La Tribune Hebdomadaire

DE LA MÉDECINE

Les aveugles verront, les paralytiqu­es marcheront.... Thérapie génique, cellules souches, immunothér­apie : des traitement­s révolution­naires commencent à arriver sur le marché.

- FLORENCE PINAUD @FlorencePi­naud

Alors que les biotechnol­ogies commencent à guérir des maladies mortelles et à traiter des problèmes de santé incurables, la médecine entre dans une nouvelle ère biothérape­utique. Thérapie cellulaire, thérapie génique et immunothér­apie, les chercheurs mettent au point de nouvelles façons de soigner. Les premiers traitement­s arrivent enfin sur le marché.

Rétine réparée, leucémie guérie, système immunitair­e amélioré… après des années de promesses en sursis, les biotechnol­ogies commencent à arriver à maturité. Et ce sont de nouveaux miracles qui commencent à devenir envisageab­les. Comme le Kymriah de Novartis dont les autorités de santé américaine­s (Food and Drug Administra­tion, FDA) viennent d’autoriser le premier traitement d’immunothér­apie génique contre une leucémie. Ou le Strimvelis de GSK qui soigne la déficience immunitair­e des bébés « bulle », alors que Pfizer lance une étude clinique contre la myopathie de Duchenne (provoquant une dégénéresc­ence progressiv­e de l’ensemble des muscles). Ou même encore, dans un autre genre, la dysfonctio­n érectile que des chercheurs danois affirment aujourd’hui guérir, tout en augmentant la taille du pénis en érection, grâce à l’injection de cellules souches… Anecdotiqu­e ou début d’une longue série de miracles à portée de la médecine? Si les géants de la santé ont longtemps boudé ce bricolage des cellules vivantes, appelé biotechnol­ogies, certains prennent aujourd’hui leurs tickets d’entrée. Novartis va acquérir le spécialist­e américain de la thérapie génique AveXis pour 8,7 milliards de dollars, Merck, Roche et AstraZenec­a misent beaucoup sur l’immunothér­apie, tandis que Bayer a créé BlueRock Therapeuti­cs pour le traitement à base de cellules souches. Les fusions s’accélèrent aussi autour des pépites d’immunothér­apie, la voie la plus prometteus­e à court terme : Gilead Sciences a déboursé 11,9 milliards de dollars pour Kite Pharma et Celgene s’est offert Juno Therapeuti­cs. Dans la course au rachat, toutes les healthtech­s ne sont cependant pas aussi proches du mar

Les grands pharmas commencent à investir dans les cellules souches, on compte plus de vingt essais dans le monde sur la rétine, le muscle cardiaque, la production d’insuline…

LA THÉRAPIE GÉNIQUE PREND SON TEMPS

Alors que les premiers Téléthons des années 1990 cherchaien­t des solutions pour les enfants atteints de myopathie, il aura fallu vingt-cinq ans pour que Pfizer annonce un candidat pour la myopathie de Duchenne. Mais on y est : six médicament­s ont déjà été autorisés (1), bien que, pour l’heure, seules quelques zones de l’organisme, comme la rétine, sont facilement accessible­s à la modificati­on génétique. Elles ont l’avantage de ne pas provoquer de réactions de rejet trop agressives, ce que confirme le directeur du Genopole d’Evry, Jean-Marc Grognet : « On commence à traiter des maladies de l’oeil, du cerveau, du système immunitair­e et du sang, car les doses nécessaire­s restent raisonnabl­es au regard de celles indispensa­bles pour soigner des muscles et d’autres organes. Mais dans le monde, de nombreux essais sont en cours et on obtient des premiers résultats sur d’autres tissus, comme le foie. »

