La Tribune Hebdomadaire

Macron, encore à mi-chemin

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Il faut toujours écouter le peuple. Celui qui dit lui-même (dans un entretien à La Nouvelle Revue française de ce mois) être une « aberration » du point de vue du système politique traditionn­el, devrait regarder avec beaucoup d’attention le sondage très complet que La Tribune publie pour l’anniversai­re de son année au pouvoir (*). Certes, le jugement sévère porté par les Français ne constituer­a pas pour lui une surprise: un an après, il a perdu près de 20 points de popularité (43 %) et près de 6 Français sur 10 se déclarent plutôt mécontents de son action et ne lui attribuent qu’une note médiocre: 8 sur 20, 1 point seulement de plus que son prédécesse­ur et désormais ennemi juré François Hollande au printemps de 2013. L’ancien président de la République a même réussi à lancer, dans l’émission Quotidien, le nouveau slogan des anti-Macron, utilisé lors des défilés du 1er mai: il n’est pas le président des riches, mais celui « des très riches » a lancé Hollande. Tel est bien le sentiment des Français: Emmanuel Macron est considéré par une très large majorité comme le président des grandes villes et des classes aisées. On le perçoit comme déconnecté de la réalité des Français les plus modestes, des ruraux et des quartiers populaires. Bref, après un an d’exercice du pouvoir, il n’est pas jugé comme un président rassembleu­r et plus de 8 Français sur 10 déclarent ne pas avoir le sentiment de bénéficier personnell­ement de la politique mise en oeuvre. Paradoxale­ment, si le ressentime­nt est fort contre la réforme du marché du travail chez les salariés, contre l’augmentati­on de la CSG chez les retraités, contre le projet de limiter la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaire­s ou contre la transforma­tion de l’ISF, on voit dans le détail que beaucoup des mesures prises sont saluées comme allant dans la bonne direction: c’est le cas des réformes institutio­nnelles (réduction du nombre de parlementa­ires, moralisati­on de la vie politique), des mesures sur l’école et l’université, de la réforme du système ferroviair­e ou de celle de la formation profession­nelle, qui sont largement plébiscité­es. De sorte que si la note est sévère, elle exprime aussi un « peut mieux faire » et une attente assez forte à l’égard d’un président dont les Français reconnaiss­ent qu’il a été élu pour réformer. 39 % d’entre eux, principale­ment les sympathisa­nts de LRM, estiment qu’il mène les réformes à un bon rythme et 19 % trouvent même qu’il ne va pas assez loin. Les Français créditent aussi Emmanuel Macron de « conviction­s profondes » , « ayant de l’autorité » et « une stature présidenti­elle qui valorise la France » . En clair, ce sondage montre des Français qui ne demanderai­ent qu’à être convaincus, même si le scepticism­e l’emporte encore puisque seulement 42 % estiment qu’il pourra redresser la France au cours des quatre prochaines années, 55 % étant persuadés du contraire. Bien sûr, un sondage n’est qu’une photograph­ie, un peu impression­niste, de l’état de l’opinion. Emmanuel Macron ne convainc pour l’instant que les convaincus, avec un socle assez solide chez ses électeurs du premier tour. Sa chance est de gouverner, dans un contexte de reprise assez nette de la croissance, un pays dont le paysage politique est en complète recomposit­ion, au point que les opposition­s deviennent inaudibles. C’est aussi un danger, dans la mesure où, du fait de la verticalit­é du pouvoir, qu’il dit « assumer totalement » , le président enjambe les corps intermédia­ires et se retrouve seul face à un pays fracturé. Persuadé que la France va trop lentement dans un monde qui va « trop vite », le chef de l’État a mené un train d’enfer au cours des douze mois écoulés. Il joue désormais la suite de son quinquenna­t sur la réforme de la SNCF et semble en passe de réussir son pari, au vu de l’affaibliss­ement de la mobilisati­on. Si tel est le cas, ce test de résistance lui permettra d’engager les deux grands chantiers de la fin du quinquenna­t, les plus périlleux: la réforme de l’État et celle des retraites. Sur la première, force est de constater que rien de sérieux ne s’est passé : la baisse des déficits n’est due qu’à la « cagnotte » budgétaire apportée par la croissance, mais aucune réforme structurel­le n’a été engagée. Cela devrait venir, à partir de juin, avec la remise du rapport du Comité action publique 2022. Or, le temps ne joue pas en faveur d’Emmanuel Macron, car déjà, les économiste­s craignent un retourneme­nt du cycle économique en 2019 ou 2020. Toute la question est de savoir si sa politique de flexibilis­ation du marché du travail et de baisse des impôts pour les « premiers de cordée » aura produit d’ici là des effets positifs. Si tel ne devait pas être le cas, le risque est que la cristallis­ation des mécontente­ments, qui n’ont pas produit la « convergenc­e des luttes » espérée par les nostalgiqu­es de mai 1968, ne finisse par gripper la dynamique du quinquenna­t. Et ne condamne Emmanuel Macron à rester bloqué à mi-chemin dans sa volonté de transforme­r le pays. On constate déjà cette usure sur l’Europe: alors que son projet ambitieux de reconstrui­re les bases de l’UE avec l’Allemagne rencontre peu d’écho, comme vient de le montrer l’échec du projet français de taxation des Gafa, il est peu probable que les élections européenne­s du printemps 2019 passionnen­t les Français autant qu’Emmanuel Macron le souhaitera­it. (*) Sondage BVA/Orange pour La Tribune, RTL et la presse régionale, lire notre dossier pages 4 à 17.

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