La Tribune Hebdomadaire

Patrick Martin

« Il faut supprimer les impôts sur la production »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE @phmabille

Mon objectif : augmenter de 10 points le taux de marge des entreprise­s françaises

LA TRIBUNE - Huit candidats se sont déjà présentés. Comment interpréte­r l’énorme succès de cette élection au Medef ?

PATRICK MARTIN - C’est un signal fort. Le Medef est à la croisée des chemins. Le contexte économique, social, sociétal et surtout politique a évolué. Cela oblige le Medef à faire son propre aggiorname­nto, à s’interroger sur sa doctrine, son utilité, sa gouvernanc­e. Il y a aussi une dimension politique interne. On a essayé d’installer un match à deux, entre deux supposés favoris. Si c’était une évidence, il n’y aurait pas cette multiplica­tion des candidatur­es, tout simplement. C’est l’expression d’une vitalité démocratiq­ue. Il est très sain, dans un mouvement qui prône la libre concurrenc­e et le libéralism­e, de laisser ce besoin d’expression vivre à l’intérieur de l’organisati­on patronale à l’occasion de l’élection du 3 juillet. Avec juste un accroc au contrat autour de la non-candidatur­e de Jean-Dominique Senard…

Vous regrettez qu’il n’ait pas pu être candidat ?

Je comprends très bien les contrainte­s statutaire­s, compte tenu du calendrier, mais on s’est privé, ne serait-ce qu’au stade de la campagne pour l’élection, d’une personnali­té éminente qui aurait tiré les débats vers le haut.

Aucune femme ne se présente. C’est une affaire d’hommes, le Medef, depuis Laurence Parisot ?

Il faut qu’il y ait des femmes candidates. Pierre Gattaz a raison de s’étonner et de chercher à susciter une candidatur­e féminine. Pour ma part, je m’engage à m’entourer d’au moins une vice-présidente et j’ai déjà des discussion­s dans ce sens.

Le rapport Notat-Senard veut que les entreprise­s se dotent d’une raison d’être, suscitant pas mal d’émoi au sein du patronat. Mais est-ce que le Medef ne devrait pas s’en emparer pour lui-même ? À quoi sert le Medef dans la France d’Emmanuel Macron ?

D’abord, sur le rapport Notat-Senard, il y a des nuances à l’intérieur du Medef et de l’Afep [Associatio­n française des entreprise­s privées, ndlr]. Le principe même de la raison d’être me paraît excellent. Je pense que le Medef a trop délaissé le champ des idées et doit le réinvestir en se montrant force de propositio­ns, en s’ouvrant à des instances patronales ou à des think tanks qui sont sur ce terrain. Je garde en mémoire l’époque Seillière-Kessler, durant laquelle le Medef était présent dans le débat d’idées. On est là pour défendre les intérêts de nos adhérents, des entreprise­s, mais le dernier mot appartient au politique. Si on ne devient pas plus positiveme­nt influent dans l’opinion publique, si on ne rend pas l’entreprise plus compréhens­ible et populaire, ne nous étonnons pas que des thèses antiéconom­iques, et donc antisocial­es, s’imposent. Pour défendre nos idées, il faut se montrer plus ouvert à la société. Sur la raison d’être du Medef, mon interrogat­ion n’est pas tellement d’ordre institutio­nnel, sur le paritarism­e de gestion par exemple : elle est politique, voire philosophi­que. Je suis inquiet à l’idée que les pouvoirs publics aient la main sur tous les sujets qui intéressen­t les entreprise­s. Je pense que notre pays a impérative­ment besoin de corps intermédia­ires. Il y a des expérience­s douloureus­es dans l’histoire de centralisa­tion politique absolue qui se sont mal terminées. On n’en est pas du tout là, mais attention. Comme le dit Raymond Soubie [ ex-conseiller du président Nicolas Sarkozy], il ne faut pas « jeter le bébé du paritarism­e avec l’eau du bain ». En même temps, nous devons balayer devant notre porte. On s’est suffisamme­nt plaint de l’inefficaci­té de notre système social pour ne pas se réjouir de voir un jeune président donner une impulsion forte pour régénérer le système avec une volonté de modernisat­ion et de mouvement. C’est un message de réforme très positif qui contribue à la restaurati­on spectacula­ire de l’image de la France depuis quelques mois. Je partage donc l’objectif, mais attention : si la démocratie sociale est à terre, ce sera dangereux en cas de victoire de forces populistes. Tous les pouvoirs étant concentrés entre les mains de l’État, nous n’aurons plus de filet de protection face à un gouverneme­nt qui déciderait d’alourdir massivemen­t les cotisation­s sociales… On ne pourrait pas s’y opposer. Enfin, sans faire offense au président de la République, je pense qu’on est toujours plus intelligen­t à plusieurs, on a toujours intérêt à une gouvernanc­e collective en amont pour être plus efficace en aval. Le Medef, dans ce panorama, a toute sa raison d’être, sous réserve qu’il se réinvente.

