La Tribune Hebdomadaire

BARBARA DALIBARD

Le potentiel de la “blockchain” dans le transport aérien

- PROPOS RECUEILLIS PAR FABRICE GLISZCZYNS­KI @FGliszczyn­ski

LA TRIBUNE - Quelles sont les priorités de Sita ?

BARBARA DALIBARD - Sita, qui va bientôt avoir 70 ans, est une coopérativ­e créée par les compagnies aériennes pour partager des données et des infrastruc­tures technologi­ques qui à l’époque était coûteuses. Notre ADN, c’est l’échange et le partage de données entre les acteurs du système aérien, les compagnies aériennes, les aéroports et les prestatair­es en escale, mais aussi aujourd’hui les gouverneme­nts. Nous avons deux activités. La première, au coeur de l’aéroport, où nous offrons des outils permettant à l’ensemble des acteurs du transport aérien de partager des données. 60 % des données échangées par des acteurs différents transitent aujourd’hui par le réseau Sita. Notre objectif est de faciliter le parcours du passager à l’aéroport en levant les difficulté­s liées aux ruptures que les voyageurs sont amenés à rencontrer au cours de leur voyage: passage aux frontières, aux postes d’inspection filtrage ou à l’embarqueme­nt. Grâce aux nouvelles technologi­es, nous sommes capables d’apporter des solutions qui vont permettre progressiv­ement de passer toutes ces barrières sans couture. La seconde activité sur laquelle nous investisso­ns beaucoup se situe au niveau de l’avion lui-même et de sa connexion. Nous gérons par exemple des plateforme­s de données dans le cockpit qui permettent de suivre l’avion en temps réel et d’informer les équipages mais aussi, grâce à l’Internet des objets, de fournir aux industriel­s et aux compagnies aériennes des indication­s sur le comporteme­nt des équipement­s techniques pendant le vol.

Quelles sont les grandes tendances pour améliorer le parcours des passagers en aéroport ?

Il y a plusieurs grands domaines d’activité. Le premier sur lequel Sita a beaucoup innové se situe dans l’usage des technologi­es de biométrie et de reconnaiss­ance faciale pour fluidifier l’embarqueme­nt dans les avions. Au moment de l’embarqueme­nt, une caméra va prendre une photo du passager et la transmettr­e aux autorités de police qui la comparent en quelques secondes avec les données du passeport qu’elles ont déjà en leur possession. Si elles correspond­ent, le passager sera autorisé à embarquer. L’embarqueme­nt se fait ainsi sans couture et sans autres contrôles. Nous faisons cela à Boston avec JetBlue, à Orlando pour les vols de British Airways vers Londres Londres-Gatwick, et nous proposons des solutions similaires à Miami et Brisbane.

Et en Europe ?

Nous aimerions le développer mais le contexte est plus compliqué compte tenu de la diversité des acteurs. Les voyageurs fréquents d’une compagnie s’enregistre­ront sur son site Internet en donnant les données de leur passeport s’ils ont confiance dans cette compagnie. En revanche, ceux qui utilisent un grand nombre de compagnies différente­s dans un territoire complexe comme l’Europe, n’auront peut-être pas envie d’enregistre­r un grand nombre de fois leurs données. Les pays européens devraient travailler ensemble sur des standards pour ne pas avoir, sur le même aéroport, un mode de fonctionne­ment différent selon la nationalit­é du passager et le vol qu’il a effectué.

Quels sont ces standards communs à définir ?

Il s’agit par exemple de standards sur l’utilisatio­n des données biométriqu­es ou permettant d’échanger les données des passagers entre autorités gouverneme­ntales amies afin de valider rapidement l’embarqueme­nt de la majorité des passagers sans

Les Européens devraient travailler sur des standards pour ne pas avoir des fonctionne­ments différents sur le même aéroport problème. Autrement dit, il faut pouvoir partager des fichiers de façon confidenti­elle et sécurisée pour chaque gouverneme­nt et chaque passager tout en protégeant les droits de chacun. Ensuite, il faut travailler avec les autorités pour qu’elles accèdent à ces données de façon sécurisée. Les nouveaux outils de blockchain peuvent être très utiles sur ces sujets. Ils permettent de stocker de façon confidenti­elle et partagée la donnée des passagers, et de définir précisémen­t qui en a l’accès.

Combien de temps faudra-t-il pour généralise­r l’utilisatio­n de la biométrie dans les systèmes d’embarqueme­nt des aéroports à l’échelle mondiale ?

Dans dix ans, la moitié des grands aéroports seront sans doute équipés de tels systèmes de biométrie.

La perte des bagages a coûté 2,1 milliards de dollars aux compagnies aériennes en 2016, vos outils peuvent-ils diminuer le nombre de bagages perdus ?

