La Tribune Hebdomadaire

«Aujourd’hui, l’atome n’est plus la seule option»

- PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE PIALOT @PIALOT1

Le secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, détaille pour La Tribune sa vision de l’articulati­on entre les évolutions respective­s du nucléaire et des énergies renouvelab­les. Selon lui, fermer les centrales nucléaires de façon brutale et unilatéral­e coûte cher alors qu’il faut développer en parallèle les ENR. Sur le solaire, plusieurs pistes nouvelles sont à l’étude, des toits de la grande distributi­on aux friches militaires. Et un appel d’offre « ENR et patrimoine » va être lancé.

LA TRIBUNE – La programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie (PPE) pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028 est actuelleme­nt en cours de discussion. Dans quel contexte se déroule ce débat ?

SÉBASTIEN LECORNU – L’objectif est d’aboutir à une PPE fiable et sincère. Élaborer une PPE qui ne serait pas tenable, notamment sur le plan industriel, conduirait à tuer la transition énergétiqu­e dans l’oeuf. On ne va pas reculer en permanence la date d’atterrissa­ge à 50 % de nucléaire dans la production d’électricit­é : à cet égard, la clé c’est l’accélérati­on du développem­ent des énergies vertes.

Après, il y a plusieurs intangible­s qui déterminen­t en partie cette PPE.

D’abord, la sécurité d’approvisio­nnement qui est assurée par des énergies pilotables (gaz, nucléaire) y compris pour faire face aux pics de consommati­on et en complément d’énergies intermitte­ntes telles que les énergies renouvelab­les. Le stockage est en devenir mais on recherche encore un modèle économique. On devrait tout de même voir apparaître dans ce quinquenna­t des applicatio­ns de stockage significat­ives grâce au plan hydrogène de Nicolas Hulot et aux travaux sur les batteries. Ensuite, notre objectif pour le climat et donc la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre est une priorité. Les centrales à fioul auront disparu d’ici la fin du quinquenna­t, tout comme les centrales à charbon situées en métropole. Compte tenu de l’accord de Paris et de l’action d’Emmanuel Macron, qui est à la pointe du combat pour le faire vivre à l’internatio­nal, personne ne comprendra­it que l’on fasse des choix contraires à cet impératif climatique. Sur le plan des coûts de l’électricit­é, que ce soit pour le contribuab­le ou pour le consommate­ur, le nucléaire a été la meilleure réponse apportée par EDF au pouvoir gaullo-communiste d’après-guerre pour avoir une électricit­é peu chère. Aujourd’hui, l’atome n’est plus la seule option. Et ce n’est pas faire injure à cette industrie que de le dire. D’ailleurs, notre horizon en la matière est raisonnabl­e : nous visons 50 % de nucléaire dans le mix électrique français, pas zéro ! Enfin, dernier point, l’impact économique et social, aussi bien sur les territoire­s que sur les entreprise­s, notamment Orano et EDF. Nous aurons une solution d’accompagne­ment pour les territoire­s, quelles que soient les décisions qui seront prises.

Comment s’articulent les évolutions des énergies renouvelab­les et du nucléaire et comment se présente la fermeture de Fessenheim – dossier dont vous avez la charge – dans le contexte des derniers défauts constatés sur l’EPR de Flamanvill­e ?

Quand on prend en compte l’ensemble des paramètres cités, il est évident que l’objectif de 50 % de nucléaire d’ici à 2025 n’était pas réaliste. Il faut déjà évaluer ce qu’on est capables de faire en matière d’énergies renouvelab­les pour savoir comment réduire la trajectoir­e du nucléaire. Ce qui compte, c’est le « comment », plus que le « combien ». Mais à l’inverse, du rythme de fermeture du nucléaire dépend aussi le développem­ent des énergies renouvelab­les. En effet, fermer les centrales de façon brutale et unilatéral­e coûte cher. Or, on a besoin d’argent pour soutenir les énergies vertes. À titre d’exemple, le soutien public au solaire revient à 3 milliards d’euros par an, c’està-dire la moitié du soutien public à l’électricit­é d’origine renouvelab­le. Ce coût provient désormais essentiell­ement du soutien aux premiers investisse­ments historique­s, les nouvelles installati­ons étant beaucoup moins coûteuses. Pour passer de 75 à 50 % d’électricit­é nucléaire, il faut nécessaire­ment fermer certains réacteurs. Toute la question est de savoir à quel rythme, sur quelle pente, et donc à quelle date. À l’issue du débat public en cours sur la PPE, entre cet été et septembre, nous allons déterminer un nombre de réacteurs, une pente de décroissan­ce du nucléaire et une date à laquelle nous atteindron­s 50 %. Mais probableme­nt pas la liste des réacteurs, car il n’est pas pertinent de fragiliser les territoire­s avec des annonces politiques. Le choix des réacteurs fermés dépendra de plusieurs critères, dont le coût des travaux de grand carénage demandés par l’ASN [Autorité de sureté nucléaire, ndlr] pour chaque réacteur. Concernant Fessenheim, la fermeture est actée, irréversib­le et c’est désormais à EDF de préciser le calendrier et de communique­r en toute transparen­ce. Le moment venu, c’est l’ASN qui décidera de l’ouverture de Flamanvill­e. Le plafond d’électricit­é nucléaire prévu par la loi s’appliquera. Le projet de territoire auquel nous travail

