Fracture numérique : accord entre Orange, Eutelsat et Thales
Après des mois de bras de fer, les trois entreprises ont signé un accord afin de connecter, par satellite, les zones difficiles d’accès à l’Internet fixe.
Le plus puissant processeur numérique jamais mis en orbite
Inespéré, inattendu, miraculeux... Il aura fallu un simple coup de fil de l’Élysée pour faire plier Orange. Car jusqu’ici l’opérateur de télécoms ne voulait pas entendre parler d’une solution satellitaire destinée à réduire la fracture numérique dans les zones isolées et difficiles d’accès en France ( La Tribune du 14 décembre 2017). C’est pourtant ce qu’a signé le jeudi 5 avril au soir Orange avec Eutelsat après des mois de bras de fer entre les deux sociétés. Au final, l’opérateur satellitaire européen commande le satellite Konnect VHTS (Very High Throughput Satellite) à Thales Alenia Space (TAS) et scelle des accords de distribution avec Orange et Thales. Cet accord « confirme le rôle incontournable du satellite dans l’essor des services très haut débit, a indiqué, le directeur général d’Eutelsat, Rodolphe Belmer. Complément indispensable des réseaux de télécommunications terrestres, le très haut débit par satellite représente, pour Eutelsat, un vecteur de croissance crucial à compter de 2020. »
EN 2022, DU TRÈS HAUT DÉBIT POUR TOUS
« La mise en orbite de ce satellite permettra de proposer en 2021 une offre d’Internet fixe très haut débit pour les habitations les plus isolées de notre territoire », a confirmé la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, Delphine Gény-Stephann. Ainsi, le gouvernement va accompagner les Français qui ne disposent d’aucune solution de très haut débit filaire via la création, dès 2019, d’un guichet « cohésion numérique » doté de 100 millions d’euros et destiné notamment à financer les équipements nécessaires à la réception du très haut débit par satellite (paraboles et technologies hertziennes). Ce projet va contribuer à atteindre les objectifs définis par Emmanuel Macron : l’accès au très haut débit fixe pour tous les Français en 2022. « Le projet s’appuiera sur des engagements pluriannuels fermes de distribution, souscrits par deux acteurs majeurs en Europe, Orange et Thales, leaders dans leur domaine d’activité », a expliqué le communiqué commun aux trois sociétés. Un accord commercial a été conclu entre Eutelsat et Orange d’une part, visant le marché du très haut débit fixe dans les pays européens dans lesquels l’opérateur de satellites est présent sur le marché grand public. D’autre part, un partenariat a été signé avec Thales, portant notamment sur la distribution de services de connectivité aux gouvernements. « Le satellite fait partie de la palette des technologies disponibles pour construire la société numérique inclusive de demain, notamment pour apporter la connectivité dans des zones rurales où il est parfois complexe d’amener les réseaux très haut débit classiques. Grâce à cet accord, nous allons renforcer nos offres à l’Internet très haut débit par satellite pour proposer à l’ensemble de nos clients européens un accès de qualité aux usages numériques », a expliqué Stéphane Richard, le dirigeant de l’opérateur historique de télécommunications. Cet accord se substitue à un projet conjoint d’Eutelsat et de l’opérateur américain ViaSat, visant à lancer en 2020 le satellite ViaSat 3 afin de couvrir l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Selon l’opérateur euro- péen, l’investissement que représente Konnect VHTS est inclus dans l’enveloppe de 420 millions d’euros par an qu’Eutelsat s’était donné pour objectif d’investir.
DÉPLOYER LA CONNECTIVITÉ EN FRANCE MAIS AUSSI EN EUROPE
Le satellite, dont l’entrée en service est prévue en 2021, sera construit par TAS, qui développera une solution satellitaire et de segment sol qui est « la plus compétitive à ce jour sur le marché », affirme le communiqué commun des trois sociétés. D’une masse de 6,3 tonnes et doté d’une capacité de 500 gigabits par seconde en bande Ka [située à des fréquences élevées, ndlr], Konnect VHTS embarquera à son bord « le plus puissant processeur numérique jamais mis en orbite, capable d’allier flexibilité dans l’allocation de capacité, usage du spectre et déploiement progressif du réseau au sol ». « Avec ce partenariat, Thales accompagne la France et l’Europe dans leur grande ambition de déploiement de la connectivité très haut débit sur leurs territoires », a souligné Patrice Caine, le PDG de Thales. In fine, cet accord entre Eutelsat et Orange vient mettre fin à de très dures négociations entre les deux acteurs. Fin février, lors de la publication des résultats annuels du groupe, Stéphane Richard avait laissé entendre que les pourparlers étaient au point mort : « Selon moi, on ne peut pas raisonnablement penser qu’Orange puisse, à lui seul, constituer la solution commerciale par rapport au lancement d’un nouveau satellite. Nous ne sommes pas tout seuls sur le marché français... De plus, vous ne lancez pas un nouveau satellite uniquement pour couvrir un marché national : il y a le reste de l’Europe », avait-il déclaré. Une position que Fabienne Dulac, la patronne d’Orange France, avait confirmée fin mars à La Tribune. Dans nos colonnes, la dirigeante avait notamment argué que « le satellite ne permet pas d’avoir une expérience client aussi bonne qu’avec les autres technologies [ comme la 4G à usage fixe, la fibre ou la future 5G, ndlr] ». À partir de 2022, « le champ laissé au satellite sera faible, c’est ce que nous expliquons », avait-elle renchéri. Depuis, Eutelsat a revu sa proposition à la baisse. Selon une source proche du dossier, Orange, de son côté, s’est finalement engagé sur un achat de capacité (différent de l’achat à la ligne auquel il est habitué avec sa filiale de télécoms par satellite Nordnet) à hauteur de 150 millions d’euros pour une période de sept ans. Soit un montant moins important que celui demandé initialement par Eutelsat, qui s’élevait à 1,2 milliard d’euros. Point important : Orange aura ainsi la possibilité de revendre de la capacité satellitaire dans d’autres pays européens, sachant que, outre la France, l’opérateur est présent en Espagne, en Belgique, en Roumanie et au Luxembourg. Dans le jeu des négociations, Stéphane Richard a également pu tirer davantage la couverture à lui à partir du 20 février, lorsque le conseil d’administration d’Orange a donné le feu vert à son renouvellement à la tête de l’opérateur. « La pression a été divisée par quatre », nous précise-t-on, sachant que, pour rappel, l’État est le premier actionnaire d’Orange à hauteur de 23%.