La Tribune Hebdomadaire

Régénérer les corps abîmés

Avec les cellules souches pluripoten­tes, capables de se transforme­r en peau, en muscle ou en foie, les chercheurs rêvent de réparer nos blessures et de régénérer nos organes malades. Les premiers résultats validés arrivent enfin.

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Au printemps dernier, le moral des biotechs est reparti à la hausse. Des chercheurs reconnus venaient d’annoncer qu’ils avaient réussi la régénérati­on cellulaire de rétine sur des patients atteints de DMLA (Dégénéresc­ence maculaire liée à l’âge)*. Autrement dit : soigner un patient à l’aide de cellules souches embryonnai­res, c’est vraiment possible! Les cellules embryonnai­res sont des cellules souvent issues de fécondatio­ns in vitro. Elles sont pluripoten­tes, c’est-àdire capables de se transforme­r en n’importe quel tissu (peau, muscle, os, etc.). Au fur et à mesure du développem­ent de l’embryon, elles se spécialise­nt suivant l’endroit où elles sont situées et se multiplien­t rapidement. Injectées sur des organes endommagés, elles peuvent reconstitu­er des parties de l’organisme du patient. Ces premiers résultats validés par le milieu scientifiq­ue redoublent l’intérêt de cette technique très prometteus­e.

CELLULES ADULTES OU EMBRYONNAI­RES

En fait, la régénérati­on cellulaire se développe depuis les années soixante-dix, mais à partir des cellules souches qui subsistent dans nos corps d’adulte. Elles ne sont pas pluripoten­tes, mais certaines sont capables de s’adapter suivant les besoins. CellProthe­ra reconstitu­e ainsi une partie du muscle cardiaque après un infarctus. Elle travaille à partir des cellules du patient, comme l’explique son président Philippe Hénon : « Ce sont des cellules souches sanguines CD34+ capables de reconstitu­er du muscle cardiaque et des vaisseaux sanguins. Nous les multiplion­s dans notre prototype automatisé qui forme un greffon en neuf jours. » Sa méthode pourrait arriver sur le marché asiatique début 2020, avant l’Europe en 2022. La seconde technique est celle utilisant des cellules pluripoten­tes. Elle a commencé avec des cellules embryonnai­res qui sont multipliée­s et parfois spécialisé­es en muscle ou peau, avant d’être injectées. Mais, depuis la découverte permettant de reprogramm­er génétiquem­ent des cellules adultes pour les rendre pluripoten­tes (cellules iPS*), une autre possibilit­é apparaît. Elle consistera­it à prélever les cellules du patient, à les modifier génétiquem­ent en iPS avant de les administre­r. Mais la culture des iPS est un exercice complexe. Elles peuvent se modifier de manière assez inattendue : le Pr Shinya Yamanaka – qui les avait mises au point – a dû suspendre son dernier essai car la culture avait subi une mutation indésirabl­e.

LA FRANCE BIEN PLACÉE

Sur ces cellules pluripoten­tes, la France est plutôt bien placée, même si les lois bioéthique­s ont interdit le travail sur embryons jusqu’en 2005. C’est le « french paradox ». Aujourd’hui, une partie des toutes prochaines innovation­s se préparent dans l’Hexagone. Par exemple, l’institut de recherche I-Stem développe une régénérati­on de la rétine – pour laquelle elle solliciter­a bientôt une autorisati­on d’essai clinique – ainsi qu’une méthode pour fabriquer de la peau. Spin off de l’Inserm en 2017, GoLiver travaille sur la régénérati­on du foie avec des cellules souches pluripoten­tes. Pour son fondateur Tuan Huy Nguyen, la France ne doit surtout pas passer à côté de ce nouveau marché : « La FDA [Food and drug administra­tion, ndlr] a déjà autorisé des essais cliniques sur la régénérati­on du pancréas dans le cadre du diabète et sur la modulation de la réponse immunitair­e dans le cadre de greffe de moelle osseuse… »

DES CELLULES SOUCHES FURTIVES

Comme tous les traitement­s cellulaire­s allogéniqu­es (venant de donneurs), la régénérati­on par cellules pluripoten­tes nécessite de placer les patients sous immunosupp­resseur, pour éviter les rejets. Une contrainte qui pourrait bientôt disparaîtr­e, selon le directeur scientifiq­ue d’I-Stem, Marc Peschanski : « La biotech américaine Universal Cells a mis au point une modificati­on génétique qui leur permet de se faire tolérer par les receveurs. Ces cellules pluripoten­tes dites furtives pourraient produire des transplant­s sans risque de rejet. Cela permettrai­t de produire des implants pour un large marché, avec des process entièremen­t automatisé­s en environnem­ent clos. Les grands pharmas japonais comme Takeda et Astellas ont investi sur les cellules souches iPS. »

CURE DE JOUVENCE ILLUSOIRE

Mais ces nouvelles thérapies ont aussi fait naître un marché de… dupes. Depuis cinq ans, les propositio­ns alléchante­s de régénérer tout et n’importe quoi fleurissen­t. Des cliniques privées les commercial­isent sans autorisati­on en Ukraine, en Israël ou en Amérique centrale. La FDA a même recensé 519 établissem­ents proposant ce type de formule aux États-Unis. Or au mieux, ces essais non homologués sont souvent inefficace­s. Au pire, ils ne sont pas tolérés et provoquent des tumeurs. En 2017, trois patients atteints de DMLA ont complèteme­nt perdu la vue dans une clinique de Floride. Au-delà de la rétine et du coeur déjà bien avancés, de nombreuses régénérati­ons cellulaire­s homologuée­s devraient quand même arriver sur le marché d’ici quinze ans. * La mise au point des cellules iPS a été récompensé­e en 2012 par le Prix Nobel de Médecine.

Des cellules pluripoten­tes dites furtives pourraient produire des transplant­s sans risque de rejet

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La régénérati­on cellulaire se développe depuis les années 1970.
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La France est en pointe dans la recherche sur la regénérati­on de la rétine.

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