La Tribune Hebdomadaire

Qui se cache derrière Black Cube, l’agence israélienn­e citée dans le scandale Cambridge Analytica ?

- JEANNE DUSSUEIL À TEL AVIV @Jdussueil

« Un groupe de vétérans triés sur le volet, issus de l’unité d’élite d’intelligen­ce israélienn­e, spécialisé dans des solutions sur mesure pour résoudre des enjeux business et des litiges complexes », peut-on lire sur la page d’accueil du site de Black Cube, en guise d’appât, mêlant une cyberprése­nce Dangereuse­ment vôtre à une expertise GoldenEye. Pour la deuxième fois en six mois, cette agence privée israélienn­e créée par des anciens agents du Mossad – l’une des trois agences d’État, chargée du renseignem­ent extérieur – fut au coeur d’une nouvelle tempête médiatique. Et non des moindres: dans le cadre d’une affaire politique au Nigeria, elle aurait collaboré avec Cambridge Analytica, la société technologi­que londonienn­e responsabl­e de la fuite des données de 87 millions d’utilisateu­rs Facebook (dont 2,7 millions d’Européens). Black Cube a depuis formelleme­nt démenti toute implicatio­n. À l’origine de cette nouvelle mise en lumière, Christophe­r Wylie, l’ancien directeur de la recherche de Cambridge Analytica. Ce lanceur d’alerte, en plus d’avoir révélé la fuite des données Facebook, a mentionné lors d’une audition devant les parlementa­ires de la Chambre des communes à Londres « les services d’une société privée israélienn­e d’intelligen­ce, Black Cube ». L’agence, qui vient de s’installer au 26e étage d’une tour sur le très huppé boulevard Rothschild à Tel Aviv, connaît bien la capitale britanniqu­e. Elle y a ouvert une filiale, assez vite après sa création, en 2010. Et pour son troi- sième bureau, en 2015, elle a choisi… Paris. L’adresse renseignée sur le site est le « 10, place Vendôme », en face des fenêtres du ministère de la Justice.

LE MOSSAD ET LA “HUMAN INTELLIGEN­CE”

En plus de ses 120 salariés, dont 30 auraient été recrutés l’année dernière, sur son site, Black Cube présente à ce jour un board de conseiller­s assez peu orthodoxe. Parmi ceux qui y siègent, on trouve Meïr Dagan, un ancien directeur du Mossad et ancien conseiller du Premier ministre Ariel Sharon, un ancien chef du Conseil de sécurité nationale d’Israël, un chercheur en microécono­mie proche des ministères de la Défense et des « I nf r a s t r uct ures nati onales », un directeur marketing mobile au sein de la société américaine Verifone spécialisé­e dans les terminaux de paiements nouvelle génération… Et un certain « E.J. », seul resté fidèle à la culture de l’anonymat. On saura seulement qu’il a dirigé une unité d’élite Humint, pour human intelligen­ce, nom de code qui réfère aux opérations spéciales menées sur le terrain, à Gaza ou en territoire­s occupés… Enfin, autour de cette galaxie de compétence­s multinatio­nales, Paul Reyniers, un ancien consultant anglais de Price Waterhouse. Ce spécialist­e du management du risque et des stratégies d’entreprise est à la tête de sa propre société depuis quinze ans, à Londres. Plutôt discrète, Black Cube voit sa notoriété grandir depuis quelques années et une certaine affaire Weinstein. Elle avait alors été accusée d’avoir effectué pour le compte du producteur hollywoodi­en des recherches sur certaines femmes l’accusant de harcèlemen­t sexuel. En novembre dernier, Black Cube s’était fendue d’excuses officielle­s, reprises dans la presse anglo-saxonne. L’affaire avait même éclaboussé un autre ponte du secteur de la cybersurve­illance, l’ancien Premier ministre Ehud Barak, qui a simplement déclaré ne pas avoir su pourquoi le magnat du cinéma lui avait alors demandé son aide et son avis sur Black Cube. Les connexions avec le monde politique se seraient arrêtées là si l’ancien employé de Cambridge Analytica qui l’accuse n’avait pas fait un autre lien. Cette fois, Christophe­r Wylie cite Black Cube et ses hackers à propos du vol des données personnell­es du président nigérian Buhari avant l’élection présidenti­elle. Le but était d’accéder à son dossier médical et à ses emails. La mission aurait été facturée près de 2,3 millions d’euros (2 millions de livres) par Cambridge Analytica, selon le Guardian. Mais, pour cette affaire avec Cambridge Analytica, Black Cube a formelleme­nt rejeté les accusation­s de Christophe­r Wylie, les qualifiant de « mensonge flagrant » et « diffamatoi­re », tout en étant « flatté d’être apparemmen­t connecté à chaque incident internatio­nal qui survient », rapporte le quotidien israélien Haaretz le 27 mars. Pour enfoncer le clou, Sean Richardson, le directeur des services juridiques de Cambridge Analytica, a, lui, écrit une lettre au Jerusalem Post dans laquelle il souligne « qu’aucun employé, agent ou entreprise affilié à Cambridge Analytica n’a jamais travaillé avec Black Cube, ses directeurs, employés ou agents, et [que] tout autre déclaratio­n affirmant l’inverse est fausse ». La riposte est ferme et doublement coordonnée.

SCÉNARIO À LA JAMES BOND

Car derrière l’exploitati­on illégale de données se cache un plus gros scandale, celui de l’élection américaine de 2016 et de la capacité d’entreprise­s technologi­ques comme Cambridge Analytica et Black Cube d’influencer les électeurs via le réseau social. Sans les manipulati­ons opérées par le client britanniqu­e de Facebook, « il n’y aurait pas eu de “Brexit” », affirme encore Christophe­r Wylie, qui mouille également un troisième larron, une société canadienne partenaire du Britanniqu­e. Si l’on ne se trouve pas dans le dernier opus d’un James Bond, tous les ingrédient­s sont bien là : réseau mondial tentaculai­re, hacker repenti, données secrètes… Reste qu’en Israël, avant d’être une fiction d’espionnage, le marché de la cybersécur­ité est d’abord une réalité économique. Deuxième champion après les États-Unis, le pays a attiré 16 % des investisse­ments mondiaux en cybersécur­ité en 2017, selon les chiffres de l’agence Start-Up Nation Central. L’an passé, le pays comptait 420 entreprise­s dans ce secteur, dont 70 nouvelleme­nt créées. « Nous sommes à un tournant des technologi­es, comparable à l’ère qu’a inauguré Robert Oppenheime­r, le père de la bombe atomique », conclut Fabrice Epelboin, spécialist­e en cybersécur­ité. Reste qu’avec la démocratis­ation des technologi­es, les cybercodes peuvent désormais tomber entre les mains d’une multitude de réseaux.

Black Cube est flatté d’être connecté à chaque incident internatio­nal

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L’ancien employé de Cambridge Analytica Christophe­r Wylie cite Black Cube et ses hackers à propos du vol des données personnell­es du président nigérian Buhari avant l’élection présidenti­elle.

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