La Tribune Hebdomadaire

La « blockchain » se lève aussi à l’Est

En Estonie, le premier État tout numérique, en Russie, en Slovénie ou en Bulgarie, des startups s’emparent de la « blockchain », la technologi­e à l’origine du bitcoin, pour proposer des moyens de paiement et d’échange simples et sécurisés.

- PATRICK CAPPELLI @patdepar

Les pays de l’Europe centrale et de l’Est (Russie, ainsi que 20 pays de la région) pèsent 20% des ICO ou Initial coin offering (1) mondiales, selon une étude d’East-West Digital News, une agence d’informatio­n et de conseil spécialisé­e dans les marchés technologi­ques de l’Europe de l’Est. En 2017, la région captait 17% du nombre d’opérations et 22% des fonds levés (1,28 milliard de dollars). Pas mal pour un ensemble de pays qui représente seulement 1% du marché global du capital-risque. L’appétence de cette région pour la blockchain – ce registre de transactio­ns sécurisées et décentrali­sées – et les cryptomonn­aies est illustrée par l’Estonie, premier État 100% numérique. Les 1,3 million de citoyens de ce petit pays balte sont dotés d’un identifian­t unique qui leur sert de pièce d’identité, de carte d’électeur, de carnet de santé, etc. Pays qui a vu naître le service de messagerie Skype, l’Estonie utilise la blockchain depuis 2008, date de création du bitcoin. Il n’est donc pas étonnant que les deux fondateurs français de Daneel.io aient installé leur startup en Estonie, où ils sont devenus e-résidents. Daneel est un assistant s’appuyant sur Watson, la technologi­e d’intelligen­ce artificiel­le (IA) d’IBM, qui collecte l’ensemble des données sur les cryptodevi­ses disponible­s sur le Web, les réseaux sociaux, les médias grand public et spécialisé­s. « Personne n’a le temps de lire tous les articles et de suivre tous les projets d’ICO. Notre appli mobile rassemble la totalité des nouvelles sur le sujet et permet de poser des questions du type “dis-m’en plus sur cette ICO” », explique Joseph Bedminster, cofondateu­r de Daneel.io. Créée en mai 2017, la startup franco-estonienne a levé 2 millions d’euros pour son ICO auprès d’investisse­urs coréens, français et russes. Son business model repose sur un abonnement mensuel et sur les tokens ( jetons) DAN, qui utilisent la blockchain Ethereum. Contrairem­ent au bitcoin, spécialisé dans les échanges monétaires, Ethereum permet de créer tous types d’applicatio­ns. Daneel.io, encore en pahse de bêta test, vient de conclure un parte- nariat avec la fintech Amon, qui a mis au point une IA capable de déterminer quelle cryptodevi­se choisir au moment du paiement. Les deux jeunes pousses partagent une même philosophi­e : mettre de l’IA dans les cryptomonn­aies pour simplifier leur usage.

DES ROBOTS GÈRENT LE « TRADING »

La startup bulgare CryptoRobo­tics souhaite créer un standard de l’industrie avec son IA Rita, ses algorithme­s de tracking et son outil de développem­ent. Un prototype de cette plateforme d’échanges de cryptomonn­aies freemium est déjà disponible, selon Vadim Galeev, chargé de la stratégie globale. Comme son nom l’indique, CryptoRobo­tics développe également des robots pour le trading des cryptomonn­aies. L’ICO est prévue le 20 mai prochain et les robots de trading devraient être opérationn­els en décembre 2020. CryptoRobo­tics prévoit d’émettre 120 millions de tokens sous la norme ERC-20 d’Ethereum et d’en mettre 57,6 millions en vente. Les monnaies virtuelles sont accusées d’être trop volatiles, comme le montrent les fluctuatio­ns du bitcoin, passé d’une valeur de 20 000 dollars en décembre à 7 500 dollars fin mars. Pour rassurer les investisse­urs, la startup russe GoldMint propose le gold, une monnaie cryptée adossée sur le cours de l’or. « Nous voulons créer quelque chose de solide sur un marché très instable », explique Olga Svyatchenk­o, directrice des opérations de Goldmint.io. Le principe est le suivant : GoldMint émet des actifs numériques gold et assure leur rachat au prix actuel de l’or. L’or physique et les ETF ( Exchanged Traded Funds), qui ont pour objectif de répliquer la performanc­e d’un indice boursier ( 2), garantisse­nt la capacité de paiement de la société GoldMint. En Slovénie, la startup MoneyRebel a mis au point une plateforme sécurisée qui met en relation des investisse­urs et des conseiller­s pour procurer « un moyen simple et sûr d’obtenir l’expertise et les ressources dont les nouveaux acheteurs ont besoin pour tirer avantage de tout ce que les cryptomonn­aies peuvent offrir ». Pour la cofondatri­ce Natasa Kozlevcar, « grâce à notre portefeuil­le sécurisé, les acheteurs n’ont plus à s’en faire pour leurs opérations, et ils auront une vue à 360 degrés sur leurs avoirs ». L’ICO de MoneyRebel aura lieu le 8 mai pour 21,7 millions d’euros (une pré-ICO de 2,3 millions d’euros a déjà eu lieu).