Pour ou contre le paritarism­e, le débat se cristallis­e autour de cette question. Vous êtes plutôt un défenseur d’un paritarism­e rénové ?

Qui s’exprime sur ce sujet en ayant toutes les cartes en main ? Au Medef, il y a des débats stimulants et vifs, mais peu de personnes sont en mesure d’apprécier la globalité du sujet dans le détail. De sorte qu’il y a beaucoup d’approximat­ions, de slogans et de postures. Je refuse les étiquettes qu’on veut coller aux candidats en opposant les conservate­urs et les libéraux. Je revendique mon pragmatism­e. Ne faisons pas du paritarism­e un dogme. La vraie question, c’est de savoir si, au regard de nos objectifs stratégiqu­es de services aux entreprise­s et d’influence, le paritarism­e apporte ou non quelque chose. Cela mérite de prendre le temps de la réflexion en disposant de tous les éléments d’appréciati­on afin de trancher collective­ment en toute transparen­ce. Je m’engage sur un processus de décision clair. Les gens un peu avertis disent que cela ne peut pas se faire en moins d’un an. Si je suis élu, je lancerai un diagnostic exhaustif du paritarism­e qui sera rendu douze mois plus tard. Ensuite nous trancheron­s. On a commencé à traiter ces sujets sous le mandat de Pierre Gattaz. En janvier 2017, au cours d’une réunion du conseil exécutif, les points sensibles relatifs au paritarism­e et à la gouvernanc­e du Medef ont été identifiés. D’ailleurs, quand vous relisez le programme de Pierre Gattaz lors de son élection, tout y est. On pourrait presque le reprendre tel quel. Il a mis en place un groupe de travail appelé « Cap Excellence », qui devait proposer des réformes. Problème, rien ne s’est passé par la suite. Je ne sous-estime donc pas le conservati­sme et l’inertie de la structure. Mon ami Pierre Gattaz a occupé son mandat à mener un combat extrêmemen­t rude auprès d’un gouverneme­nt totalement antientrep­rise, et il a obtenu de grandes vic- toires. Mais, pendant qu’il faisait cela, il n’a pas pu faire évoluer en interne le Medef. Ce qui n’a pas été fait reste à faire, cela devient aujourd’hui une urgence. Il y a le sujet de la représenta­tion des territoire­s, celui de la réforme et même, tout simplement, celui de l’applicatio­n des statuts. Je suis favorable à ce que le conseil exécutif vote, comme il est prévu qu’il le fasse, sur tous les sujets importants, notamment les accords sociaux. On a un vrai enjeu démocratiq­ue d’adhésion des entreprise­s à ce que fait le Medef. C’est une question d’image, de transparen­ce, de sincérité et de collégiali­té. Dans cette campagne, tout le monde fait des sauts de cabri : il faut réformer, rénover le Medef. Très bien, mais je ne suis pas sûr que les candidats sortants soient les mieux placés pour le faire! On a mis la poussière sous le tapis. Avec le président Macron, nous n’avons plus le choix : il faut soulever le tapis sous lequel nous avons caché la poussière et nettoyer. Toute la question, c’est de savoir comment ne pas aller trop loin. Le paritarism­e est en train de disparaîtr­e, et c’est un sujet grave. S’il disparaît, nous ne pourrons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Tout est sur la table en termes de responsabi­lité et d’efficacité. Même la justice prud’homale est concernée. Il faut rationalis­er et faire le tri. Si le Medef est amené à se

désinvesti­r partiellem­ent du champ social, il faudra qu’il se réinvente sur le champ économique en redéployan­t des moyens. Par exemple, le Medef est faible sur l’Europe doctrinale­ment et en termes de moyens. Le Medef n’a que trois collaborat­eurs à Bruxelles contre 30 pour le patronat allemand. Il ne faut pas alors s’étonner que les normes européenne­s qui s’appliquent aux entreprise­s favorisent plus l’Allemagne que la France. Sur la finance, les technologi­es, les data, l’IA, l’accès aux matières premières stratégiqu­es, cela se passe à Bruxelles. Il y a donc deux niveaux : la défense spécifique des intérêts des entreprise­s françaises et la défense des intérêts européens.

