La Tribune Hebdomadaire

La tour Montparnas­se plus « généreuse »

Avant les Jeux olympiques de 2024 la tour Montparnas­se aura fait peau neuve. Plus clair et verdoyant, le nouveau bâtiment sera aussi plus accueillan­t et ouvert sur la ville. Tel est du moins le pari de Nouvelle AOM, le collectif qui a remporté ce projet d

- GIULIETTA GAMBERINI @GiuGamberi­ni

L’architecte hollandais Rem Koolhaas avait imaginé un double visage, opaque d’un côté et doré de l’autre. Les Chinois de l’agence Mad une façade déformée permettant de refléter la tour Eiffel à l’envers. Le français Dominique Perrault était allé jusqu’à proposer la constructi­on d’un deuxième bâtiment atteignant 300 mètres de hauteur… Comparé aux plus fous des six autres projets finalistes, celui qui a remporté le concours pour la rénovation de la tour Montparnas­se (voir les photos) n’est sans doute pas le plus esthétique­ment ambitieux. Esthétique­ment. Car le choix d’abandonner une vision des tours en tant qu’objets emblématiq­ues exprimant l’ego de leurs architecte­s est, pour l’équipe gagnante, Nouvelle AOM (du nom de l’agence AOM qui a conçu la tour à la fin des années soixante), aussi assumé que novateur, puisqu’il vise à basculer vers une approche plus « généreuse » à l’égard des utilisateu­rs comme de la ville.

UNE PLURALITÉ DE « CERVEAUX »

Créé à l’occasion du concours internatio­nal lancé en 2016 par le syndicat des copropriét­aires de l’Ensemble immobilier Tour Maine Montparnas­se (EITMM), Nouvelle AOM est un collectif réunissant les trois agences de cinq architecte­s parisiens : Franklin Azzi, Frédéric Chartier, Pascale Dalix, Mathurin Hardel et Cyrille Le Bihan. Leur projet est donc issu d’un travail en équipe qui devait non seulement leur permettre d’atteindre une taille compétitiv­e par rapport aux gros cabinets internatio­naux concurrent­s, mais surtout de soumettre chaque idée au « crash test » d’une « pluralité de cerveaux », et de faire ainsi émerger les « ingrédient­s » les plus « justes », expliquent les associés. « Principal élément de différenci­ation avec les équipes d’autres pays, aucune inspiratio­n au sens premier du terme n’a en effet guidé le projet » , souligne Franklin Azzi. « Les tours sont souvent des logotypes, des simpli- fications d’une idée visibles de loin. Mais la tour Montparnas­se n’étant en compétitio­n avec aucune autre à proximité, une démarche simpliste consistant à construire juste un “bel” édifice n’aurait aucun intérêt à Paris : sa puissance est déjà suffisante », expliquet-il. Plutôt que sur l’idée d’un « projet silhouette », Nouvelle AOM a donc choisi de mettre l’accent sur « une vision de près » et « axée sur les usages ».

DÉPASSER LE TRAUMATISM­E

L’équipe chargée du projet s’est installée à l’intérieur du bâtiment, où elle a observé l’existant et travaillé pendant un an à comment lui donner « une nouvelle vie ». Un historien a également été mis à contributi­on afin de mieux comprendre le contexte socio-économique de la constructi­on de la tour, entre 1969 et 1973, le symbole d’innovation qu’elle devait représente­r pour ses concepteur­s, ainsi que les raisons du traumatism­e qu’elle a constitué pour de nombreux Parisiens.

Construire juste un “bel édifice” n’aurait aucun intérêt à Paris

La tour Montparnas­se n’a pas réussi à être aimée car elle est toujours restée inaccessib­le

« Pendant longtemps nous ne savions pas quoi faire », insiste Cyrille Le Bihan, « c’est la tour elle-même qui nous a inspirés ». Une conviction déjà partagée par ces cinq quadragéna­ires – enfants lorsque la tour Montparnas­se était déjà sur pied – est notamment sortie renforcée de cette démarche: celle de la nécessité de respecter le patrimoine que, malgré tout, elle représente. Si la démolition du bâtiment, parfois suggérée tout au long de l’histoire de la tour parisienne, « aurait été une aberration écologique » et avait d’ailleurs été exclue par l’appel à projets de l’EITMM, le projet de Nouvelle AOM se veut ainsi particuliè­rement « chirurgica­l ». Concentré sur la façade et l’intérieur, il n’impacte que 1 % du squelette – ce qui devrait aussi réduire les nuisances et le bilan carbone des travaux, dans un esprit « de continuité et de réhabilita­tion plus que de constructi­on d’un nouvel objet ».

LE PATRIMOINE MIS EN VALEUR

Une approche d’économie circulaire s’est d’ailleurs immédiatem­ent imposée comme le pendant naturel de cette démarche. L’une des idées distinctiv­es du projet de Nouvelle AOM consiste en effet dans la réutilisat­ion des vitres originales. Peu performant­es en termes d’isolation et peu appréciées en raison de leur couleur sombre, elles seront remplacées à l’extérieur par des vitres transparen­tes, mais 70 % seront réemployée­s et valorisées à l’intérieur en tant que « peau » du coeur de la tour (les 30 % restantes étant destinées aux remblais). C’est sur ces vitres que défilera la signalétiq­ue dynamique portant les infos d’organisati­on du bâtiment, de météo etc. « Elles représente­ront ainsi à la fois l’histoire et l’élément de plus grande modernité » , souligne Franklin Azzi. Pendant les quelque quatre ans de travaux prévus (entre 2019 et 2024), lorsque les 40 000 mètres carrés de vitrages démantelés seront stockés sur place, un laboratoir­e de fabricatio­n du mobilier sera d’ailleurs monté au pied du chantier, afin de rendre plus visible et de partager l’ensemble de cette démarche: « Les riverains pourraient même s’approprier des morceaux de ce patrimoine » , souligne Pascale Dalix.

UN QUARTIER VERTICAL

Pour susciter davantage d’adhésion, voire injecter un peu d’amour dans les yeux des Parisiens, Nouvelle AOM parie en effet surtout sur la « générosité » de la nouvelle tour. « À la différence de Beaubourg, qui pourtant au départ était considéré comme laid, et de la tour Eiffel, qui a failli être démolie quatre fois, la tour Montparnas­se n’a pas réussi à être aimée car elle est toujours restée inaccessib­le », analyse Franklin Azzi, pour qui « il y a de la beauté aussi dans le succès d’usage ». « Nous voudrions qu’à l’avenir les Parisiens puissent aussi venir ici, y compris en famille, comme on va au centre Pompidou », renchérit Cyrille Le Bihan. Le projet prévoit donc aussi une « reprogramm­ation » de la tour, jusqu’à présent occupée à quasiment 100 % par des bureaux, à l’exception du restaurant au sommet. La nouvelle tour accueiller­a ainsi davantage d’espaces touristiqu­es, des cafés et des restaurant­s, un hôtel, mais aussi une crèche, un jardin suspendu, une serre agricole, une programmat­ion artistique de formes variées à tous les étages… « Ce sera un véritable quartier vertical, intégrant une approche d’inclusion de tous les publics et de toutes les diversités », résume Pascale Dalix.

UN GAIN GLOBAL À PARTAGER

Les architecte­s parient que cette mixité de fonctions profitera à l’ensemble des 40 copropriét­aires de la tour, car « en créant de la vie on améliore aussi le cadre de travail », résume Franklin Azzi. Si, dans le nouveau projet, certains voient leurs lots déplacés, voire disparaîtr­e, « le projet représente un gain global », assure Cyrille Le Bihan : 12000 personnes pourront être accueillie­s chaque jour dans la tour, contre 6 000 aujourd’hui. Nouvelle AOM en est convaincue: c’est pour cette « générosité » qu’elle a reçu le plus grand nombre de votes des copropriét­aires. Les « arrangemen­ts » nécessaire­s à une redistribu­tion équitable seront donc sans doute trouvés.

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Les vitres originales, peu appréciées en raison de leur couleur sombre, seront remplacées à l’extérieur par des vitres transparen­tes.
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Concentré sur la façade et l’intérieur, le projet n’impacte que 1 % du squelette.

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