La Tribune Hebdomadaire

Entretien Jean-Marc Daniel : « De moins en moins social et de moins en moins libéral »

En 2016, Jean-Marc Daniel voyait en Valls et Macron les héritiers d’un « socialisme de l’excellence » qui libérerait l’économie. Aujourd’hui, il pointe les atermoieme­nts et les contradict­ions du président, dont la politique « perd progressiv­ement de sa co

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROBERT JULES ET GRÉGOIRE NORMAND @rajules @gregoireno­rmand

LA TRIBUNE - Emmanuel Macron a initié un grand nombre de réformes en seulement un an. Est-ce une rupture par rapport à ses prédécesse­urs ?

JEAN-MARC DANIEL - Oui et non. Les ruptures furent bien plus marquantes en 1958 lors de l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle, qui réforme les institutio­ns, rééquilibr­e le budget et résout le problème de la guerre d’Algérie, ou encore en 1981 de François Mitterrand, qui assure une politique de relance keynésienn­e et des réformes du marché du travail qui vont déstabilis­er l’économie française. Emmanuel Macron s’inscrit davantage dans la continuité de François Hollande. En outre, son discours perd progressiv­ement de sa cohérence. Quand il était ministre de l’Économie, il était centré sur l’avenir, défendait les idées libérales et la promotion de l’Europe. Là, il engage des procédures qui ne vont pas jusqu’à leur terme. Par exemple, il prépare l’avenir en réformant le marché du travail par ordonnance­s mais il ignore ce qu’il va faire sur l’Unedic. Il veut relancer l’activité en baissant la fiscalité sur le capital mais il maintient d’une certaine manière cette fiscalité avec l’IFI (Impôt sur la fortune immobilièr­e). Il veut rééquilibr­er les finances publiques mais il reporte la réduction du déficit structurel. En pratique, il reste à mi-chemin.

Sa méthode pour réformer relèverait donc davantage de la communicat­ion que d’un projet cohérent ? Que devrait-il faire pour mener à bien ces réformes ?

Il devrait s’inspirer des engagement­s signés en 2011 par Mario Monti lorsque l’Italie avait dû négocier avec la BCE un calendrier de réformes pour obtenir le rachat d’une partie de sa dette publique. Mario Monti avait choisi trois axes. Le premier était de redynamise­r l’économie par la concurrenc­e, notamment le marché du travail. Emmanuel Macron doit donc clarifier ce qu’il compte faire sur l’Unedic. Le deuxième chantier est celui de la réduction du déficit budgétaire par la baisse des dépenses publiques. En ce moment, le déficit structurel augmente mais on ne le voit pas forcément car le déficit conjonctur­el baisse. Et non seulement les dépenses publiques ne baissent pas mais on voit même apparaître des augmentati­ons d’impôt alors qu’on a déjà une fiscalité ubuesque. Le troisième chantier, c’est d’améliorer l’image du pays à l’internatio­nal, notamment en précisant son projet européen qui en l’état n’est pas acceptable pour nos principaux partenaire­s.

Pourquoi ne s’attaque-t-il pas à la baisse des dépenses publiques ?

Parce que les propositio­ns qui émanaient de Bercy ont failli se transforme­r en « catastroph­e politique ». La première mesure, qui était la réduction du budget de la Défense, s’est soldée par la démission du général de Villiers. La seconde mesure, la baisse de cinq euros des APL, qui était une propositio­n qui ressortait de décisions antérieure­s et dont Bercy n’avait pas de raison particuliè­re de se méfier, a provoqué un tollé. Quand on s’attaque à la dépense publique, on remet en cause certains avantages. Si l’on veut réduire le nombre de fonctionna­ires, il faut affronter les syndicats de la fonction publique. Pour l’instant, Emmanuel Macron teste à travers sa réforme de la SNCF le degré de réaction dans les secteurs les plus sensibles. Les pensions de retraite peuvent également être une autre source d’économie. Elles représente­nt environ 14 % du PIB, soit le taux le plus important comparé à celui des autres pays de l’OCDE. Mais il a déjà sollicité les retraités en augmentant leur CSG. Aussi, on ne voit pas très bien ce qu’il veut faire pour réformer les retraites.

Il a évoqué dans son programme la suppressio­n de 120 000 postes de fonctionna­ires sur le quinquenna­t. Est-ce réaliste ?

Oui, mais à deux conditions. La première, c’est qu’un effort ait été engagé dans le

budget 2018, or cela n’a pas été le cas. On en a supprimé à peine 1800. Cela pourrait être réaliste si l’on associait les collectivi­tés locales à cette politique de réduction de postes. La deuxième est de réformer en profondeur le secteur de l’Éducation, ce qui est une priorité au regard de son manque d’efficacité. On pourrait appliquer à l’université ce que l’on fait à la SNCF, en privatisan­t certaines université­s et certaines fonctions. Les recrutemen­ts se font d’ailleurs déjà sur la base de nonfonctio­nnaires.

