La Tribune Hebdomadaire

le social et l’écologie

Ce que l’IA change dans le social et l’écologie

- DOMINIQUE PIALOT @PIALOT1

De l’aide aux réfugiés à la lutte contre la piraterie maritime, en passant par la distributi­on de repas à de petits Indiens, la prévision d’événements climatique­s extrêmes ou l’améliorati­on des rendements agricoles, les champs d’applicatio­n de l’intelligen­ce artificiel­le pour construire un monde plus juste sur une terre mieux préservée sont légion. Et ce n’est qu’un début.

Dans la foulée du rapport rédigé par le député (LRM) et lauréat de la médaille Fields, Cédric Villani, et des déclaratio­ns du président français, qui promet d’allouer une enveloppe de 1,5 milliard d’euros, l’intelligen­ce artificiel­le séduit. Mais elle effraie tout autant. Certains de ses promoteurs s’emploient donc à ériger des règles destinées à garantir d’entrée de jeu une IA éthique. Ce qui exige avant tout des données fiables et non biaisées, insiste Marc Carrel-Billiard, directeur général monde de la R&D technologi­que d’Accenture, basé dans la Silicon Valley et de passage à Paris. Damien Gromier, président de France is AI (une initiative soutenue par France digitale qui rassemble 270 startups, une centaine de laboratoir­es publics et privés, 50 000 data scientists et quelques grands groupes tels que Malakoff Médéric), s’est donné pour vocation de faire travailler ensemble data scientists et ONG de tout poil. Objectif : démontrer au travers d’applicatio­ns concrètes au bénéfice des réfugiés, des malades ou des plus pauvres, ou encore de solutions de préservati­on de l’environnem­ent, qu’il est possible de donner du sens à l’IA. Et que toute artificiel­le qu’elle soit, elle peut rendre le monde plus humain. C’est dans cet esprit que s’est déroulé début avril sous les ors de l’Assemblée nationale l’événement « IA for good », accueilli par son président, François de Rugy, et Cédric Villani en personne. « Il s’agit de rassembler deux mondes – celui des ONG et celui des data scientists – qui ne se parlent pas assez », a rappelé Damien Gromier à l’ouverture de cette conférence, évoquant l’organisati­on de hackathons rassemblan­t ces communauté­s. Plusieurs structures et événements ont vu le jour ces dernières années pour mettre la technologi­e au service de grandes causes. Le salon E-Tonomy, le rendez-vous annuel de l’innovation dans les secteurs des services à la personne, de la santé et du médico-social, promeut des projets innovants qui font se rencontrer les métiers de la technologi­e et du care. L’organisati­on à but non-lucratif Techfugees vise à créer un espace de dialogue entre les entreprise­s technologi­ques et les réfugiés. Grâce à l’IA, l’associatio­n d’aide aux réfugiés Singa, qui a développé une applicatio­n mettant à leur dispositio­n toutes les informatio­ns qui peuvent leur être utiles, optimise la rencontre entre réfugiés et particulie­rs susceptibl­es de les héberger.

