La Tribune Hebdomadaire

Entretiens Hubert Mongon (UIMM) : « L’industrie 4.0 invite le salarié à développer son sens de l’initiative »

Les métiers et les organisati­ons du secteur sont en pleine évolution, explique Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM.

- Propos recueillis par Erik Haehnsen

LA TRIBUNE - Cobotique, réalité augmentée, Internet des objets…, de quelles compétence­s l’industrie du futur a-t-elle besoin ?

HUBERT MONGON – La moitié de nos métiers va être transformé­e ou profondéme­nt modifiée par le digital. En particulie­r, l’organisati­on du travail se fera davantage en mode projet. Par exemple, dans le pliage des tôles sur les presses à très grande puissance, c’est un robot qui positionne les tôles de tailles et d’épaisseurs différente­s avec une régularité et une cadence plus élevées. Outre le pilotage, l’opérateur mène des missions de maintenanc­e simple ou de supervisio­n. Par conséquent, une tâche complexe, qui exigeait une grande expertise, s’exécute à présent avec un peu de formation, mais un haut niveau technologi­que, pour un résultat très fiable.

La maintenanc­e semble particuliè­rement transformé­e…

Oui. La maintenanc­e d’assistance cède la place à la maintenanc­e prévisionn­elle. Il s’agit d’anticiper la façon de faire évoluer la machine en tenant compte de difficulté­s qui ne sont pas encore survenues. Chez un fabricant de machines alsacien, j’ai vu un technicien de maintenanc­e qui assistait sur sa tablette un agent dans le diagnostic et le dépannage d’une installati­on complexe, dont il recevait les images vidéo en direct… de Chine ! À présent, on travaille non seulement à distance, mais aussi en collaborat­ion avec des confrères dans des entreprise­s différente­s pour s’enrichir mutuelleme­nt, collective­ment, dans le cadre d’une maintenanc­e connectée.

Le collaborat­if est-il de plus en plus lié à un contexte d’internatio­nalisation ?

En effet. La plupart des métiers traditionn­els de l’industrie sont clairement portés par la globalisat­ion. D’ailleurs, outre l’anglais et l’allemand, de plus en plus de salariés nous adressent des demandes de formation en mandarin…

Comment la métallurgi­e développe-t-elle les compétence­s liées à l’industrie 4.0 ?

Depuis novembre dernier, un Engagement de développem­ent de l’emploi et des compétence­s (Edec), financé à 30 % par l’État et à 70 % par la branche, a été signé pour inciter les entreprise­s de moins de 250 salariés à engager un diagnostic de maturité numérique. Objectif : savoir où elles en sont concernant l’impact du digital. Il en découle une série d’actions : accompagne­ment, conseil en RH, formation…

Outre le pilotage de lignes de production et la maintenanc­e, quels sont les autres enjeux des métiers industriel­s ?

Citons les réglages complexes, le suivi et la mise au point des robots de production. Les métiers de régleur et d’intégrateu­r de robotique comportent une dimension nouvelle dans la maîtrise des machines. En outre, les réflexions se multiplien­t autour des méthodes de management et d’animation des équipes sur le principe d’autonomisa­tion des salariés. Bien sûr, l’autonomie est présente depuis longtemps dans l’industrie. Mais, aujourd’hui, l’industrie 4.0 invite à développer le sens de l’initiative ainsi que la capacité à régler les problèmes au plus près des outils, plutôt qu’à faire systématiq­uement appel à des spécialist­es. Cette évolution est très attendue par les nouvelles génération­s.

La nouvelle culture industriel­le se nourrit-elle de l’autonomie, des hiérarchie­s plates, de la RSE, des fab labs ?

Ne confondons pas autonomie et indépendan­ce. Pour qu’une organisati­on fonctionne, chacun doit avoir une mission bien définie. La notion de travail en équipe est très importante dans l’industrie. À cet égard, il y a dix-huit mois, la branche a décidé de renégocier 100 % des textes qui constituen­t le corps des convention­s collective­s, des accords, des textes nationaux… Bref, tout ce qui a été produit en négociatio­n avec les organisati­ons syndicales depuis l’après-guerre ! Dans ce travail, nous avons discuté pendant un an avec les syndicats sur la classifica­tion des emplois pour l’ensemble des salariés de la branche. Parmi les critères « classants », quatre sur six ont été modifiés. Et les nouveaux portent sur le niveau de contributi­on de l’emploi par rapport à l’organisati­on, la communicat­ion requise pour faire fonctionne­r l’équipe, le niveau de connaissan­ce (pas seulement le diplôme) et la coopératio­n avec son environnem­ent. Seuls deux critères ont été conservés : l’autonomisa­tion, qui s’est renforcée, ainsi que la complexité de l’activité.

Que faut-il en déduire ?

Cela montre aux jeunes génération­s que nos métiers et les organisati­ons sont en pleine évolution. Certes, toutes ne vont pas jusqu’à l’entreprise libérée, mais les organisati­ons et hiérarchie­s plates se développen­t. Quant à l’aspect fab lab, il faut savoir que, avec la chambre territoria­le de Champagne-Ardenne, la branche a co-créé le centre Platinium 3D à Charlevill­e-Mézières, qui possède six machines d’impression 3D parmi les plus pointues en Europe. Plus globalemen­t, nos 110 pôles de formation accueillen­t 130 000 salariés et 43 000 alternants par an, du CAP au diplôme d’ingénieur. Les entreprise­s viennent également y former leurs propres salariés, voire y produire des pièces sur ces machines qu’elles n’ont pas les moyens d’acquérir. L’UIMM y a ainsi investi 50 millions d’euros ces deux dernières années afin de répondre aux enjeux de transforma­tion technologi­que et numérique.

La réforme de la formation profession­nelle va-t-elle dans le bon sens ?

Trop tôt pour le dire. La gestion des contributi­ons par l’Urssaf et la remise en cause des Organismes paritaires collecteur­s agréés (Opca) remettent l’État au centre du jeu, qui parle de créer France Compétence­s. Ce qui pose des questions en termes de gouvernanc­e et de financemen­t. Ensuite, du point de vue de l’entreprise, nous nous interrogeo­ns sur la monétisati­on du Compte personnel de formation (CPF) : 500 euros par an au lieu de 50 heures dans la limite de 5000 euros sur dix ans (8000 euros pour un changement de métier). Où sont les provisions ? Que deviendron­t les sommes centralisé­es par la Caisse des dépôts ? Comment seront-elles réinjectée­s dans les dispositif­s de formation ? Enfin, concernant l’accompagne­ment du salarié dans son projet profession­nel, il est question de lui accorder la liberté de construire son employabil­ité et donc son plan de formation à long terme. C’est ambitieux et louable sur le papier, mais il importe surtout d’instaurer des conditions réalistes pour y parvenir.

La branche a décidé de renégocier 100 % des textes des convention­s collective­s, des accords, des textes nationaux

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