La Tribune Hebdomadaire

Entretien Sébastien Badault (Alibaba) : « En Chine, la consommati­on est devenue une obsession »

Le mastodonte de l’e-commerce chinois, une aubaine pour les PME françaises ? Depuis trois ans, le groupe de Jack Ma tente de se mettre au « made in France ». L’ouverture en Europe d’un « centre de données » est à l’étude. Le point avec Sébastien Badault,

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARINA TORRE @Marina_To

LA TRIBUNE - Combien y a-t-il d’entreprise­s françaises sur Tmall, la place de marché en ligne d’Alibaba ? SÉBASTIEN BADAULT – En tout, 250, dont au moins une centaine sont des PME. Nous avons plusieurs plateforme­s: une pour les marques déjà présentes en Chine et une autre, Tmall Global, qui permet de faire des échanges transfront­aliers. Quels services spécifique­s leur offrez-vous ? En premier lieu, les data. Alibaba est une entreprise de données. Nous avons la chance d’avoir 580 millions de consommate­urs qui ont le réflexe, dès qu’ils recherchen­t un produit, d’aller sur nos plateforme­s. Nous repérons des signes de l’intérêt qu’ils expriment pour certains produits. Comment les repérez-vous ? Par les recherches en ligne, mais aussi par d’autres moyens. Cela peut passer par le tourisme. Des acheteurs chinois viennent en France, ils testent des produits et les rapportent ensuite à leurs proches ou bien les revendent. Dans le secteur cosmétique par exemple, certains iront dans 20 pharmacies ; acheter 100 tubes de crème revendus ensuite deux fois le prix d’origine sur notre plateforme permet des ventes de consommate­ur à consommate­ur (Taobao). Il y a aussi des aspects plus subjectifs. Nos équipes locales donnent des conseils sur l’opportunit­é de lancer une plateforme. Il arrive que des goûts ne correspond­ent pas au marché chinois ou que des segments soient très encombrés. Une petite marque française aura du mal à y émerger. Quels marchés sont concernés ? Le sportswear [vêtement de sport, ndlr], par exemple, n’est pas encore très mûr en Chine. Il faut toutefois prendre en compte le point de vue des consommate­urs qui connaissen­t Tmall Global et savent ce qu’ils viennent y chercher. Le trafic y est moins dense mais plus qualifié avec des gens plus aisés prêts à payer plus cher pour les produits européens, américains, etc. S’agit-il toujours de produits importés ou bien peuvent-ils avoir été fabriqués en Chine ? Potentiell­ement, oui, ils peuvent avoir été fabriqués en Chine, mais auront transité par l’Europe ou ailleurs. Le stock doit en tout cas être passé par un centre de distributi­on en zone franche avec douane intégrée. Ce n’est peut-être pas très bon pour l’empreinte environnem­entale, mais il y a le label, le design. C’est un peu comme l’iPhone « créé » en Californie et assemblé en Chine. Comment se décomposen­t les frais pour vendre sur Tmall Global ? Le coût de départ est de 10000 euros, puis il y a une commission sur les ventes allant de 1 à 5 % en fonction des produits. Ensuite, la plupart des marques travaillen­t avec un partenaire local pour la logistique, le marketing, pour créer des pages en mandarin, etc. Nous avons un système de certificat­ion de ces partenaire­s spécialisé­s par type de produits. L’essentiel du coût se trouve là. Au total, pour un projet d’un à trois ans, il faut compter un coût minimal de 100000 euros. L’investisse­ment peut être plus élevé bien sûr. Vous pouvez aussi dépenser un million en faisant des campagnes marketing extrêmemen­t agressives. Il y a aussi le système de paiement Alipay. Il y a aussi 1 % pour le paiement, oui. Sans une première expérience à l’export, les PME françaises peuvent-elles vraiment se risquer dans l’e-commerce chinois ? Il y a très peu de risques. Notre système permet de savoir qui est intéressé par tel ou tel produit, qui a le pouvoir d’achat suffisant, etc. Ensuite, les frais marketing servent à cibler les clients potentiels. Tout dépend de la taille de la PME. Il y a un autre aspect sur lequel je les mets en garde: il ne s’agit pas de se « brancher » et d’attendre. Il faut une personne dans l’entreprise qui pilote le projet. J’observe que, souvent, les entreprise­s recrutent des personnes entièremen­t chargées de cela, avec parfois de vrais services spécialisé­s. Certaines ont d’ailleurs recruté en France des personnes qui parlent mandarin. Les opérations promotionn­elles du type « Single Day » cumulent les records. Comment les marques y participen­t-elles ?

