Geoffroy Roux de Bézieux
« Le Medef aussi doit se mettre en mouvement »
« Entrepreneur engagé » et « militant patronal », comme il se définit luimême, Geoffroy Roux de Bézieux (lire son portrait page 8) se présente pour la deuxième fois à la présidence du Medef. Un signe de persévérance pour cet adepte du triathlon « Ironman » d’une distance totale de 226 kilomètres (140,6 miles). Une compétition Ironman – « Homme de fer » en français – est une course multidisciplinaire consistant à enchaîner 3,8 km de natation, 180,2 km de cyclisme puis un marathon (course à pied de 42,195 km). Après presque cinq ans d’expérience à la vice-présidence de l’organisation patronale, chargé de l’économie, du numérique et de la fiscalité, GRDB veut incarner un « Medef de propositions ». Son combat: faire entrer les entreprises dans les grandes transitions du xxie siècle, numérique et énergétique. Pour le fondateur de Virgin et de The Phone House, aujourd’hui investisseur dans l’alimentaire, et le tourisme, la division historique du Medef entre les services et l’industrie ne correspond plus aux réalités des transformations de l’économie. Il doute de la pertinence de la présence des corps intermédiaires dans les organismes paritaires, comme l’assurance chômage, si les conditions d’une gestion responsable ne sont plus réunies. Son projet est plutôt de réorienter le Medef sur son rôle de lobby et d’axer son mandat sur la pédagogie de l’entreprise et de ses valeurs, au premier rang desquelles la liberté d’entreprendre.
LA TRIBUNE - Pourquoi être candidat à la présidence du Medef ? C’est la candidature de la maturité après une expérience de cinq ans à la vice-présidence de l’organisation patronale ?
GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX J’ai décidé de me porter candidat à la présidence du Medef pour mettre mon parcours diversifié, d’entrepreneur engagé et de militant patronal, au service d’une cause: l’entreprise, à un moment particulier, celui de l’accélération des grandes mutations technologiques. En vingt ans, j’ai créé et développé deux entreprises dans le secteur des services, Phone House puis Virgin Mobile ; depuis trois ans, je construis un groupe 100 % patrimonial dans l’agroalimentaire, le tourisme et le sport et j’investis dans de nombreuses sociétés innovantes. Je suis vice-président délégué du Medef et vice-président du conseil de surveillance du groupe industriel PSA. Ces expériences ont enrichi ma vision et me permettront de représenter avec impartialité l’ensemble des entreprises françaises, dans leur diversité, quels que soient leur taille, leur secteur économique ou leur territoire. Toutes les entreprises doivent faire face aujourd’hui aux deux principales mutations qui traversent l’économie mondiale : la transformation numérique et la transition énergétique. Il y a aussi des évolutions dans le monde du travail qui vont s’accélérer avec l’utilisation intensive de l’intelligence artificielle, qui va remplacer des postes dans beaucoup de secteurs. Nos entreprises doivent s’y préparer, par la formation notamment. Et puis il y a le défi du réchauffement climatique qui oblige à repenser notre façon de produire et de consommer, à penser économie circulaire. Enfin, nous vivons une époque où la quête de sens prend le dessus et où l’entreprise doit mieux prendre en compte son impact sur ce qu’Emmanuel Macron a appelé à Davos le bien commun. Dans ce contexte, la France traverse un moment politique assez unique : depuis trente ans, on n’a pas vu une telle volonté de mouvement et de réformes à la tête de l’État. Tout n’est pas parfait bien sûr, mais nous sommes dans une période où le Medef doit se mettre lui aussi en mouvement, au risque sinon de disparaître, du moi n s d’être c ourt- c i r c ui t é . Bien sûr, notre organisation a commencé cette mutation, par exemple avec la création de l’Université du numérique. Mais les changements sont si profonds et rapides que nous devons accélérer notre propre réforme. Dans le monde des réseaux sociaux et de l’information instantanée, notre légitimité ne fait plus consensus. Nous devons imaginer une nouvelle gouvernance équilibrée entre branches et territoires et mieux représenter les jeunes entrepreneurs et les femmes au sein de notre mouvement, afin qu’ils et elles puissent porter plus efficacement nos idées.
Quel rôle peut jouer le Medef au xxie siècle, vingt ans après la disparition du CNPF, son prédécesseur ?
La question qui peut se poser c’est: est-ce qu’on a vraiment besoin de corps intermédiaires? Il y a dans la société française une demande de démocratie directe, et on voit bien qu’il y a chez certains la tentation de dire: « Négocions directement dans l’entreprise, ce sera plus proche des réalités du terrain, plutôt qu’au niveau national. » C’est aller un peu vite en besogne: ce que l’on voit, c’est qu’il y a une fragmentation croissante des attentes des entreprises en fonction de leur taille et leur secteur. On est passé d’une économie fondée sur un modèle taylorien homogène à des organisations très diversifiées, de la startup qui a des salariés surdiplômés jusqu’à l’entreprise de BTP qui est concentrée sur son marché local, en passant par les multinationales du CAC 40: les priorités ne sont à l’évidence pas les mêmes. Rassembler le Medef dans cette diversité, cela passe d’abord par un discours sur les valeurs, et d’abord la liberté économique, qu’il faut défendre dans un pays encore colbertiste, étatiste et centralisé. Mon autre conviction, c’est que, face à l’ampleur des changements technologiques, ce ne sont plus les politiques qui transformeront le monde, mais les entreprises et les entrepreneurs. Cette idée est centrale dans le nouveau message que doit porter le Medef demain.
Depuis trente ans, on n’a pas vu une telle volonté de réformes à la tête de l’État
Quelle est votre position quant à la participation du Medef au paritarisme alors que l’État engage des réformes importantes de notre système de protection sociale ?