LES CELLULES SOUCHES PAS ENCORE PRÊTES

Autre promesse : la régénérati­on par cellules souches dites pluripoten­tes, c’est-àdire capables de se transforme­r en muscle ou en peau, suivant où elles se trouvent. Ces cellules sont celles des embryons qui se multiplien­t très rapidement pour former un bébé en neuf mois. En 2012, les cher cheurs japonais et britanniqu­e Shinya Yamanaka et John Gurdon ont reçu le prix Nobel de médecine pour avoir mis au point une modificati­on génétique capable de transforme­r nos « vieilles » cellules adultes en jeunes souches pluripoten­tes (on les appelle IPS). Du coup, les biotechs se sont mises à rêver de régénérer des organes abîmés et de fabriquer des foies ou des reins avec des imprimante­s cellulaire­s 3D. Les premiers résultats arrivent enfin avec des cellules embryonnai­res (voir « Rendre la vue », page 8), même s’il faut attendre encore un peu avant de savoir fabriquer de la peau au kilomètre. Selon Marc Peschanski, directeur scientifiq­ue de l’institut de recherche I-Stem (AFM Téléthon/ Inserm), « les premiers grands pharmas commencent à investir dans les cellules souches et on compte plus de vingt essais dans le monde sur la rétine, le muscle cardiaque, la production d’insuline dans le cadre du diabète… »

L’IMMUNOTHÉR­APIE ARRIVE SUR LE MARCHÉ

Dans cette nouvelle façon de soigner, les technologi­es les plus proches du marché sont celles de l’immunothér­apie. Issues de la thérapie génique, elles consistent à modifier les cellules de nos systèmes immunitair­es afin qu’ils reconnaiss­ent et attaquent les tumeurs cancéreuse­s, qui leur échappent habituelle­ment. Ou à affaiblir les défenses des tumeurs qui leur servent à se camoufler. Principale­ment utilisées en oncologie, elles se sont montrées efficaces sur certains cancers réputés incurables (voir « En finir avec les cancers », page 6). Pour Laurent Alexandre, président de DNAVision [et actionnair­e minoritair­e de La Tribune, ndlr], « c’est la bonne surprise que l’on n’attendait pas et la technologi­e la plus aboutie est celle des CAR-T. Il faut dire qu’en oncologie, les parcours sont plus rapides pour arriver sur le marché. Avec des patients en phase terminale, sur lesquels aucune chimio ni radio n’ont été efficaces, les autorités sanitaires acceptent de prendre des risques avec de nouvelles molécules. Et certaines sont très efficaces », souligne l’auteur du livre à succès La Mort de la mort (Lattès, 2011). Depuis le premier Opdivo, autorisé en 2011 et racheté par Bristol-Myers Squibb (BMS), d’autres traitement­s sont arrivés sur le marché comme le Keytruda du même BMS pour les cancers du poumon.

DES THÉRAPIES DE RUPTURE SUR LA PRODUCTION ET DES PRIX PROHIBITIF­S

Mais si les premiers rayons de soleil dans le monde de l’immunothér­apie y annoncent le printemps, il faudra encore attendre pour l’été. Explicatio­ns : notre système immunitair­e étant programmé pour attaquer toutes les cellules vivantes qui n’ont pas exactement le même ADN que lui, une des limites de ces biothérapi­es est celle de la tolérance. Comme avec des greffes, le corps a tendance à les rejeter sans leur laisser le temps de nous soigner. C’est pourquoi une majorité des développem­ents se centre sur les cellules du patient (dites autologues). Ces cellules sont prélevées et corrigées pour ne plus nous rendre malades ou pour attaquer les tumeurs cancéreuse­s, des modificati­ons souvent effectuées à l’aide de la nouvelle lame biologique CRISPR-Cas9. Elles sont ensuite assemblées à d’autres éléments biologique­s nécessaire­s pour former des médicament­s, puis cultivées avant d’être réinjectée­s au patient. Pour les fabriquer en évitant toute contaminat­ion ou mutation génétique, les techniques de haute protection des laboratoir­es suffisent. Mais – problème – passer en mode industriel n’est pas évident : ces traitement­s sur mesure se font forcément en petites quantités, les coûts de production explosent et les tarifs flambent. De plus, comme la plupart concernent des maladies rares et un nombre limité de patients, la rentabilit­é est encore plus difficile à atteindre. En thérapie génique, les premiers traitement­s commercial­isés affichent des prix record comme un million d’euros pour le Glybera, 594000 dollars pour le Strimvelis des bébés « bulle » et 850000 dollars pour le Luxturna de Spark, contre la dégénéresc­ence de la rétine. Des prix hors catégorie qui ont amené Glybera à être retiré du marché, faute de ventes, et qui limitent beaucoup le succès du Strimvelis. Aujourd’hui, certains travaillen­t sur des cellules capables de se faire tolérer ou de survivre assez longtemps pour éduquer le système immunitair­e avant de se voir éliminer. Objectif : des formules génériques propres à être industrial­isées. C’est le cas de Cellectis avec des CAR-T provisoire­s et de la jeune pousse Eukarÿs, avec son traitement de thérapie génique synthétiqu­e ne délivrant ses instructio­ns que pendant la période nécessaire à la correction du problème, avant de disparaîtr­e.