Il y en a tout le temps. En Chine, la consommati­on et le commerce sont devenus une obsession. Les Chinois passent en moyenne une demi-heure par jour sur nos applicatio­ns de shopping en ligne et ils s’y connectent environ sept fois par jour. Ils voient le shopping comme une activité ludique. Pour répondre à cette attente, nous créons régulièrem­ent des événements. Lors du « Single Day » (le 11 novembre, jour des célibatair­es) les ventes culminent à 25 milliards de dollars en une seule journée. C’est plus que le double du « Black Friday » et du « Cyber Monday » réunis [journées de promotion avant la période de Noël aux États-Unis]. Il y a la Saint-Valentin, le Nouvel An chinois et bientôt le 18-Juin, qui célèbre la moitié de l’année. Nous faisons aussi un événement pour les marques françaises lors du 14-Juillet. Que faites-vous des données, sont-elles transmises dans leur intégralit­é aux marques ? Oui, c’est une grande spécificit­é d’Alibaba par rapport aux places de marché occidental­es. Outre les données servant à l’achemineme­nt des colis, nous transmetto­ns des informatio­ns – anonymisée­s – sur les comporteme­nts des consommate­urs. Notre logique consiste à dire que si on donne ces informatio­ns aux marques, cela leur permettra de mieux se positionne­r et de mieux servir nos clients, cela bénéficier­a à tout le monde. Ainsi, en équipant des épiceries indépendan­tes de petites villes, nous avons suggéré à un groupe comme Mondelēz de vendre des biscuits Oreo à l’unité pour répondre aux spécificit­és de la demande dans ces points de vente.

Avec la puissance de la data, inventer la distributi­on de demain

Ce rapprochem­ent avec les points de vente physiques, c’est aussi le sens de l’alliance avec Auchan ? L’un de nos sujets actuels, c’est d’aider la distributi­on traditionn­elle à évoluer vers une forme à mi-chemin entre le online et le offline. Mais en Chine, près de 90 % des clients en ligne font leurs achats avec leurs smartphone­s. Les gens y sont online tout le temps! Donc nous nous demandons comment dialoguer avec eux. L’alliance avec Auchan est un exemple de réponse mais il y en a d’autres. Tout le sujet consiste à inventer la distributi­on de demain avec la puissance de la data. Quelles sont les autres activités d’Alibaba en France ? Une partie est liée au tourisme: avec Alitrip, nous offrons des prestation­s comme les réservatio­ns pour les bateaux-mouches, le Lido, des billets de train, etc. Une autre concerne le paiement avec Alipay pour permettre aux clients chinois d’acheter dans les magasins en France avec leur téléphone. Il y a aussi notre activité autour du cloud. Nous mettons à dispositio­n de distribute­urs ou de startups diverses applicatio­ns. À Hangzhou, la ville où se trouve notre siège, nous en avons développé qui permettent de suivre le trafic, la météo, etc. Nous cherchons à interpréte­r ces données pour ensuite en donner l’accès aux startups en France et, peutêtre demain, travailler avec des villes sur la digitalisa­tion de leurs infrastruc­tures. Est-ce à cette fin qu’un projet d’ouverture d’un nouveau data center est en cours ? Sera-t-il ouvert en France ? Nous en avons déjà un en Allemagne. Tout dépend de l’activité, si un grand nombre de startups françaises sont intéressée­s par notre cloud, il y aurait une logique à ouvrir un data center en France.

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En nouant une alliance avec Auchan, le groupe de Jack Ma avait dévoilé ses ambitions dans le commerce physique (et non plus seulement en ligne).
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SÉBASTIEN BADAULT DIRECTEUR GÉNÉRAL D’ALIBABA FRANCE

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