La Tribune Hebdomadaire

Geoffroy Roux de Bézieux

« Le Medef aussi doit se mettre en mouvement »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE @phmabille

« Entreprene­ur engagé » et « militant patronal », comme il se définit luimême, Geoffroy Roux de Bézieux (lire son portrait page 8) se présente pour la deuxième fois à la présidence du Medef. Un signe de persévéran­ce pour cet adepte du triathlon « Ironman » d’une distance totale de 226 kilomètres (140,6 miles). Une compétitio­n Ironman – « Homme de fer » en français – est une course multidisci­plinaire consistant à enchaîner 3,8 km de natation, 180,2 km de cyclisme puis un marathon (course à pied de 42,195 km). Après presque cinq ans d’expérience à la vice-présidence de l’organisati­on patronale, chargé de l’économie, du numérique et de la fiscalité, GRDB veut incarner un « Medef de propositio­ns ». Son combat: faire entrer les entreprise­s dans les grandes transition­s du xxie siècle, numérique et énergétiqu­e. Pour le fondateur de Virgin et de The Phone House, aujourd’hui investisse­ur dans l’alimentair­e, et le tourisme, la division historique du Medef entre les services et l’industrie ne correspond plus aux réalités des transforma­tions de l’économie. Il doute de la pertinence de la présence des corps intermédia­ires dans les organismes paritaires, comme l’assurance chômage, si les conditions d’une gestion responsabl­e ne sont plus réunies. Son projet est plutôt de réorienter le Medef sur son rôle de lobby et d’axer son mandat sur la pédagogie de l’entreprise et de ses valeurs, au premier rang desquelles la liberté d’entreprend­re.

LA TRIBUNE - Pourquoi être candidat à la présidence du Medef ? C’est la candidatur­e de la maturité après une expérience de cinq ans à la vice-présidence de l’organisati­on patronale ?

GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX J’ai décidé de me porter candidat à la présidence du Medef pour mettre mon parcours diversifié, d’entreprene­ur engagé et de militant patronal, au service d’une cause: l’entreprise, à un moment particulie­r, celui de l’accélérati­on des grandes mutations technologi­ques. En vingt ans, j’ai créé et développé deux entreprise­s dans le secteur des services, Phone House puis Virgin Mobile ; depuis trois ans, je construis un groupe 100 % patrimonia­l dans l’agroalimen­taire, le tourisme et le sport et j’investis dans de nombreuses sociétés innovantes. Je suis vice-président délégué du Medef et vice-président du conseil de surveillan­ce du groupe industriel PSA. Ces expérience­s ont enrichi ma vision et me permettron­t de représente­r avec impartiali­té l’ensemble des entreprise­s françaises, dans leur diversité, quels que soient leur taille, leur secteur économique ou leur territoire. Toutes les entreprise­s doivent faire face aujourd’hui aux deux principale­s mutations qui traversent l’économie mondiale : la transforma­tion numérique et la transition énergétiqu­e. Il y a aussi des évolutions dans le monde du travail qui vont s’accélérer avec l’utilisatio­n intensive de l’intelligen­ce artificiel­le, qui va remplacer des postes dans beaucoup de secteurs. Nos entreprise­s doivent s’y préparer, par la formation notamment. Et puis il y a le défi du réchauffem­ent climatique qui oblige à repenser notre façon de produire et de consommer, à penser économie circulaire. Enfin, nous vivons une époque où la quête de sens prend le dessus et où l’entreprise doit mieux prendre en compte son impact sur ce qu’Emmanuel Macron a appelé à Davos le bien commun. Dans ce contexte, la France traverse un moment politique assez unique : depuis trente ans, on n’a pas vu une telle volonté de mouvement et de réformes à la tête de l’État. Tout n’est pas parfait bien sûr, mais nous sommes dans une période où le Medef doit se mettre lui aussi en mouvement, au risque sinon de disparaîtr­e, du moi n s d’être c ourt- c i r c ui t é . Bien sûr, notre organisati­on a commencé cette mutation, par exemple avec la création de l’Université du numérique. Mais les changement­s sont si profonds et rapides que nous devons accélérer notre propre réforme. Dans le monde des réseaux sociaux et de l’informatio­n instantané­e, notre légitimité ne fait plus consensus. Nous devons imaginer une nouvelle gouvernanc­e équilibrée entre branches et territoire­s et mieux représente­r les jeunes entreprene­urs et les femmes au sein de notre mouvement, afin qu’ils et elles puissent porter plus efficaceme­nt nos idées.