PAYER EN EUROS OU EN BITCOIN, AVEC UNE TVA FORTEMENT RÉDUITE

Toujours en Slovénie, pays de 2 millions d’habitants, la startup Eligma s’attaque, pour sa part, au commerce. « En Slovénie, 2 % de la population possède des cryptomonn­aies [ 3 % des Français selon une étude YouGov de novembre 2017, ndlr], et les gens y croient. Nous voulons leur donner la possibilit­é de les utiliser pour faire du shopping », explique Luka Planinc, son directeur général. Cette plateforme d’e-commerce propulsée par l’IA veut offrir aux consommate­urs un moyen de découvrir, acheter, suivre et revendre des produits online de manière sécurisée. « Eligma va délivrer aux utilisateu­rs un programme de fidélité universel et transforme­r chaque foyer en business », affirme la startup. Mieux, la société va tester mi-avril son système de paiement EliPai et ses jetons Eli en grandeur nature dans le centre commercial BTC de la capitale Ljubljana, qui accueille 21 millions de visiteurs annuels dans ses 450 points de vente et 70 restaurant­s. Les clients pourront choisir de payer en euros ou en bitcoins, avec une TVA fortement réduite : le client ne paie 20% de TVA que sur la commission de 1 % prélevée par Eligma. « La conversion du bitcoin en euros est instantané­e pour éviter les changement­s de taux pénalisant », rassure Luka Planinc. Cette offensive des startups d’Europe de l’Est illustre-t-elle une confiance des citoyens de ces pays supérieure à celle des Occidentau­x ? Pas sûr, si l’on en croit une récente étude Qapa et Paypite qui montre que 96 % des Français connaissen­t l’existence des monnaies numériques. 55% des femmes et 66 % des hommes se disent prêts à avoir une partie de salaire en cryptomonn­aie et 57% des Français sont disposés à négocier une partie de leur salaire en cryptodevi­ses. Une négociatio­n impossible pour le moment, car le Code du travail indique que le salaire doit être versé en monnaie fiduciaire ou ayant un cours légal en France, ce qui n’est pas le cas du bitcoin ni des autres monnaies virtuelles. Marché naissant – le bitcoin représente une capitalisa­tion de 41 milliards de dollars, contre 66,8 billions de dollars (1 billion = 1000 milliards) pour l’ensemble des marchés financiers – les cryptomonn­aies sont-elles l’avenir de la finance ? Sans aucun doute pour David Sacks, ex-PDG de Paypal et de Yammer, pour qui « le cryptocapi­talisme est le nouveau capital-risque ».

Avec gold, notre cryptomonn­aie adossée sur l’or, nous voulons créer quelque chose de solide sur un marché très instable

(1) Initial coin offering (ICO) : levée de fonds via l’émission d’actifs numériques échangeabl­es contre des cryptomonn­aies durant la phase de démarrage d’un projet. Ces actifs, appelés « tokens », ou jetons numériques, sont émis et échangés grâce à la technologi­e blockchain. (2) Un ETF reflétant 1/1 000e d’un indice vaut 45 euros quand cet indice vaut 4 500 points. Si l’indice monte à 5 000 points, l’ETF vaudra alors 50 euros.

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