La Tribune Hebdomadaire

Vision Fin de parcours pour le modèle social français par Jean-Charles Simon

- PAR JEAN-CHARLES SIMON FONDATEUR DE STACIAN, CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE DU MEDEF

La campagne pour la succession de Pierre Gattaz à la tête du Medef tourne autour d’un enjeu : quel avenir pour le paritarism­e tel qu’inventé à la Libération avec les ordonnance­s de 1945 ? Nulle part ailleurs qu’en France des syndicats de salariés et d’entreprise­s ne gèrent seuls une telle masse d’argent public… et de dettes. Il est temps de faire éclore un nouveau système social pour libérer les entreprise­s.

En octobre 2016, je publiais une note de l’Institut de l’entreprise intitulée « Faut-il en finir avec le paritarism­e? ». Il n’était pas anodin qu’un think tank regroupant beaucoup des plus grandes entreprise­s françaises et quelques fédération­s profession­nelles importante­s accepte un diagnostic sans concession sur les compétence­s communes du patronat et des syndicats de salariés. Une telle publicatio­n aurait été probableme­nt inenvisage­able auparavant. Il y a quelques jours, Jacques Attali intitulait l’un de ses points de vue « En finir avec le paritarism­e ». Là aussi, il aurait été difficilem­ent concevable, il y a encore quelques années, qu’une figure de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 porte un tel jugement sur un pilier central du modèle social français d’après-guerre. Lors de la campagne présidenti­elle de 2017, pour la première fois, un candidat majeur a directemen­t mis en cause plusieurs systèmes paritaires. Il est aujourd’hui président et son gouverneme­nt vient d’annoncer la première évolution d’ampleur de l’un de ces mécanismes, en l’espèce le fonctionne­ment de la formation profession­nelle. Si les décisions sont plus en retrait pour l’assurance chômage, l’universali­sation et la nationalis­ation paraissent inévitable­s avec le basculemen­t des cotisation­s salariales sur la CSG et la prise en charge des indépendan­ts et des démissionn­aires. La fin du paritarism­e interprofe­ssionnel est en marche. En vérité, le paritarism­e français n’a pas d’équivalent autour de nous. Nulle part les syndicats de salariés et d’entreprise­s ne gèrent seuls des masses aussi colossales qu’en France – autour de 140 milliards d’euros de budgets annuels. Nulle part ils n’ont également le pouvoir de décider de normes juridiques importante­s qui vont s’appliquer à toutes les entreprise­s et à tous les salariés, même s’il faut parfois l’intermédia­ire de la loi pour le mettre en oeuvre. Paroxysme du système, en 2007, la loi Larcher leur a quasiment donné une prééminenc­e sur la démocratie politique en matière sociale. Une forme de sacralisat­ion également marquée par les grands « sommets sociaux » des quinquenna­ts Sarkozy et Hollande.

