La Tribune Hebdomadaire

L’Iran, le cauchemar du royaume

Si le régime des mollahs reste son adversaire numéro un, Riyad ne s’inscrit pas dans un axe israélo-américain. Le royaume défend ses propres intérêts, en particulie­r dans la péninsule arabique.

- Robert Jules

ARiyad, on ne cache pas sa satisfacti­on quand est évoqué le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire i r a ni e n, a nnoncé quelques jours auparavant. « Il est préférable de ne pas avoir d’accord qu’un mauvais accord », se réjouit un analyste saoudien, proche du pouvoir. L’Iran est le cauchemar du royaume, les deux pays se disputant le leadership régional, sur fond de division religieuse historique entre sunnisme et chiisme.

EXPORTER LA RÉVOLUTION

« Regardez une carte, explique un diplomate saoudien. Au nord, les Iraniens sont présents en Syrie où des milices combattent au côté de l’armée d’Assad, au Liban, ils sont au gouverneme­nt en finançant le Hezbollah, en Irak, des troupes sont présentes au prétexte de combattre Daech pour s’assurer une influence durable. Au sud, ils soutiennen­t la rébellion houthie, qui ne représente que 5 % de la population, contre le pouvoir légitime avec qui nous avons des liens étroits ». Pour Riyad, depuis la révolution islamique lancée par Khomeyni, l’Iran n’est pas un État comme un autre. Son seul but est d’exporter sa révolution en ayant recours à des méthodes terroriste­s pour déstabilis­er ses voisins. « Qu’a fait l’Iran depuis qu’il a signé l’accord qui lui a permis une levée des sanctions économique­s ? A-t-il développé son économie ? Non, il a gagné du temps pour poursuivre ses activités terroriste­s », souligne l’analyste. « Isoler le régime de Téhéran risque de le pousser encore davantage à une fuite en avant », réplique un expert français. Une position qui est celle de Paris (lire page 20). « Il faut faire la différence entre le pouvoir, celui des Gardiens de la révolution, et le peuple iranien », nuance-t-on du côté saoudien, pariant qu’une crise économique de l’Iran se transforme­rait en crise sociale, et pourrait déboucher sur un changement de régime. Cette hypothèse reste pour le moment un voeu pieux. Certes, les déclaratio­ns tonitruant­es de Donald Trump, qui menace ouvertemen­t de renverser le régime iranien, sont appréciées à Riyad, qui y voit un changement radical de doctrine par rapport à la présidence Obama. « Cette solution a déjà été appliquée dans la région, en Irak et en Libye. Nous pouvons en apprécier concrèteme­nt les résultats », ironise toutefois un expert français.

GUERRE AU YÉMEN

Cela veut-il dire que le nouveau pouvoir saoudien s’inscrit dans un axe israéloamé­ricain? « Avoir des intérêts communs ne fait pas de nous des alliés », rétorque-t-on du côté saoudien, critiquant la décision prise la veille par les États-Unis de délocalise­r l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. On rappelle que Riyad défend depuis des années le principe d’une grande conférence régionale où tous les problèmes devraient être mis sur la table, notamment celui du règlement de la question palestinie­nne. Par ailleurs, la diplomatie saoudienne répète que le royaume a ses propres intérêts qui ne s’alignent pas systématiq­uement sur ceux des États-Unis, en particulie­r sur les problèmes régionaux. Et de citer le cas de la mise en quarantain­e du Qatar, considéré comme un allié de l’Iran et un soutien financier du terrorisme. « Le Qatar avait promis de changer, il ne l’a pas fait. L’Europe et les États-Unis voient le côté sympathiqu­e du pays, nous, nous voyons son côté obscur », explique une source proche du pouvoir. Malgré ses critiques initiales à l’égard du royaume gazier, Trump, dans une volteface qui est devenue sa marque de fabrique, demande aujourd’hui une réconcilia­tion avec ce pays abritant une base américaine qui accueille 10000 soldats. En vain pour le moment. Mais c’est surtout le Yémen qui préoc

L’Europe et les États-Unis voient le côté sympathiqu­e du Qatar. L’Arabie saoudite voit le côté obscur cupe l’Arabie saoudite. Elle y mène, à la tête d’une coalition régionale, une guerre contre la rébellion houthie, soutenue par l’Iran qui a toujours démenti. Le conflit a déjà fait plus de 10 000 morts et causé le déplacemen­t de plus de 3 millions de personnes. Critiquée pour ses bombardeme­nts intensifs, qui ont fait des « dommages collatérau­x » dans la population civile, l’Arabie saoudite reconnaît avoir « perdu la bataille de la communicat­ion » dans ce conflit. « C’était une armée inexpérime­ntée avec un matériel sophistiqu­é, qui a conduit des exercices interarmée­s en situation réelle », évalue un expert militaire français.

MISSILES SUR RIYAD

Depuis, Riyad dit avoir consacré des moyens importants pour fournir de l’aide humanitair­e, remettre en état les infrastruc­tures, notamment les routes, et de la fourniture d’eau. Outre une aide économique, Riyad a versé 2 milliards de dollars à la Banque centrale du Yémen, pour soutenir la devise yéménite. Elle accueille plusieurs millions de réfugiés sur son territoire. Sur le plan politique, elle entend venir à bout militairem­ent de la rébellion houthie pour la forcer à négocier et intégrer un gouverneme­nt d’union nationale. Pour le moment, les rebelles houthis sont loin d’être vaincus. Ils contrôlent la zone nord du pays et la capitale Sanaa. Pire, ils lancent des missiles balistique­s sur le royaume. Au début du mois de mai, plusieurs ont même visé Riyad avant d’être intercepté­s et détruits dans l’espace aérien saoudien. Pour le moment, l’option militaire n’a pas offert de solution à un conflit qui dure maintenant depuis trois ans et a déjà coûté plusieurs milliards de dollars au royaume.

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Riyad estime que le pays dirigé par le président Hassan Rohani n’est pas un État comme un autre.
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Le prince héritier Mohammed ben Salman rencontre Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 mars 2018. L’Arabie saoudite se réjouit du retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien.

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