La Tribune Hebdomadaire

LE PRÉSIDENT DU MEDEF EST-IL DÉJÀ À L’ÉLYSÉE ?

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Dans moins de cinq mois, le 3 juillet prochain, Pierre Gattaz, l’actuel président du Medef, passera la main à son successeur. « Son » parce que, pour l’heure, aucune femme ne se présente. La campagne va s’accélérer dans les prochains mois: après l’entrée dans la compétitio­n de deux candidats issus des territoire­s, Patrick Martin en Auvergne-Rhône-Alpes et Frédéric Motte dans les Hauts-de-France, et celle de Jean-Charles Simon, la bataille va aussi opposer deux candidats issus, l’un de l’industrie, Alexandre Saubot, le président actuel de la puissante fédération de la métallurgi­e, et l’autre des services, Geoffroy Roux de Bézieux, candidat depuis le 24 janvier (lire son entretien pages 6 à 8). Cette élection prend place dans un contexte où l’organisati­on patronale est en plein doute sur son rôle et son avenir. Comme les syndicats, elle est affectée par la crise de représenta­tivité des « corps intermédia­ires ». En panne d’idées neuves dans un monde où tous les repères traditionn­els sont remis en cause par le numérique, le Medef doit se réinventer, se mettre « en marche » à son tour pour acquérir une nouvelle légitimité. Au cours des cinq dernières années, jusqu’à l’élection d’Emmanuel Macron, le mandat de Pierre Gattaz a été celui d’un Medef de combat, d’opposition parfois frontale à la politique menée par François Hollande. Paradoxale­ment, de ce combat, les idées du Medef sont sorties victorieus­es, au point d’avoir contribué à faire éclater la gauche : après le choc fiscal de 2012 et l’affaire des « Pigeons » déclenchée par la surtaxatio­n du capital et des dividendes, la création du CICE et le « pacte de responsabi­lité » ont donné la priorité au rétablisse­ment des marges et de la compétitiv­ité des entreprise­s. L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 est venue parachever ce déplacemen­t du centre de gravité de la politique économique en faveur de l’offre. Baisse programmée de l’impôt sur les sociétés, suppressio­n de la partie « valeurs mobilières » de l’impôt sur la fortune, création de la flat tax à 30 % sur les dividendes et les plus-values : si le Medef n’a pas tout obtenu de son programme revendicat­if, loin s’en faut, ses idées l’ont emporté avec l’arrivée à l’Élysée d’un jeune président de la République pro-business, déterminé à réformer le pays. De sorte que l’on pourrait se demander: à quoi sert donc le Medef dans la France de Macron? On serait tenté de répondre à rien ou à pas grand-chose, sinon à accompagne­r le nouveau pouvoir dans sa volonté de transforma­tion. Le souhait d’Emmanuel Macron de réformer l’assurance chômage en la rendant universell­e, pour l’étendre aux indépendan­ts et aux démissionn­aires, prépare de facto la fin du « paritarism­e de gestion » tel qu’on l’a connu depuis 1945. L’État se retrouve désormais en première ligne pour assurer le socle minimal de protection sociale, ce qui n’est pas anormal puisque les déficits sont désormais garantis par le contribuab­le public. Que faire du Medef dans ce nouveau monde? Dès lors qu’il est presque assuré qu’il devra moins mettre les mains dans le cambouis du paritarism­e, son rôle va évoluer vers celui d’une force de lobbying, de propositio­n, pour défendre l’intérêt de l’entreprise. C’est le défi que devra relever le futur président de l’organisati­on patronale. Profondéme­nt divisé, perclus d’intérêts contradict­oires, alors que les entreprise­s affrontent des bouleverse­ments inédits, l’heureux élu devra trouver un dénominate­ur commun entre l’industrie et les services, les PME et les grands groupes, les entreprise­s des villes et les entreprise­s des champs. Pour surmonter sa crise, le Medef, tout comme les syndicats d’ailleurs, devra porter le message des entreprise­s face aux nouveaux défis que sont la révolution numérique, l’arrivée de l’intelligen­ce artificiel­le, la transforma­tion du travail ou la transition écologique. Le Medef a tout obtenu ou presque. Il reste certes encore beaucoup de chemin à parcourir pour redresser la France. Mais le temps est aussi venu pour le Medef de rendre. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’il parviendra à redresser son image, très abîmée dans l’opinion, à démontrer son utilité pour défendre l’entreprise et développer l’emploi. Bref, à transforme­r le patronat en une force respectée et écoutée.

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