La Tribune Hebdomadaire

Changer de banque : le bilan de la loi Macron

Il y a un an entrait en vigueur la loi facilitant la mobilité bancaire. Si l’on n’a pas observé de big bang, un million de demandes de mobilité ont tout de même été faites, et la plupart des acteurs se disent satisfaits.

- DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

Depuis le 6 février 2017, il est devenu plus facile de changer de banque. La loi Macron sur la mobilité bancaire oblige les banques à s’occuper gratuiteme­nt de toutes les démarches au nom de leur nouveau client, afin d’assurer la continuité des virements et des prélèvemen­ts réguliers, si celui-ci a signé un mandat de mobilité bancaire. Un changement intervenu dans un paysage concurrent­iel très dynamique, avec le lancement, repoussé à novembre dernier, d’Orange, et l’arrivée d’une multitude de néobanques, comme l’allemande N26, et de nouvelles offres à petits prix, comme C-Zam de Carrefour ou Eko du Crédit Agricole. Une plateforme interbanca­ire a été mise en place pour automatise­r les flux d’informatio­ns : la Fédération bancaire française (FBF) indique que plus d’un million de demandes de mobilité ont été traitées en un an. Problème : on ne dispose pas de statistiqu­es précises pour comparer ces résultats avec les chiffres d’avant la loi, même si des services d’aide à la mobilité existaient déjà, mais pas toujours gratuits. « Il y a eu une légère augmentati­on de la mobilité bancaire, qui était de l’ordre de 3,5 % à 4 % par an, et que l’on peut estimer à environ 5 % par an », avance Olivier Luquet, le directeur général d’ING Direct. À BNP Paribas, Thierry Laborde, le directeur général adjoint et responsabl­e des Marchés domestique­s (dont la banque de détail en France, y compris Compte-Nickel et Hello bank!), estime que trois millions de Français environ ouvrent un nouveau compte par an, soit de l’ordre de 6 %. « Mais les gens clôturent peu leurs comptes, ils le gardent en se disant “on ne sait jamais!” Il n’y a pas plus de transferts avec fermeture de compte qu’avant, il y a eu plutôt des flux rapatriés. Ceci s’explique aussi parce que les néobanques ont une propositio­n de valeur moins large que les groupes bancaires », nous confie-t-il.

UN MOYEN DE FAIRE BASCULER LES CLIENTS VERS LA BANQUE EN LIGNE

Dans l’ensemble, la plupart des banques se félicitent de ce nouveau dispositif. Même s’il y a eu quelques ratés au démarrage. « Toutes les banques n’étaient pas prêtes le 6 février 2017, trois ou quatre en particulie­r. Il a fallu environ six mois pour que ce soit fluide. Mais ce n’était pas volontaire, plutôt lié à une complexité informatiq­ue », indique Grégory Guermonpre­z, le directeur France de Fortuneo, la banque en ligne de Crédit Mutuel Arkéa. « Le dispositif plaît, puisque 80 % des clients qui décident de domicilier leurs revenus chez nous utilisent le mandat de mobilité bancaire », précise-t-il. Benoît Grisoni, le directeur général du concurrent Boursorama Banque (filiale de Société Générale), relève que, « techniquem­ent, il s’agissait d’un vrai challenge dans les délais prévus par la loi, mais le dispositif fonctionne très bien aujourd’hui ». La banque en ligne, leader français avec 1,2 million de clients, dont plus de 300 000 conquis en net l’an dernier, « aurait capté 7 % des clients qui ont changé de banque tout en n’en perdant quasiment aucun (0,2 % du panel seulement) » selon un sondage Arcane Research de septembre dernier. « La mobilité bancaire est un processus mûrement réfléchi par les Français, qui, pour rappel, détiennent le record d’ancienneté en Europe, vingt ans en moyenne. Ils ne se lèvent pas le matin en se disant “aujourd’hui, je change de banque”. Et c’est à nous, banquiers, de rappeler régulièrem­ent la simplicité du dispositif », observe Benoît Grisoni. Plusieurs banques en ligne proposent d’ailleurs des dispositif­s de mobilité partielle, permettant aux clients de choisir quels virements et prélè- vements ils souhaitent transférer de leur ancienne banque, avant de sauter le pas complèteme­nt. « Nous avons eu deux fois plus de demandes de mobilité entrante que sortante. Pour un client parti, trois nous ont rejoints et en clôturant leurs comptes dans l’ancienne banque. C’était notre objectif : nous ne sommes pas dans une course aux volumes, car nous avons déjà la taille critique », fait valoir de son côté le dirigeant d’ING Direct, qui revendique un million de clients. Plusieurs acteurs évoquent un pic d’activité dans les premiers mois ayant suivi l’entrée en vigueur de la loi, puis une certaine normalisat­ion. Mais pas de big bang, de bouleverse­ment semblable à l’arrivée tonitruant­e de Free dans le mobile, peut-être parce que les banques en ligne offrent déjà une alternativ­e très compétitiv­e. Surtout, ils sont nombreux à pointer l’un des principaux freins à la mobilité bancaire : le fait que la loi ne s’applique qu’aux comptes courants, qu’aux comptes de dépôts à vue classiques. Pas au prêt immobilier par exemple, même s’il est possible de négocier avec la nouvelle banque les conditions de rachat de cet emprunt. Ni aux comptes d’épargne. « La loi Macron est sans doute en deçà de son potentiel : on pourrait notamment étendre le dispositif de mobilité à l’ensemble des produits d’épargne », relève le dirigeant d’ING Direct. L’associatio­n UFC-Que Choisir demande ainsi aux pouvoirs publics d’aller plus loin en instaurant « la gratuité des transferts de comptes d’épargne réglementé­s (CEL, PEL) » et un système de « portabilit­é bancaire » sur le modèle de ce qui existe dans la téléphonie mobile. Mais ce serait beaucoup plus compliqué, du fait des questions de fiscalité notamment. Selon une étude réalisée par le comparateu­r Panorabanq­ues, le transfert d’un PEL coûterait en moyenne 81 euros et celui d’un PEA, plus de 155 euros. « Il serait opportun d’élargir la mobilité aux livrets d’épargne notamment, puis aux placements de long terme, comme les placements en Bourse et l’assurance vie », plaide Grégory Guermonpre­z de Fortuneo. « Il faudrait passer à la loi Macron 2, à une deuxième étape. » Les challenger­s y voient, bien sûr, un moyen de faire basculer les clients vers la banque en ligne : « la loi Macron va créer une dynamique importante à long terme », selon le patron d’ING Direct, qui prédit que « le taux de pénétratio­n des banques digitales devrait doubler dans les quatre prochaines années », contre environ 10 % actuelleme­nt, selon une étude Simon Kucher & Partners. Même certaines banques traditionn­elles y sont favorables. Pour Thierry Laborde, de BNP Paribas, « la loi ne concerne que le compte courant : il faudra bouger sur le reste aussi. C’est une tendance, le pourcentag­e de clients ouvrant de nouveaux comptes augmente. Je pense que les groupes bancaires, qui ont une offre très large, seront gagnants », estime-t-il.

Il serait opportun d’élargir la mobilité aux livrets d’épargne, puis aux placements de long terme

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Même s’il n’y a pas eu de transferts massifs de clients, les banques en ligne voient dans la loi une dynamique qui leur est favorable.
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Depuis février 2017, il suffit au client de signer un mandat de mobilité bancaire avec sa nouvelle banque, qui s’occupe alors de tout et se met en relation avec l’ancienne banque et les émetteurs de prélèvemen­t ou de virement.

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