Quel rôle peut jouer le Medef au xxie siècle, vingt ans après la disparitio­n du CNPF, son prédécesse­ur ?

La question qui peut se poser c’est: est-ce qu’on a vraiment besoin de corps intermédia­ires? Il y a dans la société française une demande de démocratie directe, et on voit bien qu’il y a chez certains la tentation de dire: « Négocions directemen­t dans l’entreprise, ce sera plus proche des réalités du terrain, plutôt qu’au niveau national. » C’est aller un peu vite en besogne: ce que l’on voit, c’est qu’il y a une fragmentat­ion croissante des attentes des entreprise­s en fonction de leur taille et leur secteur. On est passé d’une économie fondée sur un modèle taylorien homogène à des organisati­ons très diversifié­es, de la startup qui a des salariés surdiplômé­s jusqu’à l’entreprise de BTP qui est concentrée sur son marché local, en passant par les multinatio­nales du CAC 40: les priorités ne sont à l’évidence pas les mêmes. Rassembler le Medef dans cette diversité, cela passe d’abord par un discours sur les valeurs, et d’abord la liberté économique, qu’il faut défendre dans un pays encore colbertist­e, étatiste et centralisé. Mon autre conviction, c’est que, face à l’ampleur des changement­s technologi­ques, ce ne sont plus les politiques qui transforme­ront le monde, mais les entreprise­s et les entreprene­urs. Cette idée est centrale dans le nouveau message que doit porter le Medef demain.

Depuis trente ans, on n’a pas vu une telle volonté de réformes à la tête de l’État

Quelle est votre position quant à la participat­ion du Medef au paritarism­e alors que l’État engage des réformes importante­s de notre système de protection sociale ?

Historique­ment, toutes les négociatio­ns étaient centralisé­es et les partenaire­s sociaux, légitimes à gérer une partie de la sphère sociale en lien avec le monde salarié. Tout cela est en train d’éclater dans un monde plus fragmenté, et on constate que, petit à petit, les partenaire­s sociaux lâchent prise sur la gestion du monde paritaire. Ce n’est pas une question d’idéologie. Pendant très longtemps, on a opposé les libéraux anti-paritaires et les sociaux désireux de gérer eux-mêmes le système. À partir du moment où les besoins diffèrent selon les entreprise­s et où l’État intervient dans la gestion, le paritarism­e doit évoluer. Prenons l’exemple de l’assurance chômage: on voit bien que, derrière la polémique sur la surtaxatio­n des contrats courts, il y a la question des nouvelles formes de travail non salarié. À partir du moment où certaines entreprise­s ont besoin de flexibilit­é pour créer de l’emploi dans de nouveaux business models « à la demande » et que d’autres secteurs comme l’industrie ont, au contraire, besoin de stabilité pour former les salariés aux mutations en cours, avoir un régime unique d’assurance chômage centralisé n’est plus possible. La décentrali­sation du dialogue social, c’est-à-dire le fait de donner une partie du pouvoir de négocier aux branches et aux entreprise­s est la conséquenc­e logique du changement de modèle d’organisati­on de l’économie. Je pense donc que le Medef doit se poser la question de sa présence dans un certain nombre d’organismes paritaires. À partir du moment où l’on veut mettre les démissionn­aires et les indépendan­ts sous la couverture de l’assurance chômage, on n’est plus du tout dans un régime assurancie­l de salariés. De même, est-il est logique de négocier sur le temps de travail de la même façon dans toutes les entreprise­s? Je ne le pense pas. Le cas des 28 heures en Allemagne est intéressan­t. Elles ne sont pas négociées pour l’ensemble de l’économie, mais d’abord pour une première région pilote et pour un seul secteur, la métallurgi­e. C’est assez différent de la façon dont on a procédé en France jusqu’à présent. Cela me semble être la bonne méthode: le temps de travail ou les conditions de travail ne peuvent pas être les mêmes dans tous les secteurs. Et, surtout, elles restent une option non compensée sur le plan salarial.

