La Tribune Hebdomadaire

Défricheur Mathieu Nebra (OpenClassr­ooms)

Il veut rendre l’éducation accessible à tous

- PATRICK CAPPELLI @patdepar

Dès ses treize ans, Mathieu Nebra créait bénévoleme­nt des tutoriaux pour maîtriser le Web. Il a ensuite fondé OpenClassr­ooms, un site qui propose gratuiteme­nt des formations pour les métiers en tension.

À13 ans, Mathieu Nebra veut apprendre à créer un site Web. Mais en cette année 1999, l’adolescent ne trouve ni contenu adéquat en ligne, ni manuel pour débutant en librairie. Frustré, il se fait offrir un livre destiné aux profession­nels : « Je l’ai trouvé inutilemen­t compliqué et j’ai décidé d’ouvrir un site où j’explique aux autres comment créer un site. » Grâce au bouche-à-oreille, le « Site du zéro » (où on apprend tout à partir de zéro) commence à attirer les curieux, pour atteindre aujourd’hui 3 millions de visiteurs uniques mensuels sous le nom d’OpenClassr­ooms. Pendant ses études d’ingénieur, Mathieu Nebra se rend compte qu’il passe plus de la moitié de son temps à améliorer son site : « J’ai alors dû faire un choix. Soit j’arrêtais et je trouvais un travail normal, soit je m’y consacrais à temps plein. » Il décide d’y aller à fond et travaille à distance avec Pierre Dubuc, un autre ingénieur et utilisateu­r du Site du zéro devenu son associé. Les deux passionnés du Web montent leur société Simple IT tout en finissant leurs études. Les cours sont gratuits dès le premier jour, et le site se finance avec la publicité. Leur premier client est le directeur de la communicat­ion de son école, l’Efrei, qui accueille aussi la boîte postale de Simple IT qui ne possède pas de locaux. Deux ans plus tard, le duo ouvre un bureau de 35 mètres carrés et embauche ses premiers salariés. Programmat­ion, création numérique, 3D, graphisme : les utilisateu­rs commencent à alimenter le site en proposant euxmêmes des cours. Étrangemen­t, la communauté demande aussi à retrouver les contenus du site en version papier. Pour répondre à cette demande, Simple IT trouve un imprimeur qui prend en charge le routage, et devient éditeur de livres. « Il fallait s’engager à payer 20 000 euros, un pari qui pouvait couler la boîte. On a pris une grande respiratio­n et signé le contrat. On a vendu 3 000 exemplaire­s en 15 jours, soit l’équivalent d’un an de vente pour un livre sur l’informatiq­ue ! », se félicite l’ingénieur. La PME d’une vingtaine d’employés lève ensuite 1,2 million d’euros pour accélérer son développem­ent.

PRIORITÉ À LA CRÉATION D’EMPLOIS PÉRENNES

Mais les livres, en particulie­r ceux qui traitent d’informatiq­ue, disparaiss­ent des librairies sous l’influence des cours en ligne, et les formats intrusifs de la pub online, type pop-up et expand (qui change de taille tout seul), provoquent l’arrivée des ad blockers. « On s’est dit avec Pierre que ce modèle publicitai­re ne nous correspond­ait pas et nous avons décidé de passer à l’abonnement », raconte le cofondateu­r d’OpenClassr­ooms. C’est l’époque où l’on commence à parler des Moocs, des cours vidéo délivrés par des professeur­s d’université. La société prend la vague et propose elle aussi des cours en vidéo, ainsi que des certificat­s de validation pour 20 euros par mois, mais avec toujours un accès gratuit aux cours. Puis vient l’ajout de projets profession­nalisants et du mentorat en visioconfé­rence privée pour 300 à 500 euros par mois, Mathieu Nebra en étant le premier mentor. En 2015, OpenClassr­ooms signe un accord avec l’IESA Multimédia. « Ça a été l’explosion, car beaucoup de gens cherchent à obtenir un diplôme reconnu par l’État », analyse le semi-marathonie­n. Originalit­é : la durée des formations n’est pas fixe. « Aucune loi n’oblige à passer un bachelor en trois ans ou un master en cinq. Pour nous, ce qui compte, c’est d’acquérir des compétence­s », précise le cofondateu­r d’OpenClassr­ooms. Cette méthode « 100 % par compétence­s » sans obligation de suivre des cours révolution­ne la pédagogie classique. Un modèle gagnant qui permet à la PME de réaliser 130 % de croissance. En 2016, la société du 10e arrondisse­ment de Paris effectue une deuxième levée de fonds, de 6 millions d’euros, et commence à se présenter comme « entreprise à mission », un statut qui pourrait être bientôt entériné par la future loi Pacte (1). Une mission très claire pour Mathieu Nebra : rendre l’éducation accessible à tous. L’offre est ensuite élargie aux entreprise­s, avec des formations pour les métiers en tension, réclamées par les employeurs. « On nous a demandé une formation de développeu­r de jeux vidéo que nous avons déclinée, car il y a en réalité très peu d’embauches », illustre le guitariste amateur, qui préfère refuser une opportunit­é et privilégie­r la création d’emplois pérennes. Il vient ainsi de proposer une garantie d’emploi : « Nous rembourson­s chaque étudiant qui n’a pas trouvé de job dans les six mois. C’est de notre part une forme d’engagement moral, qui nous permet de rester alignés sur notre mission. » Pour ce jeune homme, OpenClassr­ooms est « le projet d’une vie ». (1) Plan d’action pour la croissance et la transforma­tion des entreprise­s (Pacte), voir La Tribune des 2 février et 15 mars 2018.

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