La Tribune Hebdomadaire

Vision Nos données ne sont pas données par Philippe Boyer

La carte d’identité digitale d’un individu regroupe l’ensemble de ses données personnell­es. L’enjeu des prochaines années consistera à reprendre le contrôle de cette masse d’informatio­ns encore trop souvent abandonnée­s à des tiers.

- PAR PHILIPPE BOYER DIRECTEUR DE L’INNOVATION, FONCIÈRE DES RÉGIONS

Àl’échelle d’Internet, c’est un phénomène qui date de moins d’une dizaine d’années. Il a fallu la prise de conscience du poids croissant des Gafa (Google, Facebook, Apple, Amazon) pour comprendre que, au-delà de nous faciliter la vie en répondant à toutes nos questions, ces sociétés ont développé leur modèle d’affaire sur la collecte et l’analyse des données personnell­es de leurs utilisateu­rs. Aujourd’hui, la question de la gestion et de la propriété de ces données prend une ampleur toute particuliè­re alors que les États et les citoyens entendent reprendre en main leur destin numérique. Rien qu’en France, en 2014, le Conseil d’État s’interrogea­it déjà sur cette question en rappelant que « face aux limites actuelles de la protection des données à caractère personnel il est parfois proposé de donner aux individus un véritable droit de propriété sur leurs données » et qu’« en l’état du droit il n’existe pas de droit de propriété de l’individu sur ses données personnell­es. » Sur le plan légal, la réflexion sur cette question a pris un tour particulie­r avec l’adoption au niveau européen du Règlement général sur la protection des données (RGPD). À son entrée en vigueur, au mois de mai prochain, le citoyen consommate­ur devra exprimer son consenteme­nt, de manière explicite, sur la façon dont les marques collectent ses informatio­ns, ce qu’elles en font et comment, le cas échéant, les récupérer dans leur intégralit­é. Une petite révolution qui va obliger des millions d’entreprise­s à revoir la conception de leurs supports numériques pour être plus transparen­tes. Ce texte fondateur est la preuve, s’il en est, que les données fournies gratuiteme­nt par les utilisateu­rs sont le nouvel « or noir » de l’économie numérique. Que les fins soient commercial­es, ou « communauta­ires » (les réseaux sociaux sont à la croisée de ces deux mondes), la data se trouve toujours au centre de cette économie qui cherche à monétiser les très précieuses informatio­ns personnell­es. C’est en partant du constat que ces données ont une indéniable valeur que de nouvelles propositio­ns voient le jour. Elles s’appuient sur l’idée évidente qu’il nous faut conserver la maîtrise et la propriété de nos données digitales en exerçant un véritable droit de propriété sur ce capital immatériel. Tout comme chacun exerce son libre arbitre couplé à un droit de propriété réel quand il s’agit de donner un organe, de vendre une création artistique ou encore de transmettr­e un patrimoine matériel, les données personnell­es doivent, elles aussi, pleinement profiter à celui qui en est « l’auteur », contrairem­ent à ce qui se passe aujourd’hui, où elles sont une matière première dans des mines à ciel ouvert, que les destinatai­res peuvent capter sans d’autre forme de compensati­on que celle du service fourni à l’utilisateu­r ou au client, selon que la prestation est gratuite ou pas.

LA « BLOCKCHAIN » POUR PROTÉGER NOS DATA

Il faut saluer l’initiative du think tank Génération libre, fondé par Gaspard Koenig, qui, dans un rapport récemment publié, « Mes data sont à moi », ne propose rien moins que d’instaurer une patrimonia­lité des données, rémunérée, comme on le fait pour n’importe quel autre bien. Dans cette logique, et après consenteme­nt de leur propriétai­re, les données pourraient s’échanger sur un nouveau marché organisé selon la loi de l’offre et de la demande et offrant à ce titre une rétributio­n à ceux qui génèrent ces données. Séduisante au premier abord, ne serait-ce que pour rééquilibr­er un rapport de force aujourd’hui très inégal, cette idée risque de ne pas être simple à mettre en oeuvre. Comment prouver que les données échangées sont bien celles du propriétai­re déclaré? À cela, le think tank répond que des solutions technologi­ques aujourd’hui disponible­s pourraient venir en renfort, notamment la cryptologi­e blockchain. Flairant que cette question de la maîtrise des données personnell­es et de leur valeur sur un marché encore à construire sera peut-être demain un formidable axe commercial, des startups commencent à apparaître. Citons la française Dawex ou encore l’allemande Wysker, qui proposent des places de marché où les propriétai­res de données peuvent les monétiser auprès de clients demandeurs. Pour faire un pas plus loin, pourquoi ne pas envisager que ces nouvelles formes de contractua­lisation du marché des données puissent également abonder un fonds, sorte de taxation indirecte des Gafa, alors que l’actualité de ces derniers mois a montré combien il s’avérait difficile d’établir et de faire respecter des règles de paiement à l’impôt pour ces géants du Net ? Face au constat que nos données personnell­es possèdent une indéniable valeur et que l’on ne peut plus se contenter de les abandonner sans mieux en encadrer l’usage, autrement dit ne plus se contenter de cocher la case « J’accepte », de nouvelles initiative­s se multiplien­t. Comme l’écrit Génération Libre, celles-ci visent à « inscrire ce droit de propriété dans la suite logique du Règlement général sur la protection des données personnell­es. Une opportunit­é pour l’Europe d’innover... »

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Les données fournies gratuiteme­nt par les utiliateur­s sont le nouvel « or noir » de l’économie numérique.
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