La Tribune Hebdomadaire

Mobile : alliance contre les zones blanches

Le gouverneme­nt et les quatre grands opérateurs télécoms ont signé un accord pour une meilleure couverture en téléphonie mobile et Internet des territoire­s les moins peuplés de l’Hexagone. Pour accélérer les déploiemen­ts et baisser les coûts, Orange et Fr

- PIERRE MANIÈRE @pmaniere

ElleS auraient bien pu capoter. Les négociatio­ns entre l’État et les grands opérateurs télécoms sur l’accélérati­on de la couverture mobile ont été très tendues pendant des mois. In fine, malgré les grognement­s des responsabl­es du budget à Bercy, les acteurs ont trouvé un terrain d’entente et annoncé un accord le 14 janvier. Une sorte de partenaria­t « gagnant-gagnant », se sont-ils tous félicités ces derniers jours. Aux yeux de l’exécutif, cet accord, qualifié d’« historique », doit permettre d’en finir, à l’horizon de trois ans, avec l es « zones blanches », où le mobile ne passe toujours pas, tout en améliorant sensibleme­nt la couverture des campagnes et des territoire­s les moins peuplés du pays. Ce résultat est une bonne nouvelle pour Emmanuel Macron, qui, pendant sa campagne, avait fait de la couverture numérique de la France une de ses grandes priorités. Pour y arriver, un deal était nécessaire avec les opérateurs. Pourquoi ? Parce que si Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ne ménagent pas leurs efforts pour apporter la téléphonie et l’Internet mobile dans les grandes villes, ils en font bien moins pour les zones rurales et peu denses, jugées peu – voire pas – rentables. Pour les inciter à investir dans ces territoire­s, le gouverneme­nt a fait un arbitrage politique. L’idée était de profiter de l’opportunit­é du renouvelle­ment de certaines licences d’utilisatio­n de fréquences pour demander aux opérateurs de mieux couvrir l es zones rurales. Car les fréquences, qui sont indispensa­bles à Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free pour proposer leurs services, appartienn­ent à l’État. Celui-ci les leur loue contre de très grosses sommes d’argent. Ainsi, fin 2015, les opérateurs ont déboursé quelque 2,8 milliards d’euros pour obtenir de nouvelles fréquences (dans la bande dite des 700 MHz). Or, pour la réattribut­ion prochaine de s pectre (concernant l e s bandes 900 MHz, 1 800 MHz et 2,1 GHz), l’État a décidé de renoncer, pour la première fois, à un jackpot financier. Plutôt que de faire en sorte de récupérer l e plus d’argent possible auprès des opérateurs, il a demandé à ces derniers, en échange d’un renouvelle­ment de ces licences pour dix ans, des investisse­ments importants dans leurs réseaux en zone rurale. Ce qui revient à leur réclamer de déployer, sur leurs fonds propres, davantage d’antennes mobiles dans les bourgs et villages aujourd’hui peu ou pas couverts. Au total, selon le gouverneme­nt, les opérateurs y investiron­t aux alentours de 3 milliards d’euros.

ET AUSSI LES « ZONES GRISES »

Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont donc finalement tous joué le jeu. Même s’ils ont eu parfois du mal à se mettre d’accord, sachant que chacun défend un business model différent. La question, cruciale, du niveau de mutualisat­ion des infrastruc­tures – essentiell­e pour réduire les coûts et accélérer les déploiemen­ts d’antennes mobiles –, en est une bonne illustrati­on. Ainsi, Orange n’en voulait pas trop pour

préserver sa qualité de service. Au contraire de Free qui, désireux de maintenir ses coûts au plus bas, militait pour un haut niveau de mutualisat­ion. Ironie de cet accord, l’opérateur historique et celui de Xavier Niel pourraient bien, selon nos informatio­ns, signer un accord de partage des infrastruc­tures mobiles d’ici quelque temps. D’après une source proche du dossier, Orange devrait prochainem­ent proposer à Free une offre d’accès à un nombre élevé de ses sites actuels. Elle porterait aussi sur la coconstruc­tion de nouveaux sites. Cette offre concernera­it une zone dite de « déploiemen­t prioritair­e » (ou ZDP), qui couvre 63 % du territoire, essentiell­ement dans les zones rurales et peu denses. Interrogés par La Tri b u n e , Orange e t Fr e e n’ont pas souhaité commenter cette informatio­n. Pourquoi Orange vat-il faire une telle offre à son rival ? La réponse se trouve dans les différente­s versions des propositio­ns d’accord sur le mobile élaborées par l’Arcep, le régulateur des télécoms, auxquelles La Tribune a eu accès. Pour doper sensibleme­nt la couverture du territoire dans les zones rurales, l’Arcep, qui a mené aux côtés du gouverneme­nt les négociatio­ns avec les opérateurs, a dès le début milité pour une grosse dose de mutualisat­ion des infrastruc­tures dans la ZDP. Car le problème, dans ces territoire­s, c’est que, outre les « zones blanches », on compte beaucoup de zones estampillé­es « grises », c’est-à-dire peu ou mal couvertes par les opérateurs.

