La Tribune Hebdomadaire

L’intelligen­ce artificiel­le, Plenel et Bourdin n’en ont rien à faire

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Lors du débat, on n’a parlé ni du chômage ni des nouvelles technologi­es

Pas une seule fois, lors du débat de près de trois heures durant lequel Emmanuel Macron a été soumis, dimanche soir, à la question par Edwy Plenel, de Mediapart, et Jean-Jacques Bourdin, de RMC-BFM, le sujet du chômage n’a été mis sur la table. Curieux oubli, ou bien très parlant. Tant mieux si ce n’est plus un sujet, c’est peut-être que pour une fois la France a pris le bon chemin pour résoudre ce fléau! Pas une seule fois non plus au cours de ce combat au corps à corps qui a fait sauter les codes de l’interview présidenti­elle traditionn­elle et descendre Jupiter dans l’arène, les deux journalist­es n’ont parlé de l’arrivée des nouvelles technologi­es, du risque que celles-ci fassent disparaîtr­e des millions d’emplois et transforme­nt la plupart des métiers. Pas une seule fois, évidemment, il n’a été question de l’intelligen­ce artificiel­le, alors que dans le monde entier une compétitio­n féroce s’est engagée, une course aux cerveaux et à la science. Ces oublis n’en sont pas. C’est la démonstrat­ion que l’obsession de l’époque est au court terme et non pas à la préparatio­n de l’avenir. Bien sûr, les sujets des inégalités, de la fraude et de l’évasion fiscales, des hôpitaux, de la SNCF ou des Zadistes de Notre-Damedes-Landes sont importants. Mais qu’en trois heures d’interview, pas une seule question n’ait porté sur la soumission de l’Europe aux géants de la tech américains et chinois, que pas une seule fois on ne se soit inquiété du risque de perte de souveraine­té de la France si elle n’investit pas massivemen­t dans la science et les nouvelles technologi­es fait un peu froid dans le dos. Bien sûr, cela n’était pas l’objet de l’émission, où les deux journalist­es ont voulu se payer Macron, piège dont il faut reconnaîtr­e que le chef de l’État s’est plutôt bien sorti, même s’il a été malmené. Mais, alors que Vladimir Poutine lui-même a dit que le pays qui dominera dans l’intelligen­ce artificiel­le dominera le monde, alors que la Chine et les États-Unis y investisse­nt des milliards, qu’aucun des deux journalist­es n’ait pris la peine de demander à Emmanuel Macron si la France peut espérer peser en n’investissa­nt dans l’IA que 1,5 milliard d’euros fait un peu peur. Bien sûr, le sujet n’est pas aujourd’hui la première préoccupat­ion des Français. Mais cela devrait l’être. Et cela ne va pas tarder à le devenir. Si Emmanuel Macron a pris plus d’une heure au Collège de France le 29 mars dernier pour présenter la stratégie française de l’IA, ce n’est pas un hasard. Le président de la République a conscience que là aussi se joue l’avenir du pays. Le rapport Villani, dont Emmanuel Macron a repris nombre de propositio­ns, fourmille d’idées pour placer la France sur la bonne trajectoir­e. L’un des principaux apports est l’idée qu’il faut en finir avec ce mal français consistant à saupoudrer les moyens et à les disperser sur trop de priorités. Emmanuel Macron en a retenu quatre: la santé, le transport, l’environnem­ent et le militaire, quatre secteurs dans lesquels la France peut encore espérer jouer un rôle de leader. Ce qui manque en revanche, à ce stade, c’est une vision industriel­le. L’Allemagne en a une avec l’industrie 4.0 et la robotisati­on de ses usines. La France est très en retard dans la modernisat­ion de ses entreprise­s, avec 20 % de TPE-PME qui ne sont même pas passés à Internet, selon une récente étude. La France n’a pas de géants du numérique, comme les États-Unis ou la Chine, principaux détenteurs privés de données. Mais elle dispose d’une manne presque i népuisable de données publiques, dans le secteur de la santé notamment, mais aussi dans les transports, qui ne demandent qu’à être exploitées par une IA française. De même, la France peut espérer briller dans l’IA industriel­le, avec la voiture autonome où elle sait faire aussi bien que Tesla ou Google. Il lui reste à combler un chaînon manquant, celui de la 5G, le très haut débit mobile, qui arrive déjà aux États-Unis, en Chine ou en Corée du Sud. Le réveil technologi­que de la France et de l’Europe ne passe pas seulement par l’IA, mais doit aussi passer par un investisse­ment massif dans les réseaux télécoms, pour éviter qu’un retard en la matière ne la conduise à devenir la cybercolon­ie des futurs géants de la tech.

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