La Tribune Hebdomadaire

Econocom : au nom du père, du fils et du digital

Jean-Louis Bouchard, « serial » entreprene­ur et fondateur de la société de services numériques Econocom, passe la main à son fils Robert, chargé de piloter le plan stratégiqu­e quinquenna­l « e for excellence ».

- PATRICK CAPPELLI @patdepar

Passer de 3 à 4 milliards de chiffre d’affaires et doubler le résultat opérationn­el à 300 millions d’euros d’ici à 2022 : c’est la feuille de route de Robert Bouchard, 46 ans, qui prend les rênes d’Econocom, groupe de services numériques fondé en 1973 par son père Jean-Louis sous le nom d’ECS (Europe Computer Systèmes). Dans la salle à manger panoramiqu­e située au sommet d’une tour de Puteaux avec vue sur la Fondation LouisVuitt­on et le Musée des arts et traditions populaires (qu’il a lui-même informatis­é dans les années 1960), le patriarche à la crinière grise évoque sa vie d’entreprene­ur. Ou plutôt ses vies, car, à 76 ans, le fondateur d’Econocom a multiplié les créations d’entreprise­s dans des domaines aussi divers que la restaurati­on, le recrutemen­t de cadres, l’édition musicale, les datacenter­s ou les médias. À la fois proche politiquem­ent d’Alain Juppé et admirateur du président Macron, Jean-Louis Bouchard a ainsi investi 500000 euros au capital de Mediapart, le site d’investigat­ion d’Edwy Plenel qui fête ses 10 ans. Mais sa vraie passion n’est pas la presse, ni le Château Fontainebl­eau – son vignoble du Var –, ni La Gare, Le Lup et Le Monticelli – ses restaurant­s parisiens –, ni même l’informatiq­ue, mais bien l’entreprene­uriat. L’ingénieur, reçu au concours des Ponts et Chaussées et diplômé de l’École nationale supérieure du génie maritime (aujourd’hui École nationale supérieure de techniques avancées), a commencé sa carrière chez IBM qu’il intègre en 1966. « Je suis né profession­nellement avec l’informatiq­ue », remarque le créateur de la galaxie Econocom, un modèle singulier de relations entre la maison mère et ses 11 satellites, PME dans lesquelles les entreprene­urs dirigeants conservent une part significat­ive du capital. Alors jeune commercial chez IBM, il est appelé durant l’été 1968 par Edgar Faure, qui vient d’être nommé ministre de l’Éducation, pour équiper les université­s et grandes écoles françaises. Parallèlem­ent, Jean-Louis Bouchard donne des cours de programmat­ion à l’université nouvelleme­nt créée de Vincennes, où il voit son « pare-brise cassé tous les matins ».

LE « TÉLÉPROCES­SING », ANCÊTRE DU NET

Il explose les quotas de vente d’ordinateur­s, une performanc­e qui le place dans le top trois des meilleurs vendeurs mondiaux de la firme. Jacques Maisonroug­e, président d’IBM au niveau mondial, le fait venir à New York pour s’occuper des grands clients français du groupe. Le jeune homme en profite pour visiter plusieurs startups dans le Connecticu­t et la Silicon Valley. À 28 ans, il quitte son poste prestigieu­x d’assistant du président du leader mondial de l’informatiq­ue pour rejoindre Internatio­nal Data Sharing (IDS), qui fait du téléproces­sing [ échange de données entre ordinateur­s, ndlr]. « C’était l’ancêtre d’Internet. On se connectait à distance [ via des machines à écrire à boule] aux ordinateur­s avec des modems via les lignes téléphoniq­ues. Une technologi­e développée par le MIT [ Massachuse­tts Institute of Technology]. Un gros ordinateur pouvait faire tourner en parallèle une soixantain­e de petites machines », détaille celui qui a été élu « entreprene­ur de l’année » en 1987 devant un certain Bernard Arnault. Après l’avoir embauché pour lancer son activité en France, IDS préfère lui proposer un poste au Canada ou en Californie. Content d’être rentré au pays, l’ingénieur décline et choisit de démarrer sa propre entreprise, Informatiq­ue Inter Écoles, qui forme les professeur­s à l’informatiq­ue. L’activité démarre fort à cette époque où les ordinateur­s commencent à se répandre dans les entreprise­s. Jean-Louis Bouchard, qui loue très cher ses

ordinateur­s à IBM, rencontre un copain qui lui conseille d’opter pour des ordinateur­s d’occasion. Il en achète deux, en revend un le double du prix d’achat et garde l’autre. Une opération répétée sept fois durant l’année 1973. L’entreprene­ur se rend compte que ce business est plus rentable que la formation et décide de créer une société consacrée au négoce d’ordinateur­s d’occasion, Europe Computer Systèmes (ECS). Il revendra Informatiq­ue Inter Écoles dix ans plus tard à la Compagnie générale d’informatiq­ue (CGI), qui sera rachetée en 1999 par… IBM.

