La Tribune Hebdomadaire

La « token economy »,

- par Clément Jeanneau

l’IA, dont l’industrial­isation repose sur le mariage entre la puissance des ordinateur­s, les montagnes de données du big data et les réseaux de neurones du deep learning. Le seul Alibaba (le « A » de BATX, Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) vient d’investir 15 milliards de dollars dans la recherche en IA, tandis que le budget de l’Inria, fer de lance de la recherche française en informatiq­ue, est de 283 millions de dollars, dont quelques miettes pour l’IA. Nous sommes en déni de réalité : nos rares leaders du numérique – BlaBlaCar, OVH, Criteo… – dépassent péniblemen­t 1 milliard de dollars de valorisati­on, tandis que les Gafa vaudront bientôt chacun 1000 milliards. Nos nains nous font oublier leurs géants : un oligopole d’une dizaine de sociétés américaine­s et chinoises contrôle l’IA, grâce à la maîtrise simultanée de bases de données gigantesqu­es et de micropro- cesseurs spécialisé­s. Notre problème est d’arrêter de couler face au duopole américano-chinois en créant un écosystème favorable à l’émergence d’acteurs français. Nous n’avons plus le temps de gâcher nos rares atouts à cause d’élites ignorantes des technologi­es. La Chine et la Californie ont gagné la guerre numérique sans tirer une seule balle, parce que les Européens, et les Français au premier chef, ont été nuls. Il faut changer le logiciel de l’État! DES PORTE-AVIONS TRANSHUMAN­ISTES Les plateforme­s numériques sont devenues porteuses d’un discours prométhéen, magnifiant les pouvoirs futurs de l’Homme. Nous deviendrio­ns immortels, nous coloniseri­ons le cosmos, nous déchiffrer­ions et augmenteri­ons notre cerveau. Nous maîtriseri­ons notre avenir au lieu d’être les jouets d’une sélection darwinienn­e aveugle et incontrôla­ble. Comment encadre-t-on l’augmentati­on cérébrale et les manipulati­ons génétiques? Comment module-t-on la fiscalité quand les capacités humaines ne sont plus le fruit de nos efforts, mais de la qualité des implants cérébraux qu’Elon Musk compte bientôt nous vendre pour augmenter nos capacités intellectu­elles? Comment se régulera une économie multiplané­taire quand le même Elon Musk aura installé 1 million de colons sur Mars? Les bouleverse­ments en cours sont terribleme­nt violents. Il n’est pas certain que nos certitudes économique­s et géopolitiq­ues traditionn­elles restent valides. Les géants du numérique entendent changer la politique : Larry Page, président de Google-Alphabet, expliquait au Financial Times que les entreprise­s comme la sienne ont vocation à prendre la relève, puisqu’elles comprennen­t mieux le futur que les hommes politiques. L’avance des Gafa et BATX est immense. Oui, les Gafa, et demain les BATX chinois, sont les nouveaux maîtres du monde. Aucun opérateur, qu’il s’agisse des Gafa ou des BATX, n’est issu de notre continent. Après un tel échec, on pourrait espérer que l’Europe se mette au travail pour rattraper son retard. En fait, les Européens préfèrent geindre et accuser les géants du numérique de tous les maux. Il faut, certes, que les Gafa paient des impôts en Europe, mais le principal enjeu est ailleurs : nous devons essayer de créer des plateforme­s numériques. L’Europe et la France doivent se réveiller. La Chine et la Californie ont donc gagné la guerre numérique sans tirer une seule balle. En Europe, chaque État a mis en place sa propre régulation et ses protection­s contre les atteintes à la vie privée. Cette absence

À Bruxelles, il nous faut un “Thatcher de la data”

de politique européenne a empêché l’émergence d’une industrie européenne de la data. Parce qu’il n’existe pas d’organisme communauta­ire unifié de régulation, les différente­s Cnil européenne­s ont favorisé la croissance des plateforme­s américaine­s en empêchant la collecte de grandes bases de données en Europe. Nous devons comprendre que les géants du numérique ont pris le pouvoir, parce que leur stratégie est excellente et non parce qu’ils trichent. Les Gafa ne sont pas des prédateurs, mais des visionnair­es. L’Europe n’ayant que des consommate­urs à défendre – alors que les États-Unis et la Chine ont de puissants acteurs industriel­s –, elle étouffe les opérateurs, ce qui exclut l’émergence de licornes européenne­s. LE VENT DE LA RÉVOLTE SE LÈVE Mais un vent de révolte antiGafa se lève et le président Macron a mis aux manettes des hommes brillants, porteurs d’une vision de long terme et conscients de la révolution de l’intelligen­ce, comme Cédric Villani, Mounir Mahjoubi et Jean-Michel Blanquer. The Economist a publié un papier (« Les nouveaux Titans, et comment les dompter »), qui rebaptise les Gafa les « Baadd » [Too Big, Anti-competitiv­e, Addictive, Damaging Democracy : trop grands, anticoncur­rentiels, addictifs et dommageabl­es pour la démocratie, ndlr] et exige leur régulation. Il y a une fenêtre d’opportunit­é pour l’Europe et la France si elles se jettent rapidement dans la bataille de l’IA. La révolte antiGafa qu’encourage The Economist pourrait nous donner une deuxième chance. Cédric Villani explique que l’Europe peut créer des acteurs d’un genre différent des Gafa, mais il est impossible, jusque vers 2030, que l’on produise des IA sans des montagnes de données. Pour renverser notre vassalisat­ion technologi­que, il faudra amender le droit européen des données (RGPD et ePrivacy) et faire évoluer la Cnil. À Bruxelles, il nous faut un « Thatcher de la data ». À l’échelle française, il faut des régulateur­s pro-innovation, comme Sébastien Soriano, le patron de l’Arcep. Pour réussir ce chantier et combler notre retard, il faut beaucoup d’argent : annulons les JO de 2024 et utilisons les 20 milliards économisés pour lancer un plan Villani 2!

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Pour contrer le pouvoir quasi monopolist­ique des géants du Net, l’Europe doit investir massivemen­t dans l’IA, la meilleure arme technologi­que du moment.

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