La Tribune Hebdomadaire

Les nanosatell­ites capturent des images de toute la planète

- GUILLAUME RENOUARD, EN CALIFORNIE

Depuis San Francisco, l’entreprise Planet a mis en orbite la plus large flotte de satellites au monde. Elle capture ainsi des images haute définition de la totalité de la surface terrestre, mises à jour quotidienn­ement. Une petite révolution.

Dans son roman L’OEil dans le ciel, l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick dépeint un monde où les moindres actions des hommes sont soumises au jugement d’un dieu sévère et tout-puissant, qui prend la forme d’un oeil géant flottant dans le ciel. Aujourd’hui, une petite révolution à l’oeuvre dans l’industrie du satellite nous permet, de manière moins spectacula­ire, mais tout aussi efficace, de suivre avec précision le fourmillem­ent d’activités à l’oeuvre sur notre planète. Elle s’appuie sur des minisatell­ites, qui coûtent bien moins cher à produire que leurs homologues traditionn­els, et peuvent être déployés sous forme de flottes comptant des dizaines d’éléments, ce qui ouvre la porte à nombre de nouvelles applicatio­ns.

LA RÉVOLUTION DES « CUBESATS »

L’idée de produire des satellites aux dimensions plus modestes remonte à 1999, lorsque Jordi Puig-Suari et Bob Twiggs, deux enseignant­s-chercheurs californie­ns, demandent à leurs étudiants de plancher sur le design et la conception d’engins spatiaux miniatures. De ces travaux émerge l’idée de nanosatell­ites, ou « CubeSats ». Dans les années 2010, les progrès de l’informatiq­ue et la miniaturis­ation des composants, entraînée par la démocratis­ation du smartphone, rendent cette idée techniquem­ent viable. Les années 2010, c’est aussi la montée en puissance de SpaceX, qui réduit considérab­lement les coûts de mise en orbite avec ses fusées réutilisab­les, et entraîne dans son sillage une constellat­ion de startups construisa­nt des fusées à prix cassés. L’industrie du nanosatell­ite peut alors prendre son envol. Dès lors, de nombreuses startups cherchent à exploiter le filon, attirées par les opportunit­és de marché. La jeune pousse Planet est l’une d’entre elles. Lancée en 2010 par trois ex-ingénieurs de la Nasa, dans un garage à San Francisco, elle opère actuelleme­nt la plus large flotte de satellites au monde. 200 appareils qui gravitent autour du globe et prennent chaque jour quelque 1,3 million de clichés haute définition couvrant l’intégralit­é de la surface terrestre. Elle offre ainsi, selon les mots de William Marshall, l’un des cofondateu­rs, un véritable scanner de notre planète, susceptibl­e d’offrir des images de n’importe quelle partie du globe, mises à jour quotidienn­ement. La clientèle de l’entreprise est aujourd’hui répartie dans une centaine de pays différents. Elle se compose d’entreprise­s, d’organisati­ons à but non lucratif, ainsi que d’entités gouverneme­ntales et supra-étatiques.

SONDER L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

Selon Mike Safyan, directeur général de Planet, l’une des applicatio­ns commercial­es les plus prometteus­es de la technologi­e réside dans l’intelligen­ce économique. « Auparavant, avec des satellites traditionn­els, on était contraint de cibler une zone géographiq­ue bien précise, puisque l’on disposait d’un nombre d’appareils plus restreint. Notre vision des choses était donc forcément partiale : on pouvait par exemple estimer la production de blé dans le Midwest, mais on ne pouvait pas la comparer en temps réel avec les données de l’Europe de l’Est ou de l’Afrique. Désormais, il est possible d’embrasser l’ensemble de la planète du regard. Cela conduit à un changement de paradigme: au lieu de partir en quête d’une informatio­n précise, on peut tout observer, et acquérir ainsi des renseignem­ents auxquels on n’aurait jamais pensé. » On peut ainsi scanner l’activité des océans, pour estimer le nombre de porte-conteneurs qui se déplacent actuelleme­nt dans le monde entier, ou encore compter les navires commerciau­x qui entrent et sortent d’un port bien précis. Il devient également possible d’estimer les réserves de pétrole détenues en Chine, et de les comparer avec celles du Moyen-Orient. Autant d’indicateur­s qui peuvent s’avérer très précieux dans la sphère financière, puisque l’on est ainsi capable de déterminer l’évolution des actifs économique­s qui nous intéressen­t avant les investisse­urs concurrent­s.

PRÉSERVER LA PLANÈTE

Pour Mark Safyan, les possibilit­és sont aussi particuliè­rement fertiles dans l’agricultur­e. « Combinée avec des données météorolog­iques, l’imagerie par satellite fournit de précieuses informatio­ns aux agriculteu­rs, qui peuvent ainsi obtenir un meilleur suivi de leurs récoltes, et effectuer des estimation­s quant à la production future », explique Mike Safyan. Planet s’est récemment associée à Granular, une entreprise de logiciels qui fournit aux agriculteu­rs des outils leur permettant de diminuer les risques et d’accroître leurs rendements. Grâce à ce contrat, Granular bénéficie d’images en haute définition prises depuis le ciel, qu’elle peut intégrer à ses outils d’analyse pour obtenir des prédiction­s plus précises. Enfin, les assurances sont également un domaine de choix pour Planet. « Lors des dernières inondation­s qui ont eu lieu au Texas, nous avons travaillé avec plusieurs compagnies d’assurance locales pour inspecter les dégâts, et les aider à déterminer quels clients elles devaient assister en priorité », explique Mike Safyan. L’entreprise compte aussi parmi ses clients plusieurs gouverneme­nts. L’usage de l’imagerie leur permet de veiller à la sécurité des frontières, d’effectuer des mesures économique­s, de prévoir les catastroph­es climatique­s et de coordonner une réponse efficace après le sinistre, ou encore d’observer les changement­s environnem­entaux. Au niveau supranatio­nal, Planet est engagée dans plusieurs programmes spatiaux européens, dont Copernicus, programme d’observatio­n et de surveillan­ce de la Terre. Enfin, l’entreprise collabore étroitemen­t avec plusieurs ONG, notamment autour de la protection de l’environnem­ent. Ainsi les images fournies par la startup permettent de scruter les océans en quête de bateaux de pêche opérant dans des zones défendues, ou encore de mesurer la déforestat­ion, à l’arbre près. Une fonction qui s’avère très utile dans le cadre des programmes consistant à payer les États ou les propriétai­res terriens en échange de la préservati­on de leurs forêts. L’espace devient ainsi le meilleur moyen de conserver l’intégrité de notre planète.

On peut acquérir des renseignem­ents auxquels on n’aurait jamais pensé

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Le nombre restreint de satellites traditionn­els ne permettait pas de « scanner » l’ensemble de la planète.
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Les nanosatell­ites ou « Cubesats », pensés dès 1999 en Californie, ont pris leur essor ces dernières années.

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