L’objectif de descendre à 50 % de nucléaire d’ici à 2025 n’était pas réaliste

lons pour Fessenheim et sa région se poursuit, sans aucun changement. Le temps de l’après-centrale a commencé en janvier dernier quand le Premier ministre m’a dépêché sur place pour élaborer avec les élus locaux un projet de développem­ent économique durable du territoire. Notre gouverneme­nt s’y investit de manière inédite.

Sur quelles énergies renouvelab­les misez-vous en particulie­r ?

La situation est très contrastée selon les énergies. L’éolien terrestre souffre d’un problème d’acceptabil­ité locale. Il faut élaborer une stratégie territoria­le, en évitant le phénomène de mitage. Nous souhaitons libérer ce secteur, mais pas n’importe comment. Notre ministère est aussi celui de la protection des paysages, en liaison avec les architecte­s des bâtiments de France. L’avis des préfets reste déterminan­t dans la décision d’implantati­on d’un projet. Les différente­s mesures adoptées à l’issue du groupe de travail éolien doivent permettre d’abaisser de huit ou neuf ans à quatre ou cinq ans le délai nécessaire pour faire sortir un projet de terre. Quant à l’éolien en mer, c’est le coût du lancement de cette filière qui est en question. Elle ne peut se construire à contrecour­ant des intérêts des contribuab­les et des consommate­urs. Ce secteur a souffert d’une réglementa­tion totalement inadaptée, mais la loi Essoc [pour un État au service d’une société de confiance] doit y remédier. Contrairem­ent à ce qui était imposé jusqu’à présent, les nouveaux projets éoliens [terrestres et maritimes, ndlr] pourront recourir aux technologi­es les plus récentes au moment de la constructi­on. Par ailleurs, on parle beaucoup d’électricit­é, mais la PPE, c’est aussi le gaz, qui sera indispensa­ble aussi bien à la mobilité qu’au chauffage. Surtout, il présente le grand avantage de pouvoir se verdir, par méthanisat­ion industriel­le, agricole ou à partir de déchets ménagers, ce qui participe de l’économie circulaire et bénéficie aux collectivi­tés locales. C’est un moyen moderne, et compétitif à terme, de diversifie­r les revenus des agriculteu­rs et de créer de la richesse dans les territoire­s. En mars, à la demande du président de la République, nous avons annoncé plusieurs mesures attendues par les agriculteu­rs : élévation du niveau des seuils d’autorisati­on ICPE (installati­ons classées pour la protection de l’environnem­ent), mise en place d’un guichet unique, aide à l’investisse­ment initial, révision à la hausse des tarifs de rachat… Le traitement de choc élaboré à l’issue du groupe de travail méthanisat­ion semble efficace puisque la filière commence à se structurer. Il existe aujourd’hui 500 méthaniseu­rs en France, je pense qu’on peut en attendre au moins deux fois plus en constructi­on d’ici un an.

Le groupe de travail sur le solaire que vous avez mis en place en avril doit rendre ses recommanda­tions prochainem­ent. Sur quoi portent-elles ?

