La Tribune Hebdomadaire

Président des villes ou des champs ?

Le chef de l’État est-il « hanté par une haine de la province », comme l’avait qualifié Laurent Wauquiez, ou défend-t-il autant la ruralité qu’il le dit ? Selon BVA*, 80 % des Français estiment qu’Emmanuel Macron ne conçoit pas la situation des zones rura

- CÉSAR ARMAND @Cesarmand

Aussi bien le président que son mouvement sont des hommes et des femmes de l’urbain, mais ça ne les empêche pas de comprendre la ruralité. » Autant il se situe dans l’opposition, autant le député centriste du Loir-etCher Maurice Leroy, ministre de la Ville de 2010 à 2012, tempère le qualificat­if « président des villes » accolé à Emmanuel Macron. Son collègue de Meurthe-etMoselle, Dominique Potier, chargé du développem­ent des ruralités au PS, dit, lui aussi, avoir « en horreur les positions caricatura­les »: « Son parcours personnel ne le rapproche pas spontanéme­nt du milieu rural mais je ne lui dénie pas le droit de porter cette préoccupat­ion. Il démontre ces derniers temps qu’il n’y est pas indifféren­t. »« Je rêve d’une planificat­ion polycentri­que afin que les services publics soient réhumanisé­s et qu’ils maillent de façon raisonnabl­e le territoire, plaide cet agriculteu­r engagé pour une tout autre décentrali­sation. L’État fixerait le cadre et les intercommu­nalités porteraien­t des schémas directeurs ainsi contractua­lisés. » En revanche, Gil Avérous, maire de Châteaurou­x et président du comité des maires LR, considère que « dans ses expression­s, sa politique, son comporteme­nt, Emmanuel Macron est coupé de la réalité des territoire­s », reprochant au chef de l’État « une mise en scène pour combler ce déficit » lorsqu’il s’invite au JT de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut délocalisé pour l’occasion dans la commune rurale de Berd’huis (Orne).

REGRETTÉE RÉSERVE PARLEMENTA­IRE

Le maire de Châteaurou­x accuse le chef de l’État d’avoir menti sur le financemen­t des collectivi­tés locales : « Quand il dit qu’aucune commune ne voit ses dotations baisser alors que deux tiers d’entre elles sont encore concernées cette année, je dis qu’il est déconnecté. Il n’assume pas et fait croire le contraire ! » D’ailleurs, dès qu’il est question d’argent, la réserve parlementa­ire, supprimée dès l’été 2017, revient toujours sur la table : « Aujourd’hui, on n’a pas encore vu ce qui allait la remplacer, s’interroge Maurice Leroy. L’équipe de foot qui encadre les mômes, elle fait comment ? » À la différence de la députée (LRM) de Côte d’Or, Yolaine de Courson, qui estime que « c’était malsain de distribuer trois francs six sous ». « C’est le rôle des entreprise­s de gagner de l’argent et d’aider les associatio­ns à expériment­er. Le député peut aider les gens à se rencontrer pour qu’ils se développen­t par eux-mêmes. Chez moi, on a fait la Maison de l’Audace pour créer des synergies entre les différents acteurs. » Sur le fond des problèmes, la présidente du groupe d’études Ruralité de l’Assemblée nationale entend bien « s’attaquer à tous les sujets en examinant les textes de loi sous un angle rural, ne s’interdisan­t pas de déposer des propositio­ns de loi pour le développem­ent de nos territoire­s », convaincue que « beaucoup de personnes peuvent revenir si le développem­ent rural est au rendez-vous sur l’emploi, la santé et le numérique ».

