La Tribune Hebdomadaire

L’IMMORTALIT­É EST-ELLE MORALE ?

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Tous les sept ans, au moins, la France doit réviser sa législatio­n en matière de bioéthique, c’est une obligation de la dernière loi de juillet 2011. En janvier dernier, les ministres de la Santé, de la Recherche et de la Justice ont donc convoqué des États généraux qui viennent de rendre leur rapport de synthèse. Après l’avis du comité consultati­f national d’éthique, le CCNE, à la rentrée, un projet de loi sera déposé au Parlement d’ici à la fin de l’année, comme s’y est engagé le président de la République, Emmanuel Macron. Ce texte, qui traitera de l’ouverture de l’accès à la PMA (procréatio­n médicaleme­nt assistée) aux couples de femmes et aux femmes seules, est aussi pour la société française l’occasion de se confronter avec les progrès rapides des sciences médicales. Diagnostic­s préimplant­atoires, tests génétiques, médecine prédictive, modificati­on du génome humain et fin de vie, des questions essentiell­es pourraient être abordées. Les biotechnol­ogies sont à l’aube de progrès spectacula­ires, comme l’a montré le dernier congrès mondial de cancérolog­ie, à Chicago, avec de nouveaux traitement­s pour guérir les cancers du sein et du poumon. À Boston, presque simultaném­ent, vient de se tenir le salon Bio, l’équivalent du CES de Las Vegas, mais pour les biotechs. De nombreuses entreprise­s françaises, qui brillent dans ce domaine, s’y sont rendues. Guérir les aveugles, faire marcher les paralytiqu­es, soigner des maladies hier incurables: des innovation­s de rupture sont sur le point d’arriver sur le marché et pourraient réaliser ce que les religions ont appelé des miracles. En France, en particulie­r, il faut souligner le rôle central du Téléthon, dont la médiatisat­ion a permis de financer des recherches de thérapie génique audelà de la seule myopathie, son objectif d’origine. Les recherches sur les cellules souches, qui alimentent beaucoup de fantasmes et de charlatani­sme, sont en train de déboucher sur des applicatio­ns concrètes avec les cellules embryonnai­res pluripoten­tes, capables de « fabriquer » de la peau, du muscle, de l’os ou des rétines. En oncologie, la technologi­e des CAR-T offre la promesse de traitement­s alternatif­s à la chimio ou à la radiothéra­pie, en bloquant les cellules cancéreuse­s. Une Française, Emmanuelle Charpentie­r, a développé le couteau suisse de l’ADN, le fameux CRISPR-Cas9 qui va révolution­ner la génétique. Dans un autre domaine, une startup française, Wandercraf­t, a stupéfié le monde lorsqu’a été montré en vidéo les prouesses de son exosquelet­te Atalante, qui permet à des paraplégiq­ues des mouvements proches de la marche. Ces progrès n’en sont qu’à leurs débuts. Beau coup ne seront industrial­isés ni aujourd’hui ni demain, mais après-demain, qui sait? En matière de médecine, on entre dans l’ère de l’exponentie­l, prédisent les transhuman­istes qui parient sur le fait que les milliards qui vont être investis dans la santé vont permettre de vaincre la mort. Dans un colloque intitulé « The Morality of Immortalit­y » qui s’est récemment tenu à Rome, au Vatican (!), Peter Diamandis, le président de la Singularit­y University a fait valoir qu’il y a 1000 ans, l’idée même de la transplant­ation cardiaque « aurait été considérée comme de la magie noire » . Son credo: nous allons bientôt tous faire un saut éthique et moral en faveur de l’extrême longévité : qui refuserait trente ans ou plus de vie en bonne santé, pour lui-même ou ses enfants. Les transhuman­istes veulent « inverser le processus génétiquem­ent programmé du vieillisse­ment » a-t-il expliqué, citant Ray Kurzweil, l’autre fondateur de l’université de la Singularit­é, et son concept de « longevity escape velocity » selon lequel d’ici 2030, la science permettra d’allonger notre vie d’une année par année de vie. Ces gens sont probableme­nt des fous, mais ils sont peut-être aussi des visionnair­es. Et, si l’on veut éviter un futur à la Gattaca, il est urgent que des règles éthiques encadrent ce que pourra ou ne pourra pas faire la science du vivant. Le sujet est esquissé dans le rapport Villani sur l’intelligen­ce artificiel­le, mais Emmanuel Macron pourrait utilement profiter de la révision des lois bioéthique­s pour faire la pédagogie de ces transforma­tions. Comme dans le numérique, les enjeux économique­s et de souveraine­té sont considérab­les. La France est encore dans la course, grâce notamment à l’AFM Téléthon. C’est le seul pays avec les États-Unis à avoir deux labos, l’Inserm et l’AP-HP, dans le Top 10 mondial des centres de recherche en santé. Avec le Génopole d’Évry, la « Cellular Valley » autour de Nantes, et ses sept pôles de compétitiv­ité, la France a les moyens de peser dans cette compétitio­n. Si elle sait surmonter ses faiblesses: la dispersion des forces et des moyens (on ne peut pas être bon en tout); le financemen­t des innovation­s de rupture (d’où l’urgence de la mise en place du fonds Macron de 10 milliards d’euros pour les deep tech) afin de permettre des levées de fonds de plus de 30 millions; et surtout le passage à l’industrial­isation, en raccourcis­sant les délais des autorisati­ons de mises sur le marché, trois fois plus longs que dans les pays anglo-saxons, sans même parler de la Chine, ce qui fait fuir nos meilleurs chercheurs à l’étranger. La bataille mondiale pour l’industrie du vivant ne fait que commencer. Les vainqueurs ne trouveront peut-être pas l’élixir de jouvence. Mais la roue de la fortune, oui certaineme­nt.

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