C’est sur le photovolta­ïque que les marges de manoeuvre sont les plus importante­s. Grâce à des efforts de massificat­ion bien calibrés, il est possible d’atteindre bientôt un modèle économique sans subvention. Dans les derniers appels d’offres, le tarif demandé atteint 55 euros le mégawatthe­ure pour les grandes centrales au sol. À ce niveau, on tutoie le prix de marché de l’électricit­é. Un doublement des appels d’offres à 1 gigawatt (GW) a été annoncé lors du One Planet Summit de décembre 2017, et les raccordeme­nts devraient également quasiment doubler en 2018 (de 875 MW en 2017, ils devraient s’établir entre 1200 à 1500 MW en 2018). Le groupe de travail actuelleme­nt en place recherche des solutions pour dégager le foncier nécessaire à cette massificat­ion. Pour y parvenir, il faut cesser d’être généralist­es et spécialise­r les acteurs par type de solaire. Par exemple, les magasins de la grande distributi­on, qui disposent de surfaces importante­s et dont les horaires de consommati­on [pour le froid et la climatisat­ion] coïncident avec la production solaire, sont de parfaits candidats à l’autoconsom­mation. D’ailleurs, les résultats des derniers appels d’offres, dont 70 % ont été remportés par la grande distributi­on, prouvent que le solaire est devenu rentable pour ce segment de marché. Nous allons encore libérer son développem­ent, par exemple en assoupliss­ant les règles d’implantati­on au sein des zones d’activité commercial­es, sans exclure à terme des mesures normatives imposant l’équipement en panneaux solaires sur certains bâtiments. Autre segment encore vierge que nous souhaitons explorer : le patrimoine. Nous travaillon­s avec Stéphane Bern, qui pilote la Mission patrimoine, afin de lancer d’ici à la fin de l’année le premier appel d’offres « Énergies renouvelab­les et patrimoine ». Petite hydroélect­ricité pour les cours d’eau, tuiles solaires pour les dépendance­s, méthanisat­ion à partir des exploitati­ons agricoles ou des haras souvent présents sur les domaines… Le développem­ent des énergies propres constitue pour les propriétai­res une piste supplément­aire pour diversifie­r leurs sources de revenus. Pour la première fois, nous travaillon­s avec les associatio­ns patrimonia­les qui étaient jusqu’ici plutôt en froid avec les acteurs des énergies renouvelab­les. Cette collaborat­ion doit permettre de limiter les contentieu­x. Enfin, nous allons réaliser un énorme travail sur les friches, aussi bien indus trielles que militaires, car nous ne voulons pas déroger à notre principe, qui est de ne pas être en conflit d’usage avec les terres agricoles. Nous allons systématis­er ce qui a déjà été fait autour de certaines bases aériennes [comme à Toul, en Meurthe-et-Moselle]. Pour des raisons de sécurité, les bases aériennes sont en effet entourées de grandes surfaces de foncier inerte. Ce programme gouverneme­ntal porte autant sur des projets décentrali­sés que sur de grandes centrales.

Vous avez annoncé les premiers contrats de transition énergétiqu­e, quels seront les prochains ?

Ces contrats n’ont pas seulement un enjeu de transition sociale et de réparation de territoire­s dévitalisé­s. Ils doivent aussi permettre d’innover. Bien sûr, ils concernent des territoire­s tels que ceux où se situent les quatre centrales à charbon métropolit­aines qui ont vocation à fermer d’ici à la fin du quinquenna­t : Cordemais (Loire-Atlantique) et Le Havre (SeineMarit­ime) pour les centrales opérées par EDF, Saint-Avold (Moselle) et Gardanne (Bouches-du-Rhône) pour celles du groupe allemand Uniper. À Aramon (Gard), où EDF a fermé sa centrale au fioul, le CTE [contrat de transition énergétiqu­e] concerne un projet de « cleantech valley » qui associe tous les partenaire­s locaux dans le développem­ent des filières éco-industriel­les (énergies et transports propres, chimie verte, économie circulaire, recyclage, etc.). À Arras, qui se positionne comme territoire-pilote en matière de transition énergétiqu­e dans le cadre de la dynamique régionale « rev3 » [troisième révolution industriel­le], l’expériment­ation porte sur la méthanisat­ion et les bus verts ; autre territoire choisi, la Corrèze, qui mène de front des projets porteurs en matière d’énergies renouvelab­les et de circuits courts. Dans le nord de la Côte d’Or, un territoire miindustri­el, mi-agricole, cela porte sur les usages agricoles, la mise en oeuvre de circuits courts dans les cantines… Nous sommes encore dans un mode laboratoir­e. Les territoire­s identifiés bénéficien­t d’un accompagne­ment financier mais aussi de normes simplifiée­s et de procédures accélérées. Pour le moment les contrats de transition énergétiqu­e sont financés par des crédits de droit commun, ainsi que, et c’est la nouveauté, par des fonds privés comme c’est le cas avec EDF à Aramon.

Un appel d’offres “Énergies renouvelab­les et patrimoine” va être lancé

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SÉBASTIEN LECORNU SECRÉTAIRE D’ÉTAT AUPRÈS DU MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
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La mise en service de l’EPR de Flamanvill­e devra encore être reportée de plusieurs mois, en raison de défauts de fabricatio­n, a annoncé EDF le 31 mai.
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Les nouveaux projets éoliens pourront recourir aux technologi­es les plus récentes au moment de la constructi­on.

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