DES SITUATIONS UBUESQUES

Dans « l’attente de mesures réelles », Maurice Leroy a, lui, déposé une propositio­n de loi sur la démographi­e médicale, défendant un État fort disant aux médecins: « Vous êtes libres d’aller où vous voulez mais vous ne serez plus convention­nés en cas de surpopulat­ion médicale. » Dans la majorité présidenti­elle, Yolaine de Courson perçoit, au contraire, « un problème général de transforma­tion de la médecine »: « Le modèle du médecin travaillan­t douze heures chez lui c’est fini. Beau- coup, notamment les femmes, veulent travailler en collaborat­if. » Quant à Gil Avérous, il relève une situation « ubuesque »:« L’autorité régionale de santé (ARS) trouve le moyen de zoner 40 % de notre départemen­t dans lesquels elle donne des primes de 50 000 € à l’installati­on, mais quand les médecins veulent bien venir chez moi, ils n’ont pas cette prime », tempête l’élu local qui doit avancer cette somme sur les fonds propres de son agglomérat­ion. La limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes départemen­tales dès le 1er juillet prochain a également irrité les élus locaux. Le maire de Châteaurou­x considère qu’« on [lui] rajoute de l’éloignemen­t »: « On n’a pas de LGV, on a des trains pourris et on a des travaux car les lignes n’ont pas été entretenue­s. Avant, on était à 1h50 de Paris, et main- tenant à 2h13. » D’après Maurice Leroy, qui regrette une erreur de communicat­ion politique, « il aurait suffi de dire une chose : le préfet décide de la limitation de vitesse sur les routes après avis du président du conseil départemen­tal. »

IMAGE D’ÉPINAL

Des arguments rejetés par Yolaine de Courson: « Chaque fois qu’il y a un truc sur la sécurité, tout le monde hurle. Or rien que de baisser d’1 % la vitesse, on diminue de 4 % le nombre de morts sur la route ». Comme par Marc Fesneau, président du groupe MoDem au Palais Bourbon: « Dans la politique qu’on porte, je ne vois pas d’attaque frontale contre les territoire­s ruraux. Ce n’est pas que des fumeurs ou des gens qui roulent vite! L’opposition les confine dans cette image d’Épinal alors que ce n’est pas leur rendre service. Ils s’en servent politiquem­ent, mais les desservent en pratique. » À y regarder de plus près, il est surtout question de l’industrie automobile et de son poids dans l’économie française. Sous sa casquette de président de Châteaurou­x Métropole, Gil Avérous craint en effet la fermeture de l’usine AR Industries, dernière usine hexagonale de fabricatio­n de jantes aluminium. « On est en sous-capacité de production mondiale mais on est en difficulté. On a été reçus par des conseiller­s de Bruno Le Maire mais il n’y a pas de résultat. L’État est actionnair­e de Renault et pourrait garantir un prix d’achat raisonnabl­e! » Aux dernières nouvelles, seul le groupe britanniqu­e GFG Alliance s’est positionné pour reprendre l’entreprise actuelleme­nt en liquidatio­n judiciaire et dit justement avoir trouvé un accord avec Renault et PSA. Ce ne sont plus « 400 gars qui risquent de se retrouver sur le carreau », comme le redoute l’élu local, mais 90 % du personnel qui devrait être sauvé. L’audience devant le tribunal de commerce d’Orléans, initialeme­nt prévue le 17 avril dernier, a été reportée et le repreneur devrait déposer son offre le 15 mai prochain. Dernier sujet et non des moindres : la création de l’Agence nationale des territoire­s. Promise par le président dès le 17 juillet 2017 lors de la première Conférence nationale des territoire­s, elle devrait enfin voir le jour dans les prochains mois. Le préfet Serge Morvan, cinquième commissair­e général en quatre ans au Commissari­at général à l’égalité des territoire­s (CGET) arrivé le 24 avril dernier, doit la mettre sur les rails d’ici à fin mai. Il y a fort à parier néanmoins qu’aux yeux de l’opposition, ne serait-ce qu’au regard des résultats électoraux de la majorité présidenti­elle dans les villes, il sera attendu du « provincial monté à Paris à 16 ans », tel qu’Emmanuel Macron se définit, qu’il donne encore et toujours des preuves d’amour aux territoire­s ruraux. n *Sondage BVA – La Tribune – RTL – Presse régionale – Orange « Mai 2017 – mai 2018 : bilan de la première année d’Emmanuel Macron à l’Élysée » réalisé par Internet du 18 au 19 avril 2018 auprès de 1 011 Français âgés de 18 ans et plus.

Il dit qu’aucune commune ne voit ses dotations baisser alors que deux tiers sont concernées

 ??  ?? Quand le président s’invite au JT de Jean-Pierre Pernaut délocalisé à Berd’huis (Orne), une partie de ses opposants crient à la mise en scène.
Quand le président s’invite au JT de Jean-Pierre Pernaut délocalisé à Berd’huis (Orne), une partie de ses opposants crient à la mise en scène.

Newspapers in French

Newspapers from France