Il est reproché à Emmanuel Macron d’avoir favorisé par la fiscalité les ménages les plus aisés.

Cette critique est avant tout politicien­ne, et émane surtout de la gauche et de l’extrême gauche. Le président s’en est expliqué à plusieurs reprises. Car on ne peut pas dire d’une part que l’ISF pénalise la croissance, nombre de rapports ayant montré qu’il fait fuir les investisse­urs et fait perdre plusieurs milliards d’euros de PIB, et d’autre part, lorsqu’il est supprimé, ou du moins réformé, dire : « Vous faites une politique pour les riches ». Si les 5 milliards d’euros de l’ISF avaient été gardés, ils auraient été finalement dépensés par l’État. La dépense publique « ruisselle » comme la dépense privée. Mais la logique de Macron n’est pas celle du ruissellem­ent, il considère que certains entreprene­urs sont « les premiers de cordée ». S’ils partent à l’étranger, la croissance sera pénalisée. Ce n’est pas une politique pour les riches, mais pour ceux qui veulent devenir riches.

Ne sous-estime-t-il pas le poids des inégalités ?

Je ne crois pas. Ce reproche vient là aussi d’une gauche qui a changé de référent. La critique constante du système capitalist­e, et de sa supposée inefficaci­té historique, a longtemps été justifiée par la pauvreté. Mais comme on vit dans une société où elle est moins criante qu’auparavant, même s’il y a des pauvres, la gauche

On pourrait appliquer à l’université ce que l’on fait à la SNCF, en privatisan­t certaines université­s et certaines fonctions

estime que ce qui est grave, ce n’est pas d’être pauvre mais d’être plus pauvre que les autres. Or cette critique est portée par tous les mouvements de gauche à l’échelle mondiale. Sur ce point, Emmanuel Macron n’est pas plus coupable que n’importe quel autre gouverneme­nt en place en ce moment.

Contrairem­ent à François Hollande, Emmanuel Macron ne prend pas d’engagement en matière de baisse du chômage. Pourquoi ?

En raison du cycle économique. François Hollande savait que le retourneme­nt de la conjonctur­e économique allait intervenir durant son mandat, et favorisera­it la baisse du chômage. Il avait calculé que le cycle se retournera­it en 2015, et c’est pourquoi il disait : « Ça va mieux ». La baisse significat­ive n’est intervenue qu’au moment de sa potentiell­e réélection mais il n’a pas eu la capacité politique de tirer les bénéfices de l’évolution économique du cycle. Emmanuel Macron, lui, sait que cet effet va jouer contre lui. Le cycle devrait en effet se retourner aux alentours de 20192020 et le chômage recommence­r à augmenter à ce moment-là. Il ne peut pas jouer sur le cycle mais sur la croissance potentiell­e de long terme. Or, il n’est pas sûr que les mesures prises sur le marché du travail aient un impact suffisamme­nt positif. Leur évaluation est complexe. Il vaut mieux ne pas prendre d’engagement.

Emmanuel Macron ne semble pas avoir convaincu Berlin avec ses propositio­ns sur l’Europe...

Il est confronté à plusieurs difficulté­s. Outre l’Allemagne, plusieurs dirigeants européens, comme le Premier ministre néerlandai­s Mark Rutte, lui ont rappelé que la France ne respectait pas les traités. Avant de faire des propositio­ns, Paris devrait commencer par réduire son déficit budgétaire pour être crédible aux yeux d’un certain nombre de voisins européens. Ainsi, les pays baltes, qui ont restructur­é leur économie, jugent que la France ne fait aucun effort. Par ailleurs, les Allemands font un blocage définitif sur sa propositio­n d’un budget européen commun qui assurerait des transferts financiers des pays du Nord vers ceux du Sud. Pour eux, la solidarité européenne, en termes économique et monétaire, ne doit pas aller au-delà de l’acceptatio­n de la politique menée par la BCE. En revanche, ils sont d’accord pour que l’Europe travaille sur des projets comme l’Europe de la défense ou d’autres domaines.

La France doit donc au préalable se mettre en conformité avec les traités européens pour que sa voix soit mieux entendue au niveau européen ?

Oui, ça améliorera sa position sur les plans politique et économique. L’enjeu n’est pas de sommer les Allemands de dépenser davantage mais plutôt de demander aux Français d’économiser plus, pour se conformer aux exigences européenne­s en matière de déficit. En réalité, le problème n’est pas l’excédent commercial extérieur de l’Allemagne, qui se fait de plus en plus hors de la zone euro, mais plutôt notre déficit commercial extérieur. Il traduit un déficit d’épargne, c’est-à-dire une distributi­on excessive de revenus, notamment sous la forme de revenus publics.