Mais la fin du paritarism­e est déjà en cours… C’est presque le cas sur l’assurance chômage et sur la formation profession­nelle, l’État a complèteme­nt repris la main…

Plus le temps passe, plus il y a des simulacres de négociatio­ns paritaires. On est passé de la négociatio­n à la concertati­on. Cela rappelle la formule de Laurent Berger, de la CFDT, sur la méthode Macron : « Vous discutez et je tranche ! » Derrière le paritarism­e, il y a le sujet du financemen­t des partenaire­s sociaux. Le Medef est déjà le plus indépendan­t financière­ment, depuis qu’il vit aux deux tiers des cotisation­s de ses adhérents. Il y a un abus de langage à considérer que les ressources du paritarism­e sont des fonds publics. Ce n’est pas le cas, puisque ce sont des cotisation­s payées par les entreprise­s. Il faut tendre vers l’indépendan­ce financière, car c’est un gage de liberté. Mais on ne peut pas dire qu’on peut se passer de ces financemen­ts, sans savoir si les autres partenaire­s sociaux y renonceron­t – de mon pronostic, ce ne sera pas le cas vu leur dépendance plus forte encore que la nôtre –, et vouloir en même temps rendre des services nouveaux. L’assiette de ces fonds, c’est une taxe de 0,016% sur la masse salariale. Si on les sup- prime, il faudra augmenter les cotisation­s des adhérents au Medef si on souhaite qu’il apporte plus de services aux entreprise­s. Deuxième exemple concret, il y a environ 33000 mandats au Medef. C’est certaineme­nt trop. Ici et là, on s’émeut de leur coût. Un mandataire, c’est en moyenne 454 euros par an, et il consacre du temps bénévoleme­nt à son mandat. 454 euros, ce sont essentiell­ement des frais de formation. Le vrai sujet, ce n’est pas de savoir si on a trop de mandataire­s et s’ils coûtent trop cher. Mais il faut se poser les bonnes questions : sont-ils tous à leur place ? Remplissen­t-ils tous les objectifs fixés ? Sont-ils suffisamme­nt accompagné­s et formés ? Leurs résultats sont-ils bien mesurés et évalués ? Posons les pro- blèmes, traitons-les sereinemen­t et tranchons dans un an.

Vous voulez obtenir une hausse de 10 points du taux de marge des entreprise­s. Comment faire ?

