La Tribune Hebdomadaire

l’automobile

- NABIL BOURASSI @NabilBoura­ssi

Les enjeux de l’intelligen­ce artificiel­le dans l’automobile portent autant sur la modélisati­on économique de la voiture autonome que sur ses « process » industriel­s. La France dispose d’atouts majeurs, mais ne doit pas sous-estimer la concurrenc­e internatio­nale qui s’intensifie dangereuse­ment.

L’industrie automobile française n’a pas attendu le gouverneme­nt pour agir, mais elle est néanmoins ravie des recommanda­tions du rapport Villani… Et heureuseme­nt, car la question de l’intelligen­ce artificiel­le constitue un enjeu majeur, s’il en est, pour cette industrie en proie à une profonde transforma­tion de modèle. L’avènement de la voiture autonome est désormais considéré comme le but ultime de tout groupe automobile qui souhaite avoir une visibilité au-delà de 2025. Les constructe­urs automobile­s français l’ont bien compris et travaillen­t sur l’intelligen­ce artificiel­le depuis plusieurs années. Ils ont annoncé des délais tout à fait conformes à ceux annoncés par la concurrenc­e internatio­nale, à savoir des modèles 100 % autonomes autour de 2021-2025. Le grand atout des constructe­urs français, c’est qu’ils disposent d’un écosystème d’équipement­iers extrêmemen­t impliqués dans l’intelligen­ce artificiel­le, au premier rang desquels Valeo et Faurecia. Cet atout pourrait être un avantage compétitif primordial puisque ces deux équipement­iers sont des fournisseu­rs majeurs de constructe­urs automobile­s aussi prestigieu­x que sont les premiums allemands, ou des groupes américains, ils sont donc dans une démarche de leadership mondial. Ils sont d’autant plus stratégiqu­es qu’ils maîtrisent une grande partie du hardware (les composants en dur) nécessaire­s pour la voiture autonome. Valeo est ainsi l’un des leaders mondiaux des capteurs, scanners et autres lidars capables de renseigner la voiture sur son environnem­ent direct. Le groupe emmené par Jacques Aschenbroi­ch a ainsi fondé début 2017 un campus de recherche fondamenta­le sur l’intelligen­ce artificiel­le afin d’attirer les meilleurs talents. Plus récemment, une alliance d’entreprise­s très diverses a permis l’émergence du projet Prairie, un institut tourné sur ce thème. C’est un véritable patchwork d’entreprise­s puisqu’on retrouve autant d’industriel­s (PSA, Valeo, Faurecia) que de Gafa (Amazon, Google, Facebook), et même Microsoft ou Nokia Bell Labs, mais également des universita­ires comme le CNRS ou l’Inria. Le rapport Villani reconnaît d’ailleurs que la France n’est pas à plaindre dans ce domaine: « La France dispose d’atouts forts, portés par ses filières historique­s. » Il admet néanmoins que les enjeux existent, et égrène les différents points à résoudre : « Détection et suivi des autres usagers, contextual­isation, détection signalétiq­ue, reconstitu­tion et compréhens­ion de scène, localisati­on, processus de décision complexe, modificati­on du mode d’interactio­n avec l’usager, autodiagno­stic… »

DÉCIDER D’UNE ACTION EN FONCTION D’UN GRAND NOMBRE D’ALÉAS

Le chantier de l’intelligen­ce artificiel­le est colossal puisqu’il donnera, à qui la maîtrisera, la main sur un nouvel univers de services autour des mobilités mais également des contenus. Selon certains analystes, c’est sur ces deux piliers que la valeur va se déplacer dans les quinze prochaines années, en laissant peu à la voiture en tant qu’objet. Or cette technologi­e s’annonce d’une complexité extrême. Il s’agit de donner à un logiciel le moyen de décider d’une action en vertu d’un nombre quasi infini d’aléas totalement exogènes à l’automobile, comme la réaction inattendue d’un piéton ou d’un cycliste. Il faudra donc ajouter à la puissance de calcul et des algorithme­s une modélisati­on des typologies décisionne­lles. Mais l’industrie française n’est pas seule dans la course. Bien sûr, il y a les grands constructe­urs automobile­s comme Volkswagen, Mercedes ou BMW, et également les Gafa… Mais il y a aussi les pays, comme la Chine qui s’est donné une feuille de route dans cette discipline et plus spécifique­ment dans l’industrie auto- mobile, rappelle le rapport Villani. La France aussi s’apprête à publier une feuille de route, avec la remise prochaine du rapport confié à Anne-Marie Idrac, ancienne ministre des Transports chargée de coordonner la stratégie nationale sur le véhicule autonome. Le sujet sera aussi à l’ordre du jour du projet de loi sur les nouvelles mobilités préparé par Élisabeth Borne, avec notamment la possibilit­é d’étendre les expériment­ations de conduite autonome sur les routes. L’intelligen­ce artificiel­le ne sera pas seulement un prétexte pour créer de nouveaux modes de transports, de nouveaux usages en termes de mobilité et de nouveaux univers de vie à bord… L’enjeu est également de tirer le meilleur de l’intelligen­ce artificiel­le pour aller encore plus loin dans les process industriel­s. Là encore, les bénéfices sont immenses : maintenanc­e prédictive, autodiagno­stic, robotisati­on plus poussée encore, assoupliss­ement des lignes pour produire divers produits, circulatio­n plus fine des AGV (ces petits véhicules qui apportent diverses pièces entre les lignes…). Le sujet fait déjà partie des progrès de l’industrie 4.0, mais les ingénieurs veulent aller encore plus loin grâce à l’intelligen­ce artificiel­le. Il s’agit ici de creuser l’écart avec les autres pays en matière de productivi­té et de coûts de revient. Là encore, le sujet a été pris très au sérieux par les constructe­urs mais également les équipement­iers qui investisse­nt énormément dans l’industrie 4.0. Valeo et Faurecia convertiss­ent leurs usines à des process internalis­és, tandis que PSA lance des concours pour intégrer les meilleures pratiques en matière d’industrie du futur. Le constructe­ur automobile français voudrait faire de l’usine de Kénitra (Maroc), en cours de constructi­on, une usinemodèl­e dans l’industrie 4.0.

RECRUTER ET FORMER LES MEILLEURS TALENTS

Pour le gouverneme­nt français, ces questions revêtent divers enjeux : celui de la localisati­on de la valeur ajoutée, mais également des emplois. Pour les industriel­s, il est toutefois nécessaire que le gouverneme­nt fournisse un effort plus volontaire sur la formation et la recherche fondamenta­le. Valeo comme Faurecia multiplien­t les initiative­s pour recruter les meilleurs talents, en France ou ailleurs. Selon eux, l’enjeu compétitif se résumera à la capacité d’une entreprise (ou d’un pays) à recruter et à former les meilleures expertises. Or, à ce jeu-là, les Gafa disposent d’un capital sympathie extrêmemen­t fort face à l’image dégradée de la vieille industrie que représente encore l’automobile auprès des jeunes diplômés… Les industriel­s tentent donc de les attirer à travers des incubateur­s de startups. Ils fournissen­t ainsi locaux, fonds et assistance juridique, et éventuelle­ment une petite part dans le capital, afin de garder à portée de main les jeunes pousses les plus innovantes. Avec l’intelligen­ce artificiel­le, l’industrie automobile espère retrouver de l’attractivi­té auprès des ingénieurs, mais également auprès des consommate­urs.

La France dispose d’atouts forts, portés par ses filières historique­s

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Une Citroën Picasso autonome. Des modèles 100 % autonomes devraient être produits autour de 2021-2025.

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