UNE OBLIGATION IMPOSÉE PAR L’ARCEP FAIT JASER

Pour remédier à cette situation, l’autorité de régulation a inscrit une dispositio­n contraigna­nte. Dès sa première propositio­n d’accord, elle a ainsi introduit une « obligation de consultati­on préalable », pour tous les opérateurs, concernant toute nouvelle constructi­on de pylône de téléphonie mobile dans la ZDP. Obligation qui permet aux concurrent­s qui le souhaitent d’y greffer leurs propres équipement­s radio, tout en partageant certaines infrastruc­tures (liées à l’alimentati­on en énergie, par exemple). Dans le jargon des télécoms, c’est ce qu’on appelle la « mutualisat­ion passive ». À la lecture de cette dispositio­n de l’Arcep, l’état-major d’Orange a vu rouge. Pour l’opérateur historique, cet engagement était inacceptab­le, parce qu’il balayait, selon lui, tous ses efforts de différenci­ation dans la ZDP. Dans sa première propositio­n, l’Arcep a pourtant ajouté une précision importante: elle pourrait lever cette « obligation de consultati­on préalable » pour tous les opérateurs, si un ou plusieurs d’entre eux signaient un contrat d’accord de mutualisat­ion passive en Z DP. Ent r e les lignes, il s’agissait vraisembla­blement d’une incitation à l’adresse d’Orange, de Bouygues Telecom et de SFR à partager leurs sites mobiles avec Free. Car, en tant que dernier arrivé sur le marché du mobile, l’opérateur de Xavier Niel dispose d’un réseau bien moins étoffé que ses concurrent­s. Si Orange a alors commencé à réfléchir à un accord de mutualisat­ion avec son rival, cette situation ne lui plaisait guère. Car, avec ces règles du jeu, Free aurait toujours pu refuser une offre d’Orange. Ce qui aurait entraîné un maintien de l’« obligation de consultati­on préalable ». Les négociatio­ns se sont poursuivie­s, et, fin décembre, dans sa dernière version d’accord, l’Arcep a revu ses exigences. Désormais, si un opérateur fait à un rival soucieux d’améliorer sa couverture mobile en ZDP une offre d’accès à ses sites jugée raisonnabl­e par le régulateur, alors il ne sera plus concerné par l’« obligation de consultati­on préalable ». Autrement dit : si une offre de mutualisat­ion des infrastruc­tures d’Orange à Free s’avère satisfaisa­nte aux yeux de l’Arcep, alors l’obligation sera levée pour l’opérateur historique, même si Free refuse de signer.

Orange proposerai­t à Free une offre d’accès à des sites actuels ou futurs

EFFET DOMINO SUR LES FRÉQUENCES Illustrati­on de la difficulté des négociatio­ns, l’histoire ne s’est pas arrêtée là. En effet, selon notre source, la possibilit­é d’un accord entre Orange et Free aurait, en l’état, été susceptibl­e de rebattre les cartes lors de la procédure de réattribut­ion de la bande de fréquences 1 800 MHz. Pourquoi ? Parce que les concurrent­s de l’opérateur de Xavier Niel craignaien­t qu’en signant un deal avec Orange Free soit mieux classé que l’un d’entre eux au regard d’un critère d’engagement d’aménagemen­t du numérique important pour cette attributio­n : celui de l’améliorati­on de la couverture des réseaux ferrés régionaux, où Free a du retard sur ses rivaux. En effet, selon les règles établies par l’Arcep, si les quatre grands opérateurs nationaux se portent candidats et sont retenus pour l’attributio­n de cette bande de fréquences, les trois premiers, au regard de ce critère, décrochent 20 MHz, contre 15 MHz pour le dernier… Cela aurait pu constituer une menace, par exemple, pour Bouygues Telecom, qui aurait pu perdre des fréquences dans ce cas de figure. Un dispositif a donc été introduit pour éviter cette situation. Il faut noter que, sur le papier, SFR ou Bouygues Telecom pourraient très bien proposer un accord de mutualisat­ion à Free. Cela semble toutefois compliqué, étant donné que l’opérateur au carré rouge et celui de Martin Bouygues sont eux-mêmes déjà liés par un accord de partage des infrastruc­tures dans le mobile dans les zones peu denses. Interrogé à ce sujet, Bouygues Telecom ne fait pas de commentair­e. SFR, de son côté, rappelle simplement qu’il a déjà des obligation­s « de faire droit aux demandes d’itinérance de Free dans ces territoire­s, et leur propose par ailleurs les sites qui sont démontés dans le cadre de son réseau mutualisé avec Bouygues Telecom ». Contactée par La Tribune, l’Arcep n’a pas donné suite à nos sollicitat­ions.

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L’équipement des zones rurales et peu denses est considéré comme peu ou pas rentable par les opérateurs.
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Stéphane Richard (Orange), Olivier Roussat (Bouygues Telecom), Alain Weill (SFR) et Xavier Niel (Free).

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