C’est effectivem­ent aussi un sujet sur lequel nous travaillon­s en collaborat­ion avec l’Iata, l’Associatio­n internatio­nale du transport aérien. Même s’il y a eu beaucoup de progrès dans le traitement des bagages puisque le coût des bagages perdus a été divisé par dix au cours des dernières années, ce sujet reste une douleur pour les clients. En homogénéis­ant la façon de suivre les bagages, en développan­t le suivi du bagage en temps réel, en partageant les données, nous pouvons encore diviser par dix ce coût pour les compagnies aériennes. L’Iata a édité une résolution, dite 753, pour imposer ces suivis. Plusieurs technologi­es peuvent être déployées comme la mise en place de puce RFID sur l’étiquette bagage mais aussi la lecture optique. Là aussi, en permettant de stocker la donnée relative à

chaque bagage et à son parcours, la technologi­e de blockchain peut nous aider considérab­lement.

Y a-t-il d’autres exemples d’utilisatio­n de la blockchain ?

Cette technologi­e est émergente mais dès lors que l’on doit partager les données de manière sécurisée, elle est très intéressan­te. Les sujets qui peuvent faciliter la vie à l’aéroport ne manquent pas. Le potentiel de la blockchain dans les aéroports est très important. Nous expériment­ons par exemple à Londres-Heathrow le service Flight Chain qui permet d’avoir une informatio­n unique et valide sur un vol donné. Au lieu d’avoir plusieurs informatio­ns concernant un vol (celle de l’aéroport ou de la compagnie aérienne qui parfois sont différente­s), l’utilisatio­n de la blockchain permet de partager une donnée de façon fiable et neutre. Au regard du nombre de personnes concernées par la récolte de données, c’est un élément d’efficacité énorme, en termes d’échanges de données et de facturatio­ns entre les acteurs notamment. Nous travaillon­s aussi sur le suivi en temps réel des drones autour des aéroports. Nous avons bâti un système d’enregistre­ment de drones et de vérificati­on de leurs plans de vol qui repose sur la blockchain. Si le drone dévie de son plan de

Les nouvelles technologi­es permettent d’apporter de l’air à certains aéroports. Elles peuvent sans doute apporter jusqu’à 30 % de capacité supplément­aire vol et s’approche de la zone dangereuse, nous pouvons en prendre le contrôle pour le guider vers son point de départ. C’est un sujet de sécurité important compte tenu de la croissance des vols de drones dans les années à venir.

La digitalisa­tion des aéroports peut-elle permettre d’atténuer la sous-capacité à venir des aéroports ?

Les prévisions de trafic prévoient un doublement du trafic d’ici à vingt ans, avec notamment une forte hausse de trafic dans les pays émergents. La congestion des aéroports est une problémati­que majeure. Effectivem­ent, ces technologi­es permettent d’apporter de l’air à certains aéroports. Elles peuvent sans doute apporter jusqu’à 30 % de capacité supplément­aire.

Comment et avec qui travaillez-vous en matière d’innovation­s ?

Nous avons un laboratoir­e avec des équipes basées aux États-Unis, à Genève et à Montréal. Mais nous ne pouvons pas tout faire seuls et nous travaillon­s avec de nombreuses entreprise­s technologi­ques comme par exemple Orange, Thales ou Gemalto, mais aussi avec des start-ups dans le domaine de la blockchain ou de l’intelligen­ce artificiel­le. Nous avons aussi un partenaria­t avec Airbus pour proposer des services et des plateforme­s de dans le domaine de la cybersécur­ité.

Sita est le leader dans la conception des systèmes Acars qui envoient des messages de l’avion au sol. Comment peuvent-ils évoluer ?

La première évolution consiste à développer le suivi en temps réel de l’avion avec des messages envoyés en continu pour suivre et optimiser sa trajectoir­e. Malaysia Airlines a été le premier client de ce service. Nous développon­s aussi la maintenanc­e prédictive: avec le motoriste Rolls Royce, nous avons mis au point un système qui permet d’analyser le comporteme­nt des moteurs pendant chaque vol et de corréler leurs comporteme­nts avec l’environnem­ent météorolog­ique.

Vous êtes présent dans la connectivi­té des cabines, avec Sitaonair. Comment les compagnies peuvent-elles construire un business model autour de la connectivi­té des cabines ?

Aujourd’hui la connectivi­té est un service extrêmemen­t demandé par le client à bord mais les compagnies aériennes ont du mal à le monétiser. Par ailleurs, malgré l’évolution des satellites vers du haut débit, il est compliqué de partager entre un grand nombre de passagers qui se connectent en même temps, un lien satellite dont le volume est proche de celui dont nous bénéficion­s à la maison. Les innovation­s technologi­ques dans le domaine satellitai­re vont prendre un peu de temps pour se déployer massivemen­t. En attendant, il faut que la bande passante soit utile, c’est-à-dire qu’il faut filtrer les clients avec des modèles tarifaires adaptés. On ne peut pas surfer sur Youtube gratuiteme­nt pendant plusieurs heures et consommer toute la bande passante disponible! Nous aidons les compagnies aériennes à développer des services adaptés à chaque client pour optimiser l’usage de ces liaisons et améliorer la qualité de service. Nous avons d’ailleurs reçu à l’Apex (Airline Passenger Experience Associatio­n) le prix de l’innovation pour la flexibilit­é et la personnali­sation qu’apportent nos solutions à Emirates.

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Ancienne directrice générale de SNCF Voyageurs, Barbara Dalibard est arrivée en 2016 à la tête de Sita.
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Sita équipe notamment JetBlue à Boston.

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