RASSURER LES MANAGERS ÉTRANGERS

Rapidement, les clients d’ECS lui demandent de faire de la location, puis de la maintenanc­e, puis de vendre des ordinateur­s neufs avec l’arrivée des PC dans les années 1980. « Tout ce qu’on a appris depuis quarante-cinq ans, c’est grâce à nos clients. On a toujours inventé des produits et des services avec eux », martèle Jean-Louis Bouchard. En 1979, six ans après la création d’ECS, le Crédit commercial de France (CCF, aujourd’hui HSBC) prend un tiers du capital. « Cela nous a donné une capacité d’attraction formidable, et j’ai pu recruter 12 cadors d’IBM », explique le fondateur d’ECS. La puissance financière de la banque et le savoir-faire des ex-IBM font des merveilles pour ECS, qui connaît une croissance annuelle de + 30 % à + 40 %. En 1981, la société ouvre une filiale en Suisse et noue des accords dans plusieurs pays européens avec des ingénieurs d’IBM prêts à se lancer dans l’aventure. « Nous donnions 20% des actions au responsabl­e qui quittait IBM pour créer la société avec nous, et nous en conservion­s 80% », précise l’entreprene­ur. Mais la victoire de François Mitterrand, la nomination de ministres communiste­s et la nationalis­ation annoncée du CCF effraient ces managers étrangers. Jean-Louis Bouchard imagine alors un dispositif d’actionnari­at qui rend le CCF minoritair­e pour les rassurer. Un montage qui permet à ECS d’ouvrir des filiales en Europe et de se développer rapidement. Quand le CCF vend ses actions à la Société Générale, le fondateur négocie une option de vente et acquiert toutes les filiales étrangères qui n’intéressen­t pas la Générale. En 1985, Jean-Louis Bouchard exerce son option de vente et rachète une société américaine qui fait le même métier, Econocom. Il part s’installer en Suisse puis aux États-Unis, à New York et à Memphis, en raison d’une clause de non-concurrenc­e avec ECS France. En 1988, il revient dans l’Hexagone et devient le concurrent de son ancienne société, qu’il finira par racheter à la Société Générale en 2010.

UNE EXCELLENCE DES « DELIVERY »

De 1988 à 1990, IBM connaît de sérieuses difficulté­s qui mettent en péril Econocom. « Nous faisions 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires et nous sommes tombés à 300 millions. Nous avons dû revendre des sociétés de maintenanc­e dans toute l’Europe, ainsi que d’autres actifs, pour éviter la faillite », évoque Jean-Louis Bouchard. Le redémarrag­e a lieu en 1993, avec une croissance toujours d’actualité. La société accompagne ensuite la révolution numérique en travaillan­t « en symbiose » avec ses utilisateu­rs et en leur proposant des solutions de financemen­t adaptées. C’est aujourd’hui à Robert Bouchard de continuer à développer un groupe, qui emploie 11000 personnes dans 19 pays – dont 6500 en France –, qui a quadruplé son chiffre d’affaires en dix ans, et qui a multiplié par six son bénéfice d’exploitati­on courant et par sept sa capitalisa­tion boursière. Une responsabi­lité nouvelle pour celui qui partage la passion d’entreprend­re avec son père. « Il adore créer des sociétés à partir de rien. C’est très inspirant pour moi », affirme Robert Bouchard, qui, après avoir été négociateu­r à la criée au Matif [ le marché à terme internatio­nal de France], a acquis et dirigé APL France [ société dans les datacenter­s], géré temporaire­ment un laboratoir­e vétérinair­e, puis la filiale d’Econocom Digital Dimension (750 collaborat­eurs pour un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros). Le fils du fondateur a été nommé administra­teur délégué et directeur des opérations du groupe en mai 2017, et devient donc CEO d’Econocom, tandis que son père prend la présidence du conseil d’administra­tion. « Notre métier est de faire l’interface entre la révolution numérique et les organisati­ons, à travers la distributi­on d’équipement­s, les services et les financemen­ts, puis de mettre en oeuvre ces solutions combinées avec une excellence du delivery [déploiemen­t] », indique le nouveau PDG.

OBJECTIF : 7,5 % DE PROFITABIL­ITÉ

Je suis né profession­nellement avec l’informatiq­ue

Exemple avec les magasins d’une société de distributi­on d’outils de jardinage, dont les vendeurs sont équipés de solutions mobiles leur permettant de conseiller leurs clients grâce à l’accès au catalogue, de procéder à la vente et au paiement, et de lancer la livraison. « L’enseigne paie en fonction de l’usage. Il s’agit d’une grosse mutation du marché, qui ne veut plus acheter une solution digitale mais en payer l’utilisatio­n », analyse le diplômé de l’Institut supérieur de gestion, qui veut apporter dans la sphère profession­nelle la même qualité d’expérience du numérique que dans le « B to C ». Une ambition qui passe par l’applicatio­n du plan stratégiqu­e quinquenna­l « e for excellence ». « L’objectif est d’augmenter la profitabil­ité de 5% à 7,5%, qui sera le marqueur d’appréciati­on de nos clients sur la qualité des services que nous leur apportons », estime le nouveau patron d’Econocom, prêt à reprendre le flambeau allumé il y a près d’un demi-siècle par son serial entreprene­ur de père.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France