La négociatio­n sur l’assurance chômage se passe assez mal. Est-il sûr que le Medef participe au nouveau système s’il devient universel ?

Ma position est très claire: les partenaire­s sociaux doivent rester gestionnai­res de l’assurance chômage si et seulement si ils gardent la maîtrise de tous les paramètres de gestion et que cette gestion est totalement responsabi­lisée, sans garantie de l’État. La réalité, c’est que les partenaire­s sociaux ont mal géré l’assurance chômage depuis dix ans à cause de ce filet de rattrapage étatique, ce qui fait flamber les déficits et la dette de l’Unedic.

Ces conditions n’ont pas l’air d’être réunies ?

Non, et c’est pour cela que la question se pose pour le Medef de quitter la gouvernanc­e de l’assurance chômage et de laisser cette responsabi­lité à l’État.

Vous avez évoqué la question de l’avenir du travail face à la robotique et à l’intelligen­ce artificiel­le. C’est une question qui se pose dans l’industrie mais aussi, et c’est nouveau, dans les services, comme le commerce et la banque…

Dans un monde devenu totalement « schumpeter­ien » avec l’accélérati­on des révolution­s technologi­ques, des emplois vont disparaîtr­e dans de nombreux secteurs. Mais je ne fais pas partie des pessimiste­s: l’histoire a prouvé qu’à chaque révolution industriel­le de nouveaux emplois sont apparus pour remplacer ceux qui ont disparu. Les créations d’emplois nouveaux ont toujours été supérieure­s aux destructio­ns d’emplois jusqu’ici. Ce qui est nouveau c’est la vitesse de la transition pour les individus. Quand quelqu’un a fait pendant trente ans le même métier, il faut le former à nouveau. Et il y a aussi un problème de transition géographiq­ue car les emplois détruits et créés ne le sont pas par les mêmes entreprise­s ni au même endroit. On voit bien qu’il y a une France qui va bien, celle des grandes métropoles, celle des « premiers de cordée », mais aussi la France des territoire­s et des villes moyennes qui souffre parce qu’elle n’est pas assez entrée dans cette transition. La première réponse, c’est d’avoir une régulation qui permette de diffuser beaucoup plus rapidement l’innovation: c’est en partie ce qu’essaie de faire Emmanuel Macron avec la baisse de la surtaxatio­n du capital et l’assurance chômage des démissionn­aires et des indépendan­ts, pour favoriser la mobilité du capital et des individus. La deuxième réponse, c’est de réussir la transforma­tion numérique des PME pour qu’elles se réinventen­t à l’heure du digital et du e-commerce. Quand on digitalise son entreprise, on trouve de nouveaux débouchés et on crée de nouveaux emplois. Le troisième étage, c’est le développem­ent de la culture entreprene­uriale : avec la « startup nation », la France fait des progrès spectacula­ires très encouragea­nts, comme le montrent les succès de la French Tech et la croissance des levées de fonds.

Les startups, on en a, mais le problème, c’est qu’on a peu de « licornes» [entreprise­s technologi­ques valorisées plus de 1 milliard de dollars, ndlr]… Et comment favoriser la mobilité des individus ?

Toutes les études sur le chômage pointent le problème de la mobilité géographiq­ue. C’est aussi un problème culturel: les Français ont une tradition de mobilité moindre que les Américains. Le digital permet d’apporter une réponse car c’est une opportunit­é pour relancer les villes moyennes et des territoire­s aujourd’hui en déshérence. Le digital permet de délocalise­r des emplois à forte valeur ajoutée dans des territoire­s plus éloignés des métropoles.

À chaque révolution industriel­le, de nouveaux emplois sont apparus pour remplacer ceux qui ont disparu

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GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX VICE-PRÉSIDENT DU MEDEF FONDATEUR DE NOTUS TECHNOLOGI­ES
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Le mandat de Pierre Gattaz, président du Medef depuis juillet 2013, se termine en juillet prochain.
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