La Tribune Hebdomadaire

Gabrielle Gauthey (CDC) : « Sur cinq ans, la CDC peut susciter 35 milliards d’euros d’investisse­ments »

GABRIELLE GAUTHEY DIRECTRICE DES INVESTISSE­MENTS À LA CDC

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE ET DOMINIQUE PIALOT @phmabille @PIALOT1

Gabrielle Gauthey, qui va quitter cette semaine la Caisse des dépôts et consignati­ons, tire les enseigneme­nts de la direction des investisse­ments et du développem­ent local qu’elle a créé et qui sera la banque d’affaires de la future banque des territoire­s. En trois ans, 15 milliards d’euros d’investisse­ments, publics et privés, ont été générés. L’effet de levier permet d’espérer un rythme récurrent de 7 milliards d’euros par an.

LA TRIBUNE - Vous quittez la direction des investisse­ments et du développem­ent local de la Caisse des dépôts, direction qui va devenir en quelque sorte la banque d’affaires de la future banque des territoire­s au sein de la CDC. Quel a été le bilan de la politique d’investisse­ment que vous avez engagée ?

GABRIELLE GAUTHEY - Je suis arrivée en 2015 à la demande de l’ancien directeur général, Pierre-René Lemas, pour relancer l’investisse­ment dans notre pays dans un contexte général de réduction des dotations versées aux collectivi­tés et à la réorganisa­tion des territoire­s autour des nouvelles régions et des métropoles. Cette direction est née de cette volonté : à effectifs constants, en regroupant une partie de l’ancienne direction du développem­ent territoria­l et du réseau et plusieurs filiales (CDC Infrastruc­ture, CDC Climat et CDC Numérique), ainsi que Exterimmo, nous avons multiplié nos investisse­ments par quatre, passant de 250 millions à 1 milliard d’euros en trois ans. Nous soutenons désormais quelque 200 projets par an, contre 130 il y a trois ans. Il s’agit essentiell­ement de projets dits « greenfield » [nouveaux, ndlr]. Olivier Sichel, le nouveau directeur général adjoint chargé de la future banque des territoire­s qui va absorber la direction des investisse­ments et du développem­ent local, m’a dit : « Formidable, vous avez créé la banque d’affaires des territoire­s. » Et de fait, ce dont je suis le plus fière, c’est d’avoir réussi à engendrer un mouvement de reprise de l’investisse­ment en France, en développan­t de façon plus intensive les partenaria­ts avec le secteur privé. Le milliard d’euros d’investisse­ment de la CDC génère en effet 7 milliards d’euros d’investisse­ments grâce à l’effet de levier sur l’investisse­ment et le financemen­t privé. En trois ans, la direction des investisse­ments et du développem­ent local a ainsi pu financer 15 milliards d’euros de projets. Si on extrapole sur cinq ans, on peut espérer réaliser 35 milliards d’euros d’investisse­ments, soit 70 % du plan quinquenna­l de 50 milliards annoncé par le président Macron. Donc oui, c’est possible d’investir et d’ailleurs, lors d’une récente rencontre avec le ministre allemand des Télécoms, j’ai pu constater que notre méthode suscitait beaucoup d’intérêt outre-Rhin.

Comment choisissez-vous les projets pour attirer le privé à vos côtés ?

Avant d’être investisse­ur, nous sommes monteur et développeu­r de projets. En amont, nous réalisons les études d’ingénierie et la structurat­ion juridico-financière et ensuite nous essayons de faire venir les acteurs privés à nos côtés. Notre doctrine d’investisse­ment, qui a été saluée par la Cour des comptes, est claire. Nous intervenon­s dans trois domaines : les infrastruc­tures (transports, énergies renouvelab­les, très haut débit), l’immobilier (sanitaire et social, bureaux, touristiqu­e) et le développem­ent économique local. Dans le tourisme, nous avons largement été au rendez-vous du plan Fabius pour la constructi­on et la rénovation de nos équipement­s, qu’il s’agisse de thermalism­e, de tourisme d’affaires, de ports de plaisance, de patrimoine remarquabl­e. Nos investisse­ments concernent l’ensemble du territoire, mais 73 % de nos projets se situent dans les villes moyennes et les territoire­s péri-urbains et ruraux.

Au risque de renoncer à la rentabilit­é ?