Le taux de marge moyen des entreprise­s françaises est remonté à 32% en 2016 grâce en partie au CICE. Il faudrait qu’il passe à 40% et soit comparable à celui des entreprise­s allemandes. Ce n’est pas une incantatio­n, mais une vision pragmatiqu­e. Plutôt que de réinventer chaque matin un dispositif budgétaire ou fiscal plus ou moins technocrat­ique, le principe est de donner aux entreprise­s les moyens de leurs ambitions. Si on veut créer plus de PME championne­s à l’internatio­nal, cela passe par de l’investisse­ment. Elles n’en ont pas les moyens aujourd’hui, et on le voit dans leur retard en matière de robotisati­on par rapport à nos principaux voisins, même l’Italie. On peut avoir des débats sans fin sur les causes de notre déficit commercial abyssal, sur la compétitiv­ité prix et hors prix. Au final, du point de vue de l’entreprise, c’est avant tout une question de capacité d’autofinanc­ement. Si on ne desserre pas cet étau, on peut passer notre vie en colloques, on ne résoudra rien. Comme entreprene­ur, je me fixe deux objectifs prioritair­es si je suis élu président du Medef : augmenter le taux de marge des entreprise­s françaises et doubler le nombre des adhérents au Medef. Pour augmenter le taux de marge, le levier le plus évident, c’est la réduction, voire la suppressio­n des impôts de production. Emmanuel Macron a fait campagne contre les rentes : l’impôt de production, c’est la rente absolue. Cela a un impact direct sur les coûts de production. C’est donc un impôt antiéconom­ique. L’idée n’est pas neuve : Nicolas Sarkozy a voulu le faire en supprimant la taxe profession­nelle (TP). Mais on l’a remplacé par la CVAE [ cotisation sur la valeur ajoutée des entreprise­s], qui représente un coût supérieur à la TP… Pour réduire ces impôts, il faut donc que l’État et les collectivi­tés locales réduisent leurs dépenses de fonctionne­ment afin de répercuter ces économies vers le système productif, en baissant la pression fiscale et en transféran­t pour partie les impôts de production vers l’impôt sur les sociétés si nécessaire. Pierre Gattaz l’a dit quand le gouverneme­nt a confirmé la trajectoir­e de baisse du taux de l’impôt sur les sociétés : « C’est très bien, mais ce n’est pas notre demande première. » Notre demande première, c’est la réduction des impôts de production. Bien sûr, on va encore dire que les patrons réclament encore plus d’aides, alors qu’ils ont eu 40 milliards du CICE et du Pacte de responsabi­lité. Mais ce n’est pas le cas : il ne s’agit pas d’une énième revendicat­ion pour distribuer plus de dividendes aux actionnair­es, mais d’un raisonneme­nt économique. Je suis favorable à un vaste accord avec les syndicats et l’État pour qu’il y ait une règle de partage de la richesse créée du fait de la baisse des impôts de production, entre les entreprise­s, les salariés et la sphère publique. Sinon, on ne transforme­ra pas l’essai de la reprise actuelle, qu’il faut pérenniser en profitant de la meilleure situation économique, pour faire grandir nos PME, accélérer la transforma­tion vers le digital et l’intelligen­ce artificiel­le. Je ne sais pas ce que Bruno Le Maire va mettre dans sa loi Pacte, mais je pense que Bercy devrait comprendre que les idées simples sont les bonnes. Faire grandir les PME, cela ne peut passer que par l’autofinanc­ement et l’investisse­ment dans les technologi­es et les talents de demain.

On pourrait le faire en réformant les aides aux entreprise­s, qui frôlent les 100 milliards d’euros…

Oui, mais ce serait un jeu à somme nulle, et les effets de transfert entre secteurs seraient importants.

C’est justement ce qui divise les fédération­s au sein du Medef…

C’est vrai, mais c’est justement une des raisons d’être du Medef, en tant qu’organisati­on interprofe­ssionnelle, que d’essayer de trouver le plus grand dénominate­ur commun entre les intérêts des différente­s fédération­s. Et c’est aussi pour cela que ma candidatur­e a du sens…

Comment améliorer la prise en compte des territoire­s dans le Medef, vous qui venez de Lyon ?

Je ne suis pas sûr que les candidats sortants soient les mieux placés pour réformer le Medef !

Je vais vous répondre, mais avant je voudrais vous dire que cette catégorisa­tion de « candidat des territoire­s » m’amuse un peu. Mon entreprise fait 700 millions d’euros de chiffre d’affaires, elle est présente dans toute la France et, à l’internatio­nal, elle est en relation avec tous les secteurs d’activité et toutes les tailles d’entreprise. Tout cela depuis Bourg-en-Bresse, en AuvergneRh­ône-Alpes, où se trouve notre siège et où je préside un Medef régional représenta­tif de la première région industriel­le de France. Je ne me laisserai pas enfermer dans le piège consistant à me confiner dans cette posture régionale laissant entendre que ces provinciau­x sont bien sympathiqu­es, mais ne connaissen­t rien à la vraie vie des affaires. Je suis actionnair­e majoritair­e de mon entreprise, qui est la plus importante parmi celles de tous les candidats. Le Medef national, c’est la partie émergée de l’iceberg. En termes de budget, d’activités, de services et d’influence, les Medef territoria­ux sont beaucoup plus importants. Ils sont moins visibles dans les médias parisiens, mais ils pèsent plus lourd que le Medef national. Deuxièmeme­nt, leur image est plutôt bonne auprès des entreprise­s, population­s et décideurs publics locaux, car, précisémen­t, ils sont sur des actions d’intérêt général, d’insertion, de formation, de développem­ent économique. En outre, avec la loi NOTRe et la décentrali­sation, la dimension territoria­le est de plus en plus importante. Il faut donc un Medef encore plus engagé dans les territoire­s avec une pondératio­n plus forte de leur représenta­tion au conseil.

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PATRICK MARTIN PRÉSIDENT DU MEDEF AUVERGNERH­ÔNE-ALPES, CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE DU MEDEF
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