La Tribune Hebdomadaire

Cambridge Analytica : Facebook au coeur d’un nouveau scandale

Le réseau social aux 2,13 milliards d’utilisateu­rs ne garantit pas la protection des données personnell­es de ses membres : c’est ce qui ressort de l’affaire Cambridge Analytica. La polémique ouvre le débat sur la vie privée en ligne, et remet surtout en c

- ANAÏS CHERIF @Anais_Cherif

Facebook est-il trop laxiste pour la protection des données personnell­es ? C’est l’inquiétude soulevée par l’affaire Cambridge Analytica. Le cabinet d’analyse, au service de la campagne électorale de Donald Trump, en 2016, et de l’organisati­on Leave.EU, qui militait pour le Brexit, aurait mis la main sur les données personnell­es de 87 millions d’utilisateu­rs de Facebook sans leur consenteme­nt. Retour sur les principaux points de ce scandale.

POUR QUI TRAVAILLE LA SOCIÉTÉ CAMBRIDGE ANALYTICA ?

Spécialisé dans la communicat­ion stratégiqu­e, Cambridge Analytica, créé en 2013, réalise de l’analyse de données. Si l’entreprise se décrit sur son site Internet comme une « organisati­on non partisane », elle a été financée à hauteur de 15 millions de dollars par Robert Mercer. Ce milliardai­re, connu pour être un soutien du parti Républicai­n, est un proche de Donald Trump. C’est d’ailleurs par le biais de l’actuel président américain que Cambridge Analytica s’est fait connaître. Le cabinet a travaillé pour lui lors de la campagne présidenti­elle américaine en 2016. Sa mission : concevoir un logiciel permettant d’anticiper le vote des électeurs afin de faire pencher la balance en faveur du candidat républicai­n grâce à de la publicité ciblée, ce qui nécessite l’agrégation de données.

COMMENT A-T-ELLE EU ACCÈS AUX DONNÉES DE FACEBOOK ?

C’est le point crucial de l’affaire. Une première estimation faisait état de 50 millions de données personnell­es d’utilisateu­rs Facebook qui se seraient retrouvées entre les mains du cabinet d’analyse – soit près d’un quart des électeurs américains. Par la suite, le chiffre est grimpé à 87 millions de profils concernés, dont 81 % situés aux États-Unis, d’après Facebook, le 4 avril. Cambridge Analytica serait passé par un intermédia­ire : un certain Aleksandr Kogan. Cet universita­ire a développé en 2013 une applicatio­n baptisée « thisisyour­digitallif­e », fonctionna­nt grâce aux identifian­ts Facebook. Ainsi, lors de son télécharge­ment, les utilisateu­rs concédaien­t un droit d’accès à leurs données personnell­es sur la plateforme. Selon Facebook, environ 270 000 personnes ont téléchargé cette applicatio­n permettant à Kogan d’avoir accès, avec leur consenteme­nt, à des informatio­ns comme leur ville d’origine, les contenus « likés » mais aussi leurs nom et prénom. Et ce n’est pas tout. L’applicatio­n pouvait également avoir accès aux « amis » des utilisateu­rs l’ayant téléchargé­e. En 2014, Kogan aurait transmis ces données à Cambridge Analytica. Si l’accès aux données était légal pour le chercheur, leur transmissi­on à un tiers constitue une violation des règles d’utilisatio­n de Facebook. « En 2015, nous avons appris que le Dr Aleksandr Kogan nous avait menti », s’est défendu le réseau social. Une façon pour Facebook de se dédouaner sur l’usage détourné des données personnell­es de ses utilisateu­rs. « Les gens savaient qu’ils fournissai­ent ces informatio­ns. Aucun système n’a été infiltré, aucun mot de passe ou donnée sensible n’ont été volés ou piratés », poursuit la plateforme. De son côté, Alexsandr Kogan estime servir de « bouc émissaire ».

POURQUOI CETTE POLÉMIQUE GÊNE-T-ELLE MARK ZUCKERBERG ?

L’affaire touche le coeur même de l’activité de Facebook : la collecte de données – et l’usage détourné qui peut en être fait. Conséquenc­e : l’action du fleuron de la Silicon Valley a chuté en Bourse, passant de 185 dollars mi-mars aux alentours de 150 dollars début avril. « Nous allons nous extirper de ce problème, mais cela prendra quelques années », a déclaré le 2 avril Mark Zuckerberg, PDG et cofondateu­r de Facebook, dans un entretien au site Vox. Pas sûr que les autorités l’entendent ainsi. La plateforme se trouve sous le coup de pressions politiques tous azimuts. Mark Zuckerberg a été auditionné par le Congrès américain les 10 et 11 avril. Une première. Le Bureau de protection des consommate­urs de la Commission fédérale du commerce (FTC) mène aussi une enquête, tout comme les autorités britanniqu­es. Le 26 mars, la Commission européenne a accordé un délai de deux semaines à Facebook pour apporter des réponses – notamment si les données personnell­es d’Européens ont été compromise­s.

EST-CE LE SCANDALE DE TROP APRÈS L’AFFAIRE DES « FAKE NEWS » ?

Facebook n’en finit pas avec les polémiques. Il a d’abord été accusé d’avoir favorisé la victoire de Donald Trump avec la création de « bulles idéologiqu­es ». Ce phénomène de filtre permet à un utilisateu­r de consulter des informatio­ns identifiée­s comme conformes à ses idées. Celuici se retrouve ainsi « enfermé » dans un cercle de pensée, sans débat idéologiqu­e. Facebook est aussi critiqué pour la proliférat­ion de fake news, ces fausses nouvelles virales popularisé­es lors du Brexit, en 2016, et amplifiées lors de la présidenti­elle américaine. Un vrai casse-tête pour la plateforme, qui ne sait comment les modérer ( La Tribune du 25 janvier). Le réseau social est devenu gigantesqu­e : il est utilisé par 2,13 milliards de personnes sur une population mondiale de 7 milliards d’individus! Une audience – et une responsabi­lité – qu’il n’avait pas anticipé en 2004, lors de la création à Harvard, de ce qui n’était qu’un trombinosc­ope universita­ire. Suite à l’affaire Cambridge Analytica, des recours collectifs ont été déposés aux États-Unis. Une campagne #DeleteFace­book [supprime Facebook, ndlr] a été lancée sur Internet. « Je pense que c’est un signal clair qu’il y a un problème de confiance majeur pour les utilisateu­rs », a admis Mark Zuckerberg sur CNN, fin mars. Preuve que le bateau tangue : le réseau social enregistre déjà une baisse du temps passé par ses utilisateu­rs sur sa plateforme d’environ 50 millions d’heures par jour – un repli de 5 % pour le dernier trimestre, chiffrait l’entreprise lors de la publicatio­n de ses résultats annuels en février. Et le nombre d’usagers commence même à baisser outre-Atlantique.

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