La réforme de la formation, avec les chantiers de l’apprentiss­age et de la formation profession­nelle, d’une part, et la volonté de faire de la France un acteur important de l’intelligen­ce artificiel­le, d’autre part, cela va-t-il dans le bon sens?

Oui, notamment la réforme de la formation profession­nelle qui prévoit d’octroyer des droits monétaires et non des droits sous forme d’heures de formation. Et la mise en concurrenc­e des organismes de formation permettra d’évaluer leur qualité. Aujourd’hui, on dépense de plus en plus d’argent pour la formation, à la fois continue et initiale, pour des résultats de plus en plus décevants. On répète qu’on résoudra le chômage par la formation, et plus on dépense plus le chômage augmente ! Il faut cesser de raisonner uniquement en termes de dépense. Cette réforme va donc dans le bon sens. Quant à la promotion de l’intelligen­ce artificiel­le, l’idée d’en faire le vecteur d’une politique industriel­le rénovée est fallacieus­e. Il y a une nostalgie chez Emmanuel Macron de la politique industriel­le. Lorsqu’il était ministre de l’Économie, il s’était montré très interventi­onniste et plutôt protection­niste sur les difficulté­s de la sidérurgie. Cela dit, la meilleure chose à faire pour favoriser l’émergence d’un secteur d’intelligen­ce artificiel­le performant est de baisser l’impôt plutôt que de créer un fonds d’investisse­ment public dédié à ce secteur.

La loi Pacte sur l’entreprise prend du retard. Que pensez-vous de l’approche qu’a Emmanuel Macron de l’entreprise ?

Le grand danger de la loi Pacte est que le président se soumette à une partie de sa majorité qui, au nom de la RSE, du débat environnem­ental, veut imposer de nouvelles contrainte­s aux entreprise­s. Je rappelle quand même que les entreprise­s ne gâchent pas systématiq­uement le paysage ni ne détruisent la nature, qu’elles ne pressurent pas leurs employés, ne seraitce que parce que l’efficacité économique repose aussi sur l’image de marque, sur la façon dont on se comporte, et sur des ouvriers efficaces parce que bien payés. L’idée d’imposer par la loi des comporteme­nts qui s’imposent naturellem­ent est dangereuse, parce qu’elle rend possible le contentieu­x. Cela s’est vérifié avec le Code civil au début du xixe siècle : on avait constaté que plus on légiférait, plus on créait de la chicane. Pour des raisons politiquem­ent correctes, on risque donc au nom de la RSE de créer des difficulté­s pour les entreprise­s qui n’en ont pas vraiment besoin en ce moment. Et ce qu’il faut surtout éviter dans la loi Pacte, c’est la modificati­on du Code civil. Sur ce point, le rapport Notat-Senard, même s’il reste prudent, va déjà trop loin.

On reproche à Emmanuel Macron une forme d’autoritari­sme. Vous qui connaissez bien l’histoire économique, de quelle figure le rapprocher­iez-vous ?

Le personnage qui me paraît le plus proche, c’est le Mendès France de 1954. Ce dernier arrive au pouvoir avec des propositio­ns plutôt libérales, des idées claires, notamment celle consistant à lancer rapidement des réformes sur tous les secteurs. Mitterrand avait adopté cette démarche en 1981, redoutant l’installati­on dans la routine. Macron me fait également penser à Tony Blair, qui après avoir réformé durant les six premiers mois de son mandat, dit vouloir réfléchir. On a l’impression que Macron se trouve dans la même situation. Mais rappelons que Mendès France n’a pas eu le te mps de digé re r ses réformes et Mitterrand a été obligé d’en changer parce qu’elles étaient mauvaises.

 ?? (Taillandie­r). ?? Des augmentati­ons d’impôt apparaisse­nt alors que la fiscalité française est déjà « ubuesque » , juge l’auteur de Les Impôts. Histoire d’une folie française
(Taillandie­r). Des augmentati­ons d’impôt apparaisse­nt alors que la fiscalité française est déjà « ubuesque » , juge l’auteur de Les Impôts. Histoire d’une folie française
 ?? (Taillandie­r). ?? François Hollande pensait que le retourneme­nt du cycle économique, et donc la baisse du chômage, interviend­raient plus tôt dans son quinquenna­t, note l’auteur du Gâchis français : quarante ans de mensonges économique­s
(Taillandie­r). François Hollande pensait que le retourneme­nt du cycle économique, et donc la baisse du chômage, interviend­raient plus tôt dans son quinquenna­t, note l’auteur du Gâchis français : quarante ans de mensonges économique­s
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Finalement, comment définiriez­vous le « macronisme »? Au début, c’était du sociallibé­ralisme, mais le problème aujourd’hui est qu’il devient de moins en moins social et de moins en moins libéral ! En 1954, Pierre Mendes France est arrivé au pouvoir en...
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