Solaire : l’autoconsommation collective cherche ses marques
Produire et consommer sa propre électricité est encore rare en France, en comparaison de l’Allemagne voisine. Le régulateur tente d'instaurer un cadre mais ses délibérations concernant l’autoconsommation en groupe inquiètent les professionnels.
On attendait, depuis septembre, une conférence de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à la tonalité plutôt favorable au développement de l’autoconsommation en France. Mais la délibération qu’a publiée la CRE, le 21 février, n’est pas celle qu’attendaient les professionnels. Quoique encore émergente en France, l’autoconsommation individuelle, adoptée par quelque 20000 foyers (contre 500000 en Allemagne), se développe sans encombre. La CRE propose la mise en place d’un tarif d’achat unique s’appliquant aux particuliers qui revendent la totalité de leur production et à ceux qui autoconsomment. L’autoconsommation collective, en revanche, demeure plus épineuse. Définie par un décret du 28 avril 2017, elle désigne « l’exploitation d’une installation électrique et la consommation de tout ou partie de l’électricité produite par un groupe de personnes liées en une personne morale et géographiquement proches ». Mais elle manque encore d’un cadre lui permettant de se développer, en dehors de quelques expérimentations ponctuelles menées notamment à Bordeaux, à Nantes ou à Lyon Confluence.
EFFETS D'AUBAINE
Ce sont précisément les bases de ce cadre qu’a esquissées la CRE il y a quelques semaines. Le syndicat Enerplan s’est publiquement ému de « plusieurs sources d’inquiétudes » soulevées par ce texte, actuellement soumis à consultation. L’exemption de CSPE [ contribution au service public de l'électricité, ndlr], jusqu’alors autorisée pour des installations inférieures à 1 MW, serait restreinte à 9 kW, au motif que cela permet d’éviter des effets d’aubaine qui entraîneraient une réduction trop importante de l’assiette de cette contribution au service public de l’électricité. Pour les installations entre 9 et 100 kW, la CRE propose un tarif d’achat d’autoconsommation et la mise en place d’appels d’offres entre 100 et 500 kW, les installations plus grandes ne bénéficiant d’aucun mécanisme de soutien en autoconsommation. Les professionnels jugent disproportionnée cette précaution – qui supprime toute incitation aux installations dont la puissance se situe entre 9 kW et 1000 kW –, mais le gouvernement est échaudé par les précédents qui avaient conduit le gouvernement de l’époque à instaurer un moratoire en 2010. En outre, la CRE s’oppose à un élargissement du périmètre de l’autoconsommation, aujourd’hui limité à l’aval d’un même poste de distribution publique. Enfin, comme attendu, la CRE propose de réviser le Turpe [ tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité]. Mais celui-ci serait de 16 % plus élevé pour un groupe de consommateurs qui ne s’approvisionnerait via le réseau que pour compléter sa propre production. On voudrait dissuader les habitants d’un même immeuble ou d’un pâté de maisons de s’organiser en autoconsommation, on ne s’y prendrait pas autrement, se désolent les professionnels du solaire réparti. D’autant plus que, à l’heure actuelle, il n’est pas possible d’échanger avec ses voisins un trop-plein de consommation, il est obligatoire de le revendre à EDF.
