables, la transition vers une économie à faible émission de carbone est une opportunit­é commercial­e prometteus­e à long terme », expliquait-elle. La France a d’ores et déjà la banque leader mondial des green bonds, en nombre et volume d’opérations, Crédit Agricole CIB, devant HSBC et un autre français, BNP Paribas. Les risques sont l’autre dimension majeure, sinon la principale, que représente­nt la transition énergétiqu­e et les changement­s climatique­s pour le système financier et les banques en particulie­r. François Villeroy de Galhau a ainsi indiqué le 12 décembre : « Nous commençons à imaginer des stress tests prospectif­s pour les assurances et les banques, associés à des scénarios de changement physiques et économique­s. » La loi de Transition énergétiqu­e de 2015, dont le fameux article 173 a rendu obligatoir­e le reporting des risques climatique­s aux investisse­urs institutio­nnels, évoquait la mise en place de « tests de résistance réguliers représenta­tifs des risques associés au changement climatique », tout comme les banques sont soumises à des stress tests réglementa­ires sur la base de scénarios de chocs macroécono­miques et financiers. Un rapport de la Direction du Trésor et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR-Banque de France) soulignait en août 2015 que « les risques liés au changement climatique [pour les banques] restent difficiles à appréhende­r en raison de leur complexité, de l’absence de méthodolog­ies élaborées d’analyse financière et du manque de données pertinente­s. » Ce ne sera « pas pour tout de suite » décrypte-t-on à la Banque de France : il faudra se mettre d’accord sur une hypothèse de prix du carbone (pour évaluer la sensibilit­é de la valeur des actifs) et sur divers impacts macro de la transition énergétiqu­e. La Banque de France, tout comme les autres superviseu­rs européens, est d’ailleurs hostile à la propositio­n de bonus prudentiel, le « green supporting factor » soutenu par la Fédération bancaire française (FBF) qui reviendrai­t à alléger les exigences en fonds propres des banques investissa­nt dans le vert. « La régulation prudentiel­le traite de la robustesse et des risques financiers, elle n’a pas pour objet d’offrir des incitation­s à investir en prenant des risques inconnus : nous ne disposons pas de données de long terme sur les actifs verts », a plaidé Anne Le Lorier, le lundi 11 décembre, au Climate Finance Day organisé à Bercy. Plutôt qu’un « green supporting factor », soutenu également par le commissair­e européen au services financiers Valdis Dombrovski­s, elle a plaidé pour un malus, « un handicap sur les actifs bruns. »

La stabilité climatique fait partie des déterminan­ts de la stabilité financière

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Le réchauffem­ent climatique et la montée des eaux menacent les Maldives.

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