François-Aïssa Touazi : « MBS veut transformer en profondeur un système hostile à tout changement »
en profondeur un système hostile à tout changement »
Le pouvoir saoudien amorce un virage libéral pour diversifier une économie trop dépendante des revenus pétroliers. Un pari audacieux, analyse François-Aïssa Touazi, expert des enjeux économiques et financiers dans le monde arabe.
LA TRIBUNE - Le projet « Vision 2030 » veut transformer en à peine plus de quinze ans un pays dépendant de la rente pétrolière en un pays ouvert et tolérant, doté d’une économie moderne et diversifiée. N’est-ce pas un pari trop ambitieux ?
FRANÇOIS-AÏSSA TOUAZI - Il faut reconnaître que Mohammed Bin Salman (MBS) a su anticiper dans sa stratégie réformatrice. Il a très tôt compris que le royaume saoudien se trouvait à la croisée des chemins et que son modèle économique, fortement dépendant des revenus pétroliers qui représentent près de 90 % de ses recettes budgétaires, n’aurait pas pu résister à une baisse durable des prix du pétrole. Le déficit budgétaire qui a atteint 100 milliards de dollars en 2015 et l’érosion des réserves de changes, passées de 750 milliards de dollars en 2014 à 500 milliards en 2017, ont été un électrochoc. Pour mettre fin à un État rentier paralysé par les conservatismes et la bureaucratie, MBS a lancé sa révolution économique en instaurant, d’une part, des mesures d’austérité inédites (réduction des subventions et mise en place de nouvelles taxes), tout en veillant à instaurer un « citizen account program » pour compenser leur impact sur les populations les plus fragiles, et, d’autre part, en proposant un plan ambitieux de diversification économique et de transformation sociale, Vision 2030, pour préparer le pays à l’après-pétrole.
Quelle est la philosophie du projet ?
Élaboré avec le soutien de grands cabinets de conseils américains (McKinsey, BCG…), ce plan s’articule autour de plusieurs axes : premièrement, l’émergence de nouveaux pôles de développement créateurs d’emplois et de richesse, dans des secteurs aussi divers que les énergies renouvelables, le secteur minier, le numérique, l’industrie des loisirs et les industries de défense. L’objectif est d’apporter à l’horizon 2030 des recettes budgétaires pratiquement équivalentes à celles tirées du pétrole. Le Royaume ambitionne en effet de devenir un géant mondial dans le secteur des énergies renouvelables, de se classer parmi les 25 premières industries de défense et d’être une destination touristique attrac tive. Ce plan de diversification compte sur le secteur privé, dont la part dans le PIB devrait passer de 40 % à 65 %. Deuxièmement, il encourage les privatisations notamment celle partielle du géant pétrolier Aramco. Les recettes de ces privatisations devraient alimenter le fonds souverain saoudien, qui sera le plus important du monde, avec des actifs d’un montant de 2000 milliards de dollars. Ce fonds devrait constituer à terme la principale source de revenus du pays. Ces privatisations ainsi que l’ouverture de la Bourse de Riyad aux investisseurs étrangers illustrent ce virage libéral clairement assumé par la nouvelle équipe. La remontée actuelle des prix du baril à des niveaux jamais atteints depuis fin 2014 est de ce point de vue une opportunité, car elle augmente mécaniquement la valorisation d’Aramco.
Cette Vision 2030 propose aussi une évolution importante de la société saoudienne…
MBS est convaincu que le conservatisme de la société saoudienne, sa gouvernance et sa bureaucratie constituent un frein majeur aux réformes et à l’essor d’une société dynamique. Fort du soutien indéfectible de son père qui bénéficie d’une forte légitimité auprès de la famille royale et de l’establishment religieux, MBS cherche à redéfinir le rôle et la place du clergé wahhabite, à limiter son emprise sur le ter
Il instaure une culture de la performance et de l’efficacité dans une administration bureaucratique FRANÇOIS- AÏSSA TOUAZI ANCIEN DIPLOMATE, COFONDATEUR DU THINK TANK CAPMENA