S'ORGANISER EN PERSONNE MORALE
André Joffre, président du bureau d’études spécialisé dans le solaire Tecsol (qui lance notamment des projets d’autoconsommation collective), rejette ces propositions, qui s’opposent au développement de l’autoconsommation dans le logement social, un secteur dont la perspective d’une baisse des factures fait un champ d’application idéal. Selon lui, en voulant à tout prix barrer la route à ce qu’elle baptise « le communautarisme énergétique », la CRE encouragerait justement des zones d’activité à s’organiser pour devenir autonomes de façon à pouvoir se déconnecter totalement du réseau. Il fustige surtout la méthode employée, qui « ne reflète pas une grande maturité » de la part du régulateur, et craint qu’un cadre trop rigide ne fasse à nouveau rater à la France, « qui a déjà loupé le créneau dans les années 1970 », cette « formidable opportunité qu’offre la convergence du digital et du photovoltaïque ». Il prévient aussi qu’en l’absence d’un minimum de liberté pour tester différents schémas, « c’est Google ou Amazon qui finira par mettre tout le monde d’accord ». Pascale Jean, associée Energy & Utilities chez PwC France, se montre plus optimiste : « La recommandation de la CRE sur l’autoconsommation a le mérite de pallier l’absence de cadre, qui était le principal point bloquant. C’est une brèche ouverte. » Le cabinet vient de publier une étude intitulée « Perspectives de l’autoconsommation collective, vue par le prisme allemand ». L’autoconsommation collective est si développée chez nos voisins, qu’elle est désormais ouverte aux locataires des immeubles d’habitation collective et non plus aux seuls propriétaires. Les capacités de production solaire y sont six fois plus importantes qu’en France, et 500 000 particuliers recourent à l’autoconsommation, dont 60 000 la complètent de solutions de stockage leur permettant d’optimiser leur taux d’autoconsommation (c’est-à-dire la part de leur production effectivement consommée) jusqu’à 90 %. Un prix de l’électricité d’environ 30 centimes d’euros par kWh (contre 14 centimes en France), la parité entre les coûts
Le régulateur veut-il freiner le “communautarisme énergétique” ?
de production de l’électricité solaire et celle soutirée au réseau et des conditions de rachat de la surproduction de moins en moins intéressantes créent des conditions idéales pour l’autoconsommation. Les échanges entre consommateurs y sont courants, qu’il s’agisse d’échanges physiques ou virtuels via une plateforme, comme le propose l’entreprise Sonnen. « En France, l’autoconsommation collective au sein d’un même immeuble ne présente pas de difficulté technique ni réglementaire, observe Vincent Ducros, spécialiste Energy & Utilities chez PwC France. Mais elle implique l’organisation en une personne morale organisatrice et la présence de compteurs intelligents dans chaque appartement. » Résultat, « à l’inverse de l’Allemagne, où des réseaux par nature décentralisés autorisent de nombreuses expérimentations locales et où les prix d’électricité sont deux fois plus élevés pour les ménages, l’autoconsommation en France n’est pas pratiquée par défaut ». Pourtant, « plutôt que d’expérimentations d’autoconsommation collective à Nantes, à Bordeaux ou à Lyon Confluence, on peut déjà parler de phase de mise en oeuvre, affirmet-il. Il n’y a pas d’obstacle technologique ou réglementaire, mais c’est plutôt une question de vision sur la rentabilité et de modèles de gouvernance ».
UN TARIF SPÉCIFIQUE
Autre différence de taille avec la France : l’Allemagne ne pratique pas la péréquation tarifaire, qui permet à tous les Français de payer leur électricité au même prix quel que soit leur lieu de résidence (et le coût réel pour acheminer l’électricité). C’est dans ce contexte particulier que doit s’élaborer un tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe) propre aux autoconsommateurs qui, par définition, utilisent moins le réseau. C’est d’ailleurs le mode de calcul du Turpe dans son ensemble qui doit être révisé. Aujourd’hui calculé sur la base des volumes d’électrons transportés, il est voué à décliner avec la baisse tendancielle de la consommation et le développement de l’autoconsommation. Même moins sollicité, le réseau devra dans la grande majorité des cas jouer son rôle de backup et doit donc continuer à être financé. La puissance plutôt que le volume transporté devrait servir de base de calcul au Turpe de demain. « Se pose maintenant la question du tarif d’utilisation du réseau, qui rencontre une certaine difficulté à appréhender les répercussions de l’autoconsommation », reconnaît Pascale Jean. « La situation est rendue plus complexe encore, du fait d’une prise de conscience de l’impact potentiellement important à terme des véhicules électriques. Il y a une volonté d’adopter une approche holistique afin notamment d’éviter les effets d’aubaine. » Ainsi, « dans un contexte de mise en conformité assez lente des réseaux pour absorber des mégawatts intermittents (et risquant de freiner les trajectoires de l’éolien et du solaire ?), le développement de l’autoconsommation permet d’absorber des mégawattheures en limitant l’impact sur les réseaux », concluent les consultants. À l’issue de la consultation ouverte jusqu’au 23 mars, le CRE publiera une nouvelle délibération pour une entrée en vigueur au 1er août 2018.