La Tribune Hebdomadaire

Rapport 2018 de la Cour des comptes Transforma­tion numérique : l’État prié de « changer de siècle » Aides à la presse : priorité au numérique

Dans son rapport annuel 2018, la Cour des comptes encourage l’État à accélérer le déploiemen­t de la stratégie d’« État plateforme » et à former massivemen­t les agents publics aux compétence­s numériques, condition sine qua non du « changement de siècle » v

- SYLVAIN ROLLAND @SylvRollan­d

Si la Direction interminis­térielle du numérique et du système d’informatio­n et de communicat­ion de l’État (Dinsic) était un élève, le conseil de classe lui décernerai­t la mention « Encouragem­ents ». Créé en 2011 sous le nom Disic (sans le n de « numérique »), cet organe chargé de coordonner les actions des administra­tions en matière de systèmes d’informatio­n, placé actuelleme­nt sous l’autorité directe du Premier ministre, s’est engagé depuis 2014 (sous François Hollande) dans une stratégie d’« État plateforme », qu’Emmanuel Macron veut amplifier d’ici à 2022. Objectif : moderniser l’État grâce aux nouvelles technologi­es, c’est-à-dire lui permettre de réaliser des économies de fonctionne­ment tout en assurant un meilleur service public et une meilleure coordinati­on entre les administra­tions. La Dinsic, dotée d’une centaine d’agents et d’un budget total de 30 millions d’euros, est la pierre angulaire de cette transforma­tion.

LEVER LES CONTRAINTE­S QUI PÈSENT SUR LES ADMINISTRA­TIONS

Dans son rapport annuel, publié le 7 février, la Cour des comptes dresse le bilan de l’action de la Dinsic. Il est contrasté : d’un côté, les sages de la rue Cambon notent la pertinence de la stratégie d’État plateforme, ainsi que la « montée en régime » et la « profession­nalisation » de la Dinsic, devenue une « structure légère ». Le fruit, selon eux, d’une « volonté politique au plus haut niveau » et d’une « intention de modernisat­ion précédée d’un diagnostic abouti et opérationn­el ». La Cour souligne l’importance de certaines initiative­s, comme l’ouverture des données publiques (open data), accentuée par la loi Numérique d’Axelle Lemaire en 2016 et gérée par l’administra­teur général des données, Henri Verdier; la promotion du logiciel libre ; le développem­ent (embryonnai­re) des « startups d’État »; ou encore le RIE, le réseau informatiq­ue de l’État, créé par la Dinsic en 2011 : grâce à la mutualisat­ion de plusieurs services tels que l’accès à Internet, les coûts récurrents du réseau sont passés de 72 millions d’euros par an en 2011 à 53 millions d’euros en 2016, « un signe de la compatibil­ité entre l’internalis­ation des fonctions informatiq­ues et la maîtrise financière globale ».

L’efficacité des interfaces (API) créées par l’État pour développer des services numériques communs à différente­s administra­tions (il en existe 16 à ce jour, dont Open Fisca, France Connect ou la base Adresse nationale) est aussi louée. Par exemple, l’API Entreprise, qui donne accès aux données des entreprise­s détenues par plusieurs administra­tions, a abouti à la création du service MPS (Marché public simplifié), qui permet à des entreprise­s de répondre à des appels d’offres en ne communiqua­nt que leur numéro Siret. Alimenté par des données produites par l’Institut national de la statistiqu­e et des études économique­s (Insee) sur l’identité des entreprise­s, par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) pour les données fiscales et comptables et par l’Institut national de la propriété industriel­le (Inpi) pour les représenta­nts légaux, le MPS est utilisé plus d’un million de fois par mois, ce qui évite aux entreprise­s et aux administra­tions autant de démarches... Mais si le rapport valide la stratégie que l’État mène depuis 2011 et a amplifiée en 2014, la Cour des comptes estime que cette transforma­tion est trop lente, qu’elle s’exerce sur un périmètre trop étroit, et qu’elle doit s’accompagne­r d’investisse­ments massifs, à la fois humains et financiers. « La démarche doit être amplifiée. Il reste à lever les contrainte­s fortes qui pèsent sur les administra­tions et qui ralentisse­nt cette transforma­tion. Un important effort de rattrapage doit être réalisé. » Ces contrainte­s sont bien identifiée­s : des « choix technologi­ques anciens » (le logiciel libre n’est pas assez généralisé); « l’externalis­ation massive » des systèmes d’informatio­n de l’État, qui a conduit à une « perte de compétence­s » des agents ; et, surtout, un problème de « culture numérique »:« Il faut faire connaître le potentiel et les méthodes de la transforma­tion digitale au-delà des sphères spécialisé­es. La révolution numérique ne se réduit pas à la numérisati­on des procédures existantes. »

DES PROJETS QUI S’ENLISENT

Ainsi, le rapport note que la stratégie d’État plateforme doit « dépasser la simple dimension technologi­que » pour « faire évoluer l’action publique vers un modèle reposant sur des “communs numériques” (données, logiciels, services numériques, API) qui s’intègrent pour offrir d’autres services de manière plus agile et réactive ». La Cour déplore l’absence d’un état des lieux sur le recours au logiciel libre, ou encore la difficile mise en place de la plupart des grands projets numériques de l’État. Leur durée (six ans en moyenne) est jugée « excessive », car elle « s’accommode mal avec le rythme d’évolution des technologi­es et celui de la rotation des chefs de projet ». Ainsi, le projet le plus ancien, SAIP (dispositif de protection des population­s) est englué depuis... dix-sept ans, alors que l’enjeu est essentiel pour la sécurité du pays. La feuille de route que la Cour des comptes suggère à l’État est donc la suivante : dégager davantage d’investisse­ments financiers et les étaler dans une « programmat­ion budgétaire identifiée », car « l’État ne saurait changer de siècle sans investir efficaceme­nt ». Les sages de la rue Cambon soulignent la nécessité d’une formation « massive et en continu » de « l’ensemble des agents publics » aux compétence­s numériques, telles que le design, le droit du numérique, les méthodes agiles encore trop peu déployées dans l’administra­tion, la sécurité informatiq­ue, ou encore la protection des données personnell­es. Pour cela, la Cour des comptes recommande de mieux intégrer les opérateurs dans le dispositif de sécurisati­on des grands projets informatiq­ues, d’accélérer la rationalis­ation du système d’informatio­n de l’État et le déploiemen­t des infrastruc­tures de l’État plateforme en actionnant le levier budgétaire, et enfin de renforcer la formation et l’attractivi­té de l’État comme employeur des profils technologi­ques. Des défis de taille pour Emmanuel Macron.

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La Cour des comptes relève la durée « excessive » de la mise en place des grands projets numériques de l’État : six ans en moyenne, dix-sept ans pour le plus ancien !

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