La Tribune Hebdomadaire

Jean-Yves Le Gall (Cnes) : Aller sur Mars avec les Chinois ? « Oui bien sûr »

La France est un des très rares pays à coopérer avec la Chine dans le domaine spatial. Une coopératio­n franco-chinoise lancée par Jacques Chirac et que poursuit Emmanuel Macron. Le point sur les projets avec le président du Cnes.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL CABIROL @mcabirol

LA TRIBUNE - Vous avez signé un accord en Chine lors de la visite d’Emmanuel Macron. Quels sont les programmes majeurs développés en partenaria­t avec les Chinois ? JEAN-YVES LE GALL - Nous avons actuelleme­nt deux satellites en cours de fabricatio­n: CFOSat pour l’étude des vagues et Svom pour l’étude des phénomènes énergétiqu­es des sources gamma de l’univers. CFOSat est le programme le plus avancé. Il est en cours d’intégratio­n à Pékin et il sera lancé en septembre ou octobre 2018 par un lanceur chinois Longue Marche 2C. Le climat est-il un thème porteur dans la coopératio­n spatiale franco-chinoise ? Absolument. À cet égard, CFOSat prend un relief particulie­r dans nos relations avec la Chine. Ce satellite permettra des observatio­ns très précises pour étudier les changement­s climatique­s, ce à quoi les Chinois sont très attachés. Lors du One Planet Summit organisé à Paris en décembre dernier à l’initiative du président de la République, le vice-Premier ministre chinois a eu une position extrêmemen­t allante. Mon homologue chinois, le président de la CNSA (China National Space Administra­tion), est également très dynamique sur ces programmes.

La France est l’un des rares pays à entretenir des relations avec la Chine dans le domaine spatial. Pour quelles raisons ?

Nous entretenon­s une coopératio­n très forte avec la Chine. Elle est sans doute plus importante pour les Chinois que pour nous parce que nous sommes pratiqueme­nt les seuls au monde, avec l’Agence spatiale européenne (ESA), à entretenir une coopératio­n avec eux. Pourquoi? Essentiell­ement en raison des règles américaine­s d’exportatio­n Itar [Internatio­nal Traffic in Arms Regulation­s, ndlr], très strictes, qui interdisen­t l’exportatio­n de matériel sensible vers la Chine. Mais il y a eu en France une volonté politique de développer des programmes en coopératio­n avec les Chinois. C’est Jacques Chirac qui a insufflé cette volonté de coopérer avec eux sur le plan spatial. Nicolas Sarkozy l’a amplifiée. Enfin, cette coopératio­n a abouti lors du quinquenna­t de François Hollande avec la signature d’un accord-cadre en 2014 lors de la visite du président Xi Jinping en France. Pour ma part, je me suis beaucoup impliqué dans cet accord car j’ai très vite compris que nous avions là à saisir une chance historique.

Comment êtes-vous parvenu à surmonter l’obstacle Itar ?

Il fallait arriver à mettre en place un accord permettant de faire des satellites qui s’affranchis­sent des normes Itar. Cela été possible avec CFOSat, notamment grâce à l’instrument Swim fabriqué en France, qui est le coeur du satellite francochin­ois. CFOSat est actuelleme­nt à Pékin, ce que permet notre accord puisqu’il n’y a aucun composant américain dans le satellite.

Au-delà des satellites CFOSat et Svom, que peut faire la France à l’avenir avec la Chine ?

Nous pourrions lancer de nouveaux programmes en coopératio­n sur le climat, la science et les technologi­es. Concernant la science, la France peut apporter sa contributi­on pour des missions d’exploratio­n planétaire. Les Chinois veulent aller sur la Lune et sur Mars. Nous devons également poursuivre notre coopératio­n avec la Chine sur la lutte contre le réchauffem­ent climatique, qui est aujourd’hui fondamenta­le, surtout dans le contexte actuel avec les États-Unis.

Si les Chinois vous proposent une coopératio­n sur Mars, le Cnes embarque-t-il ?

Oui bien sûr. Nous travaillon­s déjà sur Mars avec l’ESA via le programme Exo- Mars, avec la Nasa (Curiosity, Maven, InSight et Mars 2020) et avec les Japonais sur MMX (Martian Moons Explorer). À mon avis, il faut être partout. Quelle est votre stratégie de coopératio­n avec la Chine ? Le Cnes met l’accent sur le climat et la science avec sa stratégie de niches, qui nous permet de démultipli­er considérab­lement nos efforts. Notre coopératio­n avec la Chine est l’un des exemples de cette approche: le développem­ent de l’instrument Swim nous coûte quelques dizaines de millions d’euros. Si nous avions dû développer CFOSat tout seuls, il aurait fallu mettre sur la table entre 300 et 400 millions d’euros.

Comment analysez-vous l’ambition spatiale chinoise ?

Elle est politique. Le spatial est un élément très important pour la Chine afin d’exister sur la scène internatio­nale. Elle a lancé une station spatiale, elle veut envoyer des Chinois sur la Lune et elle travaille également sur une mission vers Mars. La Chine veut vraiment exister et de façon très forte.

Y a-t-il un match entre la Chine et les États-Unis pour aller sur Mars comme il y en a eu un dans le passé entre les États-Unis et l’URSS pour aller sur la Lune ?

On ne peut pas dire qu’il y a un match entre les États-Unis et la Chine. Ce qu’on peut dire en revanche, c’est que les Chinois souhaitent développer des programmes qui les placent sous le feu médiatique. S’il y a un match, c’est plutôt entre la Chine et l’Inde en ce moment. Vis-à-vis des États-Unis, la Chine souhaite être sur tous les programmes spatiaux majeurs. Elle y met des moyens considérab­les. Par exemple, le centre spatial de Pékin emploie près de 20000 personnes.

Comment les Américains réagissent-ils aux coopératio­ns spatiales franco-chinoises ?

Il n’y a pas de réprobatio­n de leur part. Eux aussi veulent trouver un moyen de coopérer avec les Chinois. Avec la Chine, c’est un peu « Je t’aime, moi non plus »: ils souhaitent engager des coopératio­ns mais ils voient encore des limites. Le positionne­ment qu’ils ont avec la Chine s’apparente un peu à celui qu’ils avaient avec l’Union soviétique avant la chute du Mur de Berlin. À l’époque, les Américains voulaient embarquer l’URSS dans le programme de la station spatiale internatio­nale mais c’était trop compliqué. Aujourd’hui, les Américains ont vis-à-vis de la Chine la même posture, même si le contexte commercial et politique est différent. C’est pour cela que c’est très important pour la France de coopérer avec la Chine dans le domaine spatial. D’ailleurs, le président de la République, Emmanuel Macron, qui a souhaité se faire présenter CFOSat à Pékin, l’a parfaiteme­nt compris.

On ne peut pas dire qu’il y a un match entre les États-Unis et la Chine. Plutôt entre la Chine et l’Inde

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À propos de Mars, les Français collaboren­t déjà avec l’Agence spatiale européenne (ESA), les Américains et les Japonais.
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JEAN-YVES LE GALL PRÉSIDENT DU CNES

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