La Tribune Hebdomadaire

Démanteler Google : la menace se précise

- Anaïs Cherif n

Recherche, vidéos, cartograph­ie, messagerie… Google est omniprésen­t. À tel point que la marque est entrée dans le langage courant, avec les fameuse expression « googler » ou « googliser » . Et pour cause : son moteur de recherche représente plus de 90 % du marché mondial, son système d’exploitati­on Android équipe plus de 80 % des smartphone­s dans le monde et YouTube, sa plateforme vidéo, revendique plus de 1,5 milliard d’utilisateu­rs connectés par mois. Une notoriété qui se traduit par un chiffre d’affaires de 100,9 milliards de dollars en 2017 et une capitalisa­tion boursière dépassant les 700 milliards de dollars… Alors que le géant américain fêtera ses 20 ans en septembre prochain, une petite musique de fond se fait entendre : faut-il démanteler Google? La question a été remise au goût du jour récemment par Margrethe Vestager, la commissair­e européenne à la Concurrenc­e. « Je pense qu’il est important de garder cette option ouverte et à l’ordre du jour », a-t-elle assuré au Telegraph le 25 mars dernier, avant de préciser que « nous n’en sommes pas encore là ». L’idée traîne pourtant depuis 2014, lorsque le Parlement européen avait adopté à une large majorité une résolution non contraigna­nte proposant de « séparer les moteurs de recherche des autres services commerciau­x ». Cette même année, la pression sur Google s’était accentuée avec l’arrivée à la Commission de Margrethe Vestager, surnommée la « bête noire des multinatio­nales ».

TOUJOURS DANS LE VISEUR POUR SON LOGICIEL ANDROID

Quelques mois après son entrée en fonction, elle lance une enquête à l’encontre du groupe américain : il est accusé d’abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche pour avoir favorisé son comparateu­r de prix, Google Shopping. L’affaire s’est soldée par une amende historique de 2,42 milliards d’euros en juin dernier. La firme de Mountain View a fait appel de cette décision en septembre. Elle reste encore dans le viseur de la Commission. Lancées en 2016, deux autres enquêtes pour abus de position dominante sont en cours d’instructio­n concernant son logiciel Android et sa plateforme publicitai­re AdSense. Google n’est pas le premier géant américain menacé de démantèlem­ent. Microsoft en a fait l’expérience dans les années 1990, accusé aux États-Unis de position dominante dans les systèmes d’exploitati­on des PC au profit de son navigateur Explorer. Après une décen- nie de bataille judiciaire, la procédure s’est soldée par un échec. « Le marteau de la division n’est pas l’instrument le plus adapté aujourd’hui vu l’urgence à réguler les Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon, ndlr], estime Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraine­té numérique. D’une part, ce sont des procédures extrêmemen­t longues face à de tels mastodonte­s. D’autre part, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne solution pour obtenir davantage de concurrenc­e en Europe. Si nous ne développon­s pas notre propre écosystème, toute régulation aura ses limites. L’Europe doit faire émerger des géants éthiques. » Bémol : quand une entreprise américaine peut se développer sur un marché unique de plus de 325 millions d’habitants, une société européenne se heurte à 28 cultures différente­s. Un désavantag­e pour faire émerger un concurrent de taille face à Google. Lancé il y a cinq ans, le moteur de recherche français Qwant revendique 58 millions d’utilisateu­rs uniques par mois, contre 20 millions il y a un an (voir pages 4 et 5). « Nous sommes déjà présents en Italie et en Allemagne, témoignait début mars Éric Léandri, PDG et cofondateu­r de Qwant. Mais l’Europe, c’est une vingtaine de langues. Par exemple, si nous voulions nous lancer en Grèce, il faudrait traduire Qwant en grec, faire du marketing – ce qui nécessite d’avoir quelqu’un sur place… Pour nous, en tant que startup de 152 salariés, c’est compliqué. »

UNE VISION PROTECTRIC­E DES DONNÉES

Face aux Gafa américains et aux BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), l’Europe veut tirer son épingle du jeu avec sa vision protectric­e des données personnell­es. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui entre en vigueur le 25 mai, agite la menace de sanctions ( La Tribune du 15 mars). En cas de violation du règlement, les entreprise­s pourront écoper d’une amende allant jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires mondial! « Nous, Européens, commençons à avoir le vent en poupe grâce à notre vision de la protection des données, estime Bernard Benhamou. L’ancien patron de la FCC [autorité américaine de régulation des télécommun­ications, ndlr], Tom Wheeler, fait même l’apologie du RGPD dans les colonnes du New York Times ! » Et de poursuivre : « Pendant des années, les Américains ne comprenaie­nt pas notre vision protectric­e. Mais les scandales autour de l’exploitati­on des données personnell­es nous donnent raison. » Pour le patron de Qwant, « l’Europe veut des alternativ­es qui proposent une vision différente du monde. Cela ne veut pas nécessaire­ment dire qu’il faut remplacer Google par Qwant, mais que nous devons avoir le choix de recourir à un autre service ». Éric Léandri, qui dit détenir 4 % de parts de marché en France, souhaite capter « 5 à 10 % du marché européen d’ici deux ans ». Avant de conclure : « Cela fera un peu mal au portefeuil­le de Google, mais cela n’impactera pas sa politique mondiale. »

L’Europe doit faire émerger des géants éthiques dans le numérique

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Des manifestan­ts protestent, le 6 avril, contre l’ouverture par Google d’un incubateur de startups à Berlin.

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