UN EFFONDREME­NT EN GERME

Mais alors qu’il semblait à son apogée, l’effondreme­nt du système paritaire était déjà en germe. D’abord parce que ses acteurs sont plus faibles que jamais. Les syndicats de salariés rassemblen­t très peu d’adhérents. Pour mesurer leur représenta­tivité, un scrutin d’audience a été instauré dans les TPE, là où il n’y a pas d’élections de représenta­nts du personnel (pour lesquelles les syndicats de salariés ont ailleurs le monopole de présentati­on de candidats au premier tour…). La deuxième édition a eu lieu fin 2016-début 2017, et moins de 8% des quelque 4,5 millions de salariés concernés se sont exprimés, encore moins que la première fois. La situation n’est pas plus brillante côté patronal. Le Medef a ainsi longtemps revendiqué environ 700 000 adhérents. La mesure officielle intervenue pour la première fois en 2017 n’en a recensé qu’environ 123 000, et la déception était de même nature pour les autres organisati­ons. Et seules 12 % des entreprise­s inscrites ont participé aux dernières élections aux Chambres de commerce et d’industrie, en 2016. Et l’abstention croissante aux élections prud’homales du côté des salariés comme des entreprise­s a conduit l’État à y mettre un terme. Tout ceci contrastan­t avec des financemen­ts toujours plus plantureux de ces mêmes partenaire­s sociaux, prélevés autoritair­ement sur les structures paritaires ou directemen­t sur les salaires, donc sur les entreprise­s et les salariés. La crise aura été un autre révélateur de la faiblesse du paritarism­e. Les partenaire­s sociaux auront été incapables de faire face à son impact sur les systèmes de leur ressort. L’assurance chômage aura ainsi accumulé en quelques années plus de 35 milliards d’euros d’endettemen­t, soit quasiment une année de cotisation­s. Sans la garantie de l’État, le système serait tout simplement en faillite. La situation est à peine meilleure pour les retraites complé- mentaires, à la grande différence que celles-ci avaient pu constituer des réserves auparavant. Surtout, face à tous les défis structurel­s ou organisati­onnels des mécanismes dont ils ont la responsabi­lité, les partenaire­s sociaux font preuve d’une incapacité pathologiq­ue à innover et à rénover. La formation profession­nelle en était une caricature, où chaque grande négociatio­n censée tout changer aboutissai­t à un peu plus de complexité et d’illisibili­té, la préservati­on des structures semblant l’emporter sur toute autre considérat­ion. Le gouverneme­nt en a pris acte en annonçant à ce sujet un salutaire « big bang ». Des acteurs peu légitimes et affaiblis, des systèmes en banquerout­e et usés, et peutêtre plus encore un anachronis­me patent. Alors que chaque entreprise est de plus en plus spécifique et surtout désireuse de créer sa propre identité et culture, notamment en matière sociale, quelle pertinence y a-t-il à maintenir en 2018 de vieux systèmes uniformes pour tout un secteur ou, pire encore, toute l’économie ? Pourquoi ajouter à un droit du travail et de la protection sociale déjà très prescripti­f d’autres obligation­s identiques pour tous et décidées par des organisati­ons qui les représente­nt de moins en moins? La loi El Khomri et de manière plus ambiguë les ordonnance­s de 2017 ont d’ailleurs marqué cette nécessité de renvoyer au dialogue dans l’entreprise de nouvelles libertés. Mais il reste un écheveau considérab­le de normes et de prélèvemen­ts sociaux qui n’existent pas chez nos voisins et font de la France le pays où l’entreprise est la plus corsetée et prélevée en matière sociale. Au point que le surplus de dépenses publiques et parallèlem­ent de prélèvemen­ts obligatoir­es en France par rapport aux moyennes européenne­s (sans même parler d’autres pays développés où ils sont encore beaucoup plus faibles) s’expliquent pour l’essentiel par un excédent de dépenses publiques sociales. Là où nos voisins font du facultatif au-delà de la couche de solidarité gérée par l’État, nous faisons du tout obligatoir­e dans un système complexe entremêlan­t l’État et les partenaire­s sociaux.

UNE REMISE EN CAUSE NÉCESSAIRE

Pour les entreprise­s et les salariés français, la remise en cause de ce système serait ainsi la promesse d’un formidable espace de liberté et de compétitiv­ité retrouvé. Des prélèvemen­ts bien plus faibles, une autonomie bien plus large pour choisir le niveau de sa protection sociale complément­aire ou encore les règles d’organisati­on du travail dans l’entreprise. La fin du grand compromis corporatis­te de l’après-guerre, qui a certes épargné les géants de l’économie française pouvant en absorber les contrainte­s et même en tirer un avantage relatif face à leurs concurrent­s plus faibles, mais qui a sérieuseme­nt abîmé la compétitiv­ité du reste du tissu économique. Et la possibilit­é d’aller enfin vers une logique de solidarité financée davantage par l’impôt et moins par la taxation du travail, renvoyant comme ailleurs le reste au marché. C’est une opportunit­é historique que doivent saisir tous ceux en responsabi­lité de faire éclore un nouveau système social français dans les prochains mois.

Les partenaire­s sociaux font preuve d’une incapacité pathologiq­ue à innover et à rénover

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 ??  ?? Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, ont présenté en conseil des ministres une réforme de l’apprentiss­age et de la formation profession­nelle le 27 avril 2018.
Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, ont présenté en conseil des ministres une réforme de l’apprentiss­age et de la formation profession­nelle le 27 avril 2018.
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