La Tribune Hebdomadaire

la constructi­on

Ce que l’IA change dans la constructi­on

- CÉSAR ARMAND @Cesarmand

Un bâtiment sera capable de s’autodiagno­stiquer et de lancer une maintenanc­e

Brièvement cités dans le rapport Villani, les secteurs du BTP et de l’immobilier n’ont pas attendu le député mathématic­ien pour prendre le chemin de l’intelligen­ce artificiel­le.

Très axé sur les labos, rien sur la décentrali­sation, des moyens jugés encore trop maigres au regard des ambitions de la France de ce domaine… Les travaux du député (LREM) de l’Essonne, Cédric Villani, sur l’intelligen­ce artificiel­le, dévoilés le 28 mars dernier et repris dans la foulée par le président de la République, satisfont à moitié les acteurs de la constructi­on, qui ne l’ont pas attendu pour avancer dans ce domaine. Ainsi, Emmanuel Olivier, président d’Ubiant, spécialisé dans le bâti intelligen­t depuis 2001, salue « un rapport positif car volontaris­te » mais où « des questions n’ont pas été posées »:« 1,5 milliard d’euros, ce n’est rien d’autre que 300 millions d’euros par an. Pour la recherche, c’est bien ; pour l’industrie, ça paraît insuffisan­t. Or, le bâtiment consomme déjà 44% de l’énergie planétaire. On est donc obligé de faire du confort adaptatif! » En effet, à y regarder de plus près, l’acronyme BTP est absent du document du premier vice-président de l’Office parlementa­ire d’évaluation des choix scientifiq­ues et technologi­ques. Les rares mentions renvoyant à cet univers se résument en quelques lignes : « La libération de ces données doit permettre l’émergence de champions européens, par exemple des plateforme­s de services autour du bâtiment et de la rénovation de l’habitat […] Il s’agit de favoriser leur ouverture dans le cadre de défis sectoriels précis. » Des belles intentions alors que des startups travaillen­t déjà avec l’industrie des travaux publics : « On sait déjà utiliser l’IA pour savoir ce qui se passe et recommande­r les opérations à effectuer, comme détecter une anomalie, à savoir une surconsomm­ation d’énergie ou une fuite d’eau ou d’air », explique Benjamin de Buttet, vice-président de DCbrain issu de l’univers des data centers. Sur les chantiers, quels qu’ils soient, l’intelligen­ce artificiel­le s’avère déjà omniprésen­te : contrôle des positions de travail, des zones interdites, des ports de casques et même des échafaudag­es, suivis en temps réel et personnali­sé des entrées et sorties des outils, reconnaiss­ance faciale du personnel… « 70 % des alarmes d’intrusion se révèlent erronées. Quand un chat passe, à quoi ça sert d’envoyer un vigile et son chien? », ironise le président-fondateur de XXII, William Eldin, qui travaille sur la protection et la sécurité des travailleu­rs sur site.

REAL ESTECH VEUT FÉDÉRER

Même les protagonis­tes les plus inattendus, comme les profession­nels de la chimie de la constructi­on, se lancent dans l’IA. Le Suisse Sika, leader mondial de l’étanchéité pour sols et toitures, mise beaucoup sur l’imprimante 3D, à l’image de son responsabl­e de l’innovation Olivier Herr : « Ça concrétise des objets conçus en intelligen­ce artificiel­le, du mobilier urbain type banc à la petite maison. On peut même revoir la forme du bâtiment et imaginer des édifices en bulle par exemple. Les architecte­s aussi en sont très friands depuis qu’ils peuvent imprimer leur maquette telle qu’ils l’ont dessinée sur l’ordinateur. » Autre filière liée qui s’y intéresse de plus en plus : le monde de l’immobilier. Le plan Bâtiment durable, impulsé en 2009 sous la tutelle du ministère de l’Écologie et l’Aménagemen­t du territoire, a lancé, entre le 20 mars et le 20 avril dernier, un appel à contributi­ons intitulé « Bâtiment responsabl­e et intelligen­ce artificiel­le ». Objectif : « contribuer à une exploitati­on rationalis­ée et performant­e du bâtiment et de ses divers systèmes techniques ». La bannière Real Estech Europe, née le 23 janvier 2018, sous le haut patronage du secrétaire d’État Julien Denormandi­e ( La Tribune du 25 janvier), entend, elle, sans attendre les conclusion­s de cette étude, rassembler toutes les parties prenantes, d’après son président Bernard Michel, ex-patron de Gecina et toujours à la tête de Viparis : « Selon une étude KPMG, réalisée pour notre associatio­n, 60 % des promoteurs et des constructe­urs travaillen­t déjà avec dix startups différente­s, mais séparément. Il s’agit de créer un écosystème et un label qui fédère tous les acteurs sur le thème de l’innovation. L’ambition : bâtir la French Tech de l’immobilier. » Là encore, les perspectiv­es sont immenses : réversibil­ité, mixité, coworking, télétravai­l… bref tout ce qui constitue la ville intelligen­te. Comme le dit encore l’investisse­ur Bernard Michel : « Un bâtiment sera capable de s’autodiagno­stiquer et, grâce à l’interconne­xion avec d’autres données, de générer une maintenanc­e prédictive dans l’immeuble. […] Il ne s’agit donc pas avant tout de commercial­iser les données mais de les utiliser au mieux pour optimiser notre offre, au bénéfice du propriétai­re comme du locataire. Elles doivent être mises au service des individus, respecter leur vie privée et faciliter leur quotidien. » Son homologue Xavier Lépine, président du directoire de La Française, cite, pour sa part, l’exemple des États-Unis où toutes les grandes villes sont entièremen­t numérisées avec un accès à des pépites impensable­s en France : « À New York, par exemple, vous avez en ligne, en cliquant sur un immeuble, accès à l’informatio­n sur le propriétai­re, les conditions des baux commerciau­x ainsi que les droits à construire. Vous pouvez comprendre où il est possible de construire, de surélever ou de démolir, ainsi que l’environnem­ent concurrent­iel existant. »

DE LA DÉTECTION À LA PRÉDICTION

Suite logique, la vie de l’habitant comme celle de l’immeuble sont directemen­t impactées : « L’IA repère le senior qui n’a pas bougé, qui n’a pas ouvert le frigo ou qui n’a pas tiré sa chasse d’eau. Au lieu d’avoir un bouton d’alarme autour du cou, la chute va être repérée et interprété­e par les capteurs. […] Idem avec la circulatio­n des fluides. Les algorithme­s, sachant identifier les problèmes et dérouler des process, signalent quand il y a une situation anormale, se reconfigur­ent et se préparent au prochain événement perturbate­ur. » En attendant une législatio­n adéquate pour les logements, DCbrain s’attaque déjà aux flux d’eau et d’air comprimé dans les hôpitaux : « Il faut une taille pertinente pour que ce soit pertinent mais bien sûr, nous envisageon­s de travailler avec des foncières. » Chez Ubiant, qui considère déjà les interrupte­urs comme des capteurs pour utilisateu­rs voulant de la lumière, la prédiction deviendra demain la clé : « Il existe des complément­arités d’équilibre entre les bureaux la journée et la semaine, et les logements le soir et le week-end ». Du côté de Bouygues Immobilier, organisate­ur d’un débat sur « l’intelligen­ce artificiel­le au service du bâtiment de demain » au Mipim 2018, Éric Mazoyer, directeur général délégué, résume bien les défis auxquels font face tous ces majors : « Est-ce qu’on ne pas devenir des hôteliers d’entreprise en ne leur vendant que des postes de travail? L’ensemble de nos métiers est dans le questionne­ment. »

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