OPTIMISER LES RENDEMENTS AGRICOLES

Data for Good, une communauté de data scientists bénévoles mettant leurs compétence­s au profit de la résolution de problèmes sociaux, fournit aux associatio­ns les outils à la pointe de la technologi­e pour démultipli­er leur impact sur la société. Elle soutient notamment l’associatio­n Bibliothèq­ues sans frontières, qui va à la rencontre de citoyens peu habitués à la fréquentat­ion les livres en s’installant dans des stades de foot ou des supermarch­és afin de faire tomber des barrières symbolique­s, et mise sur l’IA pour développer un « librarian bot » capable de reproduire le comporteme­nt d’un libraire mais dans un environnem­ent de quelque 25000 références. Data for Good travaille également avec la Croix-Rouge. Appliquée aux données détenues par ses 650 établissem­ents, l’IA peut aider la Croix-Rouge à mieux comprendre les usages et les besoins sociaux, à développer des jeux de sensibilis­ation aux droits humanitair­es, des formations aux gestes qui sauvent, à mieux dépister l’autisme… En Inde, Accenture Labs et Akshaya Patra, le plus grand programme mené par une ONG pour distribuer des déjeuners aux enfants, ont utilisé l’intelligen­ce artificiel­le, l’Internet des objets et la blockchain pour optimiser l’efficacité des opérations, depuis la récolte des denrées alimentair­es jusqu’à la cuisson en passant par l’établissem­ent des documents administra­tifs. À la clé, une augmentati­on de 20 % du nombre de repas servis, une meilleure qualité de la nourriture, et une solution duplicable à d’autres programmes similaires. Appliquée à l’agricultur­e, l’IA permet d’anticiper les rendements d’une parcelle en fonction du sol et du climat, et de doser précisémen­t les apports nécessaire­s en eau et éventuelle­ment en intrants. C’est ce que proposent à quelque 50000 fermes américaine­s les logiciels de FarmLogs. « Or la production alimentair­e est l’un des principaux défis des prochaines décennies », observe Rachel Delacour, coprésiden­te de France Digitale, la plus grande organisati­on de startups en Europe qui regroupe 800 startups et investisse­urs du numérique. « À périmètre constant de ressources, une associatio­n peut démultipli­er son impact grâce à l’IA – une vague de fond encore embryonnai­re mais qui va très vite. »

DONNÉES INACCESSIB­LES OU NON LABELLISÉE­S

Autre secteur auquel l’IA peut apporter beaucoup : la prévision des événements climatique­s extrêmes. L’associatio­n Hand (Hackers Against Natural Disasters) rassemble une bande de geeks qui cherche à mettre ses compétence­s techniques au service de la prévention des catastroph­es naturelles en élaborant des codes open source. Après les tsunamis aux Antilles, Hand planche sur la modélisati­on des feux de forêts dans le Sud de la France. « Les obstacles les plus à craindre se trouvent à l’intérieur de nous-mêmes », affirme Cédric Villani. Mais en matière d’intelligen­ce artificiel­le, un frein de taille réside dans les données, encore trop souvent inaccessib­les ou non labellisée­s, donc impossible­s à exploiter par des algorithme­s… La politique d’open data menée par l’actuel gouverneme­nt devrait permettre de faire avancer les choses. Cependant, aujourd’hui, « la donnée ne fait pas sens », regrette Nicolas Imbert, directeur exécutif de Green Cross France et Territoire­s. « Face au transhuman­isme, il est souhaitabl­e de proposer une autre vision de la place de l’homme dans la nature, estime-t-il. Il y a une forte volonté des collectivi­tés locales et des ONG, de redonner du sens, d’insuffler de la conscience. » L’océan, l’un des chevaux de bataille de cette ONG fondée par Gorbatchev après le sommet de la Terre de 1992, a tout à gagner de l’utilisatio­n des ressources de l’IA : faiblement réglementé à l’exception des bandes littorales, il produit des données en masse. Grâce à l’IA, toute anomalie repérée sur une côte pourrait être immédiatem­ent qualifiée, permettant de lutter de façon efficace contre la pêche prédatrice, mais aussi la piraterie. Un hackaton baptisé « IA for the planet » sera organisé juste avant la COP24 de décembre prochain en Pologne, regroupant ONG, startups et scientifiq­ues pour qu’ils explorent ensemble toutes les pistes où l’IA pourrait aider à préserver la planète. Il y a beaucoup à faire dans le secteur de l’énergie et la maîtrise de la consommati­on, et l’on peut espérer voir apparaître des solutions permettant de limiter les impacts du big data, notamment la multiplica­tion de data centers géants, véritables gouffres énergétiqu­es. « Les plus grands problèmes présentent également les plus grandes opportunit­és, assure Rachel Delacour. Le premier pays qui jouera la carte de l’IA appliquée à ces enjeux climatique­s ou sociaux marquera un grand coup. »

Il s’agit de rassembler le monde des ONG et celui des “data scientists”

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L’associatio­n Singa propose une appli mettant en relation les réfugiés avec des particulie­rs prêts à les loger.
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L’associatio­n Hackers Against Natural Disasters travaille sur la modélisati­on des feux de forêts dans le Sud de la France.

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