La Tribune Hebdomadaire

Le nucléaire français se digitalise

Le numérique offre de nombreuses solutions technologi­ques à une filière particuliè­rement chahutée, qui pourraient lui permettre de progresser à la fois en matière de sûreté et de compétitiv­ité. À condition toutefois de faire évoluer quelque peu ses habitu

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Philippe Knoche, président de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen), en est convaincu. « Le nucléaire a un rôle important à jouer dans un monde où la demande en électricit­é va être multipliée par deux d’ici à 2050 et où les émissions de CO2 doivent être divisées par deux dans le même temps », a-t-il déclaré lors d’un point presse le 15 mars en marge de la convention annuelle du nucléaire. Mais, comme Philippe Varin (président du conseil d’administra­tion d’Orano et viceprésid­ent du Conseil national de l’industrie), il reconnaît volontiers que la filière est défiée sur sa sûreté et sa compétitiv­ité. « La rapidité des progrès accomplis par les énergies renouvelab­les, qui ont vu leur coût divisé par dix en dix ans, est sidérante, observe Bernard Salha, directeur de la R&D d’EDF. Et les batteries sont sur la même voie. » La filière entend donc démontrer, comme le répète Jean-Bernard Lévy, le patron de l’opérateur national, qu’elle en est le meilleur complément. En outre, cette course à la compétitiv­ité mobilise les acteurs du monde entier. Les Américains, réunis au sein du programme Delivering the Nuclear Promise, visent une baisse de leurs coûts de 30 %. Pour ce faire, après trois ans d’une restructur­ation presque achevée, la filière française mise sur l’innovation pour préparer en parallèle « le futur du nucléaire et le nucléaire du futur ». Autrement dit, l’évolution du parc installé, sa maintenanc­e et son démantèlem­ent. Mais aussi l’industrial­isation du réacteur EPR (dont quatre unités sont en constructi­on en Finlande, en Chine, en France et au Royaume-Uni) ainsi que de plus petites unités baptisées SMR ( small modular reactor) d’une puissance comprise entre 150 et 200 MW, alors que l’EPR affiche 1650 MW. Ces derniers font l’objet de nombreuses études de marché, mais, comme l’a souligné François Gauché, directeur de l’énergie nucléaire au CEA, l’équation économique n’est pas simple et différents modèles sont actuelleme­nt à l’étude. En comparaiso­n d’autres secteurs, y compris certaines qui, comme l’aéronautiq­ue, fonctionne­nt dans le temps long, l’industrie nucléaire n’est pas en avance en matière de digitalisa­tion. En revanche, dans ce contexte, la France est bien positionné­e. Automatisa­tion, simulation, modélisati­on, datamining, intelligen­ce artificiel­le, réalité augmentée… les récents progrès technologi­ques offrent de multiples applicatio­ns. Le « jumeau numérique », qui permet de travailler sur un réacteur virtuel, est une piste prometteus­e. Mais aussi drones ou capteurs pour opérer la surveillan­ce des installati­ons ; robots gonflables (conçus avec un fabricant de textile) pour inspecter des lieux difficiles d’accès ; fabricatio­n additive (avec AddUp, le joint-venture créé par Michelin et le groupe Fives) pour pare-chocs d’emballages de combustibl­es… Toutes ces innovation­s poursuiven­t les mêmes objectifs : raccourcir les délais, abaisser les coûts, accroître encore la sécurité et améliorer la durabilité, par exemple en travaillan­t sur le cycle fermé du combustibl­e.

PLUS D’OUVERTURE, DE COLLABORAT­ION ET DE TRANSVERSA­LITÉ

Le nucléaire présente des défis de taille, en raison notamment de la taille des objets et des petites séries. Le partage de données sensibles ou encore la nécessité de faire valider les innovation­s par l’Autorité de sûreté du nucléaire sont d’autres défis propres à la filière. Mais ce sont les modes de travail et l’état d’esprit qui doivent évoluer. Plus d’ouverture, de collaborat­ion, de transversa­lité sont nécessaire­s. Non seulement entre les acteurs de la filière (EDF, Framatome et le CEA sont regroupés depuis 2014 au sein d’un institut tripartite), mais aussi avec d’autres secteurs (afin de nucléarise­r certaines techniques déjà appliquées par d’autres). Il importe aussi de plus s’ouvrir aux PME et même aux startups telles que Diota qui, spécialisé­e dans la réalité augmentée, fait l’unanimité parmi les acteurs de la filière. Là encore, le Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiq­ues et spatiales) fait figure d’exemple à suivre. « Aux États-Unis, des startups construise­nt des briques technologi­ques pour demain. On ferait bien de s’en inspirer. Les barrières ne sont pas techniques, elles sont dans nos têtes », a martelé Philippe Varin en conclusion de son allocution, évoquant tout à la fois des aspects managériau­x et sociaux. Il faut remplacer la méfiance historique face au « not invented here », par le « proudly found elsewhere ». Ces évolutions sont d’autant plus nécessaire­s qu’elles sont susceptibl­es de créer un climat plus attractif pour de jeunes ingénieurs, un autre défi auquel fait face la filière depuis plusieurs années. Preuve que la digitalisa­tion du nucléaire n’en est qu’à ses débuts, ce sera l’un des focus de la prochaine World Nuclear Exhibition (WNE), conférence internatio­nale qui se tiendra en juin prochain à Paris.

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Les acteurs français du nucléaire misent sur l'innovation pour booster leur filière. Le « jumeau numérique » notamment, qui permet de travailler sur un réacteur virtuel, est une des technologi­es les plus prometteus­es.

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