Historiquement, toutes les négociations étaient centralisées et les partenaires sociaux, légitimes à gérer une partie de la sphère sociale en lien avec le monde salarié. Tout cela est en train d’éclater dans un monde plus fragmenté, et on constate que, petit à petit, les partenaires sociaux lâchent prise sur la gestion du monde paritaire. Ce n’est pas une question d’idéologie. Pendant très longtemps, on a opposé les libéraux anti-paritaires et les sociaux désireux de gérer eux-mêmes le système. À partir du moment où les besoins diffèrent selon les entreprises et où l’État intervient dans la gestion, le paritarisme doit évoluer. Prenons l’exemple de l’assurance chômage: on voit bien que, derrière la polémique sur la surtaxation des contrats courts, il y a la question des nouvelles formes de travail non salarié. À partir du moment où certaines entreprises ont besoin de flexibilité pour créer de l’emploi dans de nouveaux business models « à la demande » et que d’autres secteurs comme l’industrie ont, au contraire, besoin de stabilité pour former les salariés aux mutations en cours, avoir un régime unique d’assurance chômage centralisé n’est plus possible. La décentralisation du dialogue social, c’est-à-dire le fait de donner une partie du pouvoir de négocier aux branches et aux entreprises est la conséquence logique du changement de modèle d’organisation de l’économie. Je pense donc que le Medef doit se poser la question de sa présence dans un certain nombre d’organismes paritaires. À partir du moment où l’on veut mettre les démissionnaires et les indépendants sous la couverture de l’assurance chômage, on n’est plus du tout dans un régime assuranciel de salariés. De même, est-il est logique de négocier sur le temps de travail de la même façon dans toutes les entreprises? Je ne le pense pas. Le cas des 28 heures en Allemagne est intéressant. Elles ne sont pas négociées pour l’ensemble de l’économie, mais d’abord pour une première région pilote et pour un seul secteur, la métallurgie. C’est assez différent de la façon dont on a procédé en France jusqu’à présent. Cela me semble être la bonne méthode: le temps de travail ou les conditions de travail ne peuvent pas être les mêmes dans tous les secteurs. Et, surtout, elles restent une option non compensée sur le plan salarial.
La négociation sur l’assurance chômage se passe assez mal. Est-il sûr que le Medef participe au nouveau système s’il devient universel ?
Ma position est très claire: les partenaires sociaux doivent rester gestionnaires de l’assurance chômage si et seulement si ils gardent la maîtrise de tous les paramètres de gestion et que cette gestion est totalement responsabilisée, sans garantie de l’État. La réalité, c’est que les partenaires sociaux ont mal géré l’assurance chômage depuis dix ans à cause de ce filet de rattrapage étatique, ce qui fait flamber les déficits et la dette de l’Unedic.
Ces conditions n’ont pas l’air d’être réunies ?
Non, et c’est pour cela que la question se pose pour le Medef de quitter la gouvernance de l’assurance chômage et de laisser cette responsabilité à l’État.
Vous avez évoqué la question de l’avenir du travail face à la robotique et à l’intelligence artificielle. C’est une question qui se pose dans l’industrie mais aussi, et c’est nouveau, dans les services, comme le commerce et la banque…
Dans un monde devenu totalement « schumpeterien » avec l’accélération des révolutions technologiques, des emplois vont disparaître dans de nombreux secteurs. Mais je ne fais pas partie des pessimistes: l’histoire a prouvé qu’à chaque révolution industrielle de nouveaux emplois sont apparus pour remplacer ceux qui ont disparu. Les créations d’emplois nouveaux ont toujours été supérieures aux destructions d’emplois jusqu’ici. Ce qui est nouveau c’est la vitesse de la transition pour les individus. Quand quelqu’un a fait pendant trente ans le même métier, il faut le former à nouveau. Et il y a aussi un problème de transition géographique car les emplois détruits et créés ne le sont pas par les mêmes entreprises ni au même endroit. On voit bien qu’il y a une France qui va bien, celle des grandes métropoles, celle des « premiers de cordée », mais aussi la France des territoires et des villes moyennes qui souffre parce qu’elle n’est pas assez entrée dans cette transition. La première réponse, c’est d’avoir une régulation qui permette de diffuser beaucoup plus rapidement l’innovation: c’est en partie ce qu’essaie de faire Emmanuel Macron avec la baisse de la surtaxation du capital et l’assurance chômage des démissionnaires et des indépendants, pour favoriser la mobilité du capital et des individus. La deuxième réponse, c’est de réussir la transformation numérique des PME pour qu’elles se réinventent à l’heure du digital et du e-commerce. Quand on digitalise son entreprise, on trouve de nouveaux débouchés et on crée de nouveaux emplois. Le troisième étage, c’est le développement de la culture entrepreneuriale : avec la « startup nation », la France fait des progrès spectaculaires très encourageants, comme le montrent les succès de la French Tech et la croissance des levées de fonds.
Les startups, on en a, mais le problème, c’est qu’on a peu de « licornes» [entreprises technologiques valorisées plus de 1 milliard de dollars, ndlr]… Et comment favoriser la mobilité des individus ?
Toutes les études sur le chômage pointent le problème de la mobilité géographique. C’est aussi un problème culturel: les Français ont une tradition de mobilité moindre que les Américains. Le digital permet d’apporter une réponse car c’est une opportunité pour relancer les villes moyennes et des territoires aujourd’hui en déshérence. Le digital permet de délocaliser des emplois à forte valeur ajoutée dans des territoires plus éloignés des métropoles.
À chaque révolution industrielle, de nouveaux emplois sont apparus pour remplacer ceux qui ont disparu