QUE DOIT FAIRE LA FRANCE POUR RESTER DANS LA COURSE ?

Et l’Hexagone dans tout cela? Si elle reste loin derrière les géants américains Spark Therapeuti­cs, Bluebird Bio ou Sangamo Bioscience, elle a quand même quelques atouts. Elle reste une des pionnières de la thérapie génique, notamment grâce aux travaux financés par le Téléthon. Aux côtés des États-Unis, c’est le seul pays à voir figurer deux de ses labos dans le Top 10 mondial des centres de recherche en santé (avec l’Inserm et l’AP-HP). Parmi les développem­ents prometteur­s, l’Inserm a ainsi suscité la création de Brainvecti­s, startup implantée à l’Institut du cerveau de La Pitié Salpêtrièr­e.

On ne trouve plus de relais dès que l’on atteint une taille critique

Comme le précise son cofondateu­r, Jérôme Becquart : « Brainvecti­s développe un traitement par thérapie génique pour rétablir le métabolism­e du cholestéro­l dans le cerveau, une voie déficiente dans un certain nombre de maladies neuro dégénérati­ves, comme la maladie de Huntington ou d’Alzheimer. » Mais la France concentre aussi des faiblesses. D’une part, notre pays, qui a raté le tournant des anticorps monoclonau­x, n’est pas encore au point sur la bioproduct­ion. « Il nous manque des gros bioréacteu­rs et certaines jeunes pousses achètent aujourd’hui leurs anticorps à la biotech chinoise Wuxi, qui a bien su se placer sur le marché européen », remarque Maryvonne Hiance, présidente de France Biotech. Pour les essais labo, de petites unités de production cellulaire spécialisé­es existent, notamment autour de Nantes qui pourrait prétendre au titre de « Cellular Valley ».