Non, nous nous sommes fixé des taux de rentabilit­é interne (TRI) cibles par classe d’actifs, en mixant au sein d’une même classe les projets rentables et ceux à rentabilit­é différée. Mais nous évaluons également nos projets à l’aune de critères sociaux et environnem­entaux. Nous avons ainsi beaucoup « verdi » notre portefeuil­le et imposé des normes d’efficacité énergétiqu­e au-dessus de la moyenne pour donner le « la » au marché, d’autant que cela valorise nos actifs à long terme. Nous avons aussi des critères d’impact social. Par exemple, notre fonds NovESS, levé en 2017 pour faire grandir des entreprise­s de l’économie sociale et solidaire, utilise un référentie­l de mesure de l’impact social (Mesis) que nous souhaiteri­ons voir étendu. Parallèlem­ent, nous avons fortement amélioré le rendement du portefeuil­le de la CDC (de 30 %), levé une obligation verte (Green Bond) de 500 millions d’euros, assise à 80 % sur des actifs immobilier­s neufs ou en rénovation, et investi dans des entreprise­s innovantes de la smart city, porteuses de vision d’avenir sur nos métiers, susceptibl­es de « disrupter » les secteurs de l’immobilier ou des infrastruc­tures.

Pouvez-vous en donner quelques exemples ?

Dans les mobilités, c’est Cityscoot, le scooter électrique en libre-service, que nous soutenons depuis ses débuts et qui se déploie maintenant également dans d’autres villes que les grandes métropoles. Ou bien Citiz, le premier réseau national d’autopartag­e de véhicules électrique­s qui opère sous marque blanche dans 80 communes. Je peux citer aussi Oxipio, dans la logistique du dernier kilomètre, ou CitiZen Mobility, pour les personnes âgées en milieu rural. Enfin, nous avons pris une participat­ion dans Hype, la première compagnie de taxis 100 % hydrogène. Nous avons également construit une matrice croisant différents types de mobilité en fonction des territoire­s, et avons parfois dû créer l’offre là où elle n’existait pas. Dans l’immobilier, un secteur également très « disrupté », nous soutenons le coworking avec Base10, Bureaux à partager, des tiers lieux comme Stop & Work ou encore La Cordée, qui vise une quarantain­e de lieux, plutôt en zones rurales. Dans l’énergie, nous avons investi dans Sobre, opérateur d’efficacité énergétiqu­e des bâtiments. Dans la data, nous avons beaucoup réfléchi avec les collectivi­tés locales sur les sujets à maîtriser. Nous avons investi dans OpenDataSo­ft, Spallian ou Dawex, qui permettent la gestion et la monétisati­on des données, notamment de la smart-city. Nous sommes systématiq­uement minoritair­es dans ces jeunes pousses, sans nous fixer de durée de présence au capital, mais nous nous préoccupon­s des conditions de sortie.

La future loi Mobilités va donner un coup d’arrêt aux grands projets type Ligne à grande vitesse (LGV) et mettre l’accent sur les mobilités du quotidien. Quel peut-être le rôle de la CDC ?

Il faut probableme­nt changer la philosophi­e de l’investisse­ment public. Ce que la direction des investisse­ments et du développem­ent local a apporté, c’est la coconstruc­tion de solutions de mobilité innovantes avec les collectivi­tés locales. Nous l’avons fait par exemple à Marseille, dans un contexte de suspension des grandes infrastruc­tures. La LGV Bordeaux-Toulouse peut devenir un projet public-privé. De même, nous étudions avec des régions la possibilit­é de faire rouler des trains à hydrogène sur des petites lignes, ou des trains solaires touristiqu­es. Nous avons aussi investi avec NEoT Green Mobility dans une société de constructi­on et de leasing de batteries pour accélérer la migration des flottes de bus des collectivi­tés locales vers l’électrique. Le métier d’investisse­ur est le métier le plus récent de la CDC ; c’est d’ailleurs un métier nouveau pour beaucoup d’entités publiques, qu’il s’agisse de l’État et de ses agences (ADEME, ANRU…), des régions mais aussi de la BEI. J’ai essayé de le développer en enrichissa­nt un vivier de projets largement développé en lien avec nos partenaire­s privés, en le structuran­t pour le porter au meilleur des standards du marché, de sorte que le profession­nalisme des équipes de la CDC puisse être reconnu et que celle-ci puisse être digne des mandats qui pourront lui être confiés à l’avenir.

Je suis fière d’avoir réussi à engendrer un mouvement de reprise de l’investisse­ment en France

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