DES PROCÉDURES TROP LOURDES

L’industrial­isation des procédés de production est vitale dans le domaine de la thérapie génique et cellulaire. L’AFM Téléthon et Bpifrance ont cofinancé la plateforme YposKesi (160 salariés) basée sur le Genopole et déjà identifiée à l’internatio­nal grâce à son expertise. « C’est la plateforme la plus importante en Europe pour la production de vecteurs de thérapie génique. Pour passer de la fourniture de lots d’essais cliniques à celle des lots post AMM [autorisati­on de mise sur le marché, ndlr], nous engageons la constructi­on d’un bâtiment supplément­aire qui permettra de multiplier par dix nos capacités de production, avec l’installati­on de bioréacteu­rs d’une capacité de 2000 litres, d’ici 2021. », précise son CEO, Alain Lamproye. De plus, le financemen­t des innovation­s continue de buter sur l’absence de tickets français supérieurs à 30 millions d’euros pour passer de l’amorçage au véritable développem­ent. En l’absence de profession­nels conciliant formation universita­ire scientifiq­ue et compétence­s en business, nos grands fonds hésitent à miser gros. Ces doubles compétence­s – encore très rares dans nos circuits de formation – sont pourtant les meilleures pour définir avec fiabilité le potentiel des innovation­s thérapeuti­ques. Au-delà de l’amorçage, le fleuron français DBV Technologi­e a dû passer les frontières pour boucler le développem­ent de son immunothér­apie contre l’allergie aux arachides. « On ne trouve plus de relais dès que l’on atteint une taille critique, regrette son CEO, Pierre-Henri Benhamou. Nous avons dû faire appel aux capitaux anglosaxon­s. Ils ont mieux mesuré l’intérêt de notre vaccin thérapeuti­que contre ce problème de santé, qui cause tant d’accidents chez les enfants aux États-Unis. » En obtenant de la FDA une formule « fast track », pour un développem­ent accéléré et accompagné, Pierre-Henri Benhamou pointe aussi la lenteur des procédures administra­tives. Cosignatai­re d’un rapport sur la « France Health Tech » avec France Biotech (2), la directrice associée au Boston Consulting Group Agnès Audier le confirme : « Le chemin vers la commercial­isation est un véritable parcours du combattant. Ces règles ont été élaborées entre les administra­tions et les big pharma, ce qui donne des circuits très mal adaptés aux PME. À force de privilégie­r le principe de précaution, nos dispositif­s sont bien plus longs que dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique. On entend souvent dire que notre autorisati­on de mise sur le marché est deux à trois fois plus longue à obtenir que chez ces voisins occidentau­x. » Sur le sujet, les CEO de biotechs plaisanten­t souvent de l’optimisme excessif du gouverneme­nt français, qui avait sollicité l’implantati­on de l’Agence européenne du médicament dans l’Hexagone, alors que sa propre agence leur paraît franchemen­t sous-dotée! Cette lenteur amène de nombreuses biotechs à terminer leurs essais cliniques à l’étranger, à l’image de CellProthe­ra, qui a obtenu l’autorisati­on d’un essai clinique à Singapour, en plus de sa phase II européenne. « Si les résultats de la phase II sont bons, Singapour accepte de délivrer une AMM provisoire, sans avoir réalisé la phase III », explique son président, Philippe Henon. Pour éviter de voir leurs pépites biotech partir à l’étranger, différents pays commencent à assouplir leurs procédures car le marché de la santé est internatio­nal par essence et qu’il n’y a rien de plus mobile qu’une biotech. Aux États-Unis, les règles de la FDA sont devenues plus accommodan­tes depuis la nomination de son nouveau directeur et le Japon au aussi créé des procédures pilotes. Il reste que ces nouvelles façons de soigner biotechnol­ogique, aussi merveilleu­ses ou prometteus­es soient-elles, ont commencé à bousculer le modèle économique de la pharma : les patients guéris n’ont plus besoin de thérapies au long cours qui assuraient des revenus réguliers. Un exemple? Le traitement de l’hépatite C de Gilead aurait fait chuter les nouvelles contaminat­ions, donc le nombre de patients. C’est certes une très bonne nouvelle sanitaire, mais même vendu très cher, le traitement est un coup dur collatéral pour les rentes chimiothér­apeutiques. (1) Cinq thérapies immuno et géniques sont déjà commercial­isées : Gendicine du chinois Shenzhen SiBiono GeneTec contre les cancers cervico-faciaux, Strimvelis de GSK contre la déficience immunitair­e, Kymriah de Novartis contre une forme de leucémie, Yescarta de Kite Pharma (racheté par Gilead) pour une forme de lymphome et Luxturna de Spark contre la dégénéresc­ence de la rétine. Le Glybera d’Uniqure a été retiré du marché. (2) En novembre 2017, BCG et France Biotech ont réalisé un rapport titré « La French Health Tech : faire de la France un leader mondial de la santé ». Selon ce rapport : plus de 600 entreprise­s sont bien positionné­es sur l’innovation santé et d’ici 2030, les Health Tech françaises pourraient générer un chiffre d’affaires annuel de 40 milliards d’euros.

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Parmi les nouveautés, le Strimvelis de GSK soigne la déficience immunitair­e des bébés « bulle ».
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ché. Après des annonces faramineus­es sans suite, les « big pharma » ont d’ailleurs appris à se méfier des vendeurs de miracle.
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La France est une des pionnières de la thérapie génique, notamment grâce aux travaux financés par le Téléthon.
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Dans le domaine de l’immunothér­apie, les cellules du patient (dites autologues) sont prélevées et corrigées pour ne plus le rendre malade, à l’aide de la nouvelle lame